Ils ont passé la nuit là et ne comptaient pas bouger de sitôt. Les agriculteurs de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne (CR47) occupent depuis mercredi le port de Bassens dont ils ont bloqué tous les accès avec des blocs en béton et des tas de terre. Ils devraient toutefois lever leur siège vendredi matin : c’est ce qu’ils ont annoncé ce jeudi en fin de journée, estimant que le Premier ministre avait répondu à leurs revendications.
« On avait demandé à M. Barnier de s’engager sur la sur-transposition (des règles européennes), il répond ouvertement à ce qu’on lui a demandé, il a dit (devant le Sénat, NDLR) : les agriculteurs ont raison, il y a trop de normes », a déclaré à l’AFP José Pérez, coprésident de la CR47.
« Rien de positif dans les fermes »
Ce jeudi devant la base de chargement des Docks des Pétroles d’Ambès (DPA), des barnums sont installés. Des feux sont allumés ça et là pour se réchauffer ; on discute, on grignote et on attend.
« L’essentiel est d’interpeller sur nos revendications pour avoir des réponses, parce qu’on se rend compte que 10 mois après les premiers mouvements, il n’y a strictement rien de positif dans les fermes qui ne soit ressenti et avéré. On est là pour faire en sorte de générer une réaction rapide », , explique Karine Duc, présidente de la CR 47.
La centaine de lot-et-garonnais a vu ses rangs grossir en début d’après-midi avec l’arrivée de ses homonymes girondins, une quarantaine de la CR 33. Ces derniers bloquaient la centrale d’achat E. Leclerc de Beychac-et-Caillau avant que les forces de l’ordre n’interviennent dans la matinée pour les en déloger. Selon la préfecture, le tout s’est fait « sans usage de la force et sans incident ».
Vivre de leur travail
Installé à Loubens, Paul Fazembat est la cinquième génération à reprendre l’exploitation familiale. Il cultive essentiellement du maïs, élève des canards et propose ses produits en vente directe à la ferme. Comme tous ceux présents sur place à Bassens, il faisait déjà partie du mouvement l’hiver dernier et se désole de devoir encore se mobiliser pour obtenir des réponses aux revendication exprimées.
« On demande de vivre de ce qu’on produit comme toute personne qui se lève le matin pour aller travailler, revendique l’agriculteur. Le préfet mardi c’était de la pommade dans le dos : ils disent qu’ils sont à l’écoute, mais nous on leur demande d’agir. »
Très pessimiste quant au futur de son exploitation, cette mobilisation sonne comme son « dernier espoir ». Et de l’espoir, Sophie (* pseudonyme) n’en a plus beaucoup non plus. Elle et son mari, viticulteurs dans le libournais, tentent de se réchauffer comme ils le peuvent devant un petit feu allumé pour l’occasion. Touchés de plein fouet par la crise viticole, ils n’arrivent même pas à se dégager un salaire.
« On essaie de rester motivés parce qu’on a trois salariés qu’on ne veut pas mettre dehors, mais on peine à payer nos factures, soupire la viticultrice. On nous présente le dispositif prêts bonifiés, mais ça nous fait rire parce qu’on a déjà du mal à payer nos crédits et ils veulent encore qu’on fasse un crédit. Nous, depuis le départ, on demande de vivre de notre boulot, on veut des prix rémunérateurs », martèle-t-elle.
« Incompréhension » du port
Un dernier point de la préfecture à 19h indique que « les échanges se poursuivent entre les services de l’État et les manifestants pour débloquer cette situation dans les meilleurs délais ». De son côté, le Grand Port de Bordeaux exprime dans un communiqué son « incompréhension », rappelant qu’il est un « port d’export céréalier au service de la filière agricole régionale et de son économie » et « n’importe pas de céréales, ni de produits carnés » contrairement à ce qu’affirment les agriculteurs présents sur place.
« Le port et ses partenaires économiques, impactés par le blocage en cours, entendent les
préoccupations exprimées par les manifestants, mais ne sont en aucun cas parties prenantes
des situations dénoncées et ne peuvent donc y remédier. »
Déterminés à ne pas repartir sans avoir obtenu des réponses, les agriculteurs mobilisés ont prévu le nécessaire pour dormir sur place : des duvets et des oreillers les attendent dans leurs tracteurs ou leurs véhicules. « Je ferai le ravitaillement en pain demain matin », promet avec un grand sourire Jean-Paul Ayres, représentant de la CR 33, à ses camarades.
« Pour l’instant on est là et on ne s’interdit rien, c’est au jour le jour que la situation se construit. On est pas là pour en découdre avec les forces de l’ordre, s’ils nous demandent de dégager on le fera. Mais quel mauvais signal de demander à des agriculteurs de dégager et encore une fois sans leur apporter aucune solution », prévient Karine Duc.
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