L’Annelies Ilena, le plus grand chalutier pélagique au monde (145 mètres de long), a été surnommé le « navire de l’enfer » par les pêcheurs de Mauritanie, qui avaient obtenu son départ après 5 ans d’activité au large de leur pays. Il peut en effet pêcher 400 tonnes de poisson par jour, soit l’équivalent d’une dizaine de fileyeurs en une année, ou « autant qu’un pêcheur artisanal en une vie entière », indique Lætitia Bisiaux, chargée de projet à Bloom.
Le côté obscur du surimi
Cette ONG de défense des océans a récemment révélé que le gouvernement Barnier venait d’octroyer « 37 000 tonnes de quotas français de merlan bleu en Mer du Nord à ce pillard des mers, décrié par le secteur dans son ensemble et condamné par la branche CGT des marins du Grand Ouest« .
« Et ce pour faire du surimi ou des farines pour les élevages de saumon, ce qui est une hérésie écologique et sociale, selon Lætitia Bisiaux. Il faut environ 5 kg de merlan pour fabriquer 1 kg de surimi. Et l’Annelie Ilena est trop gros pour entrer dans le port de Saint-Malo, le poisson arrivera par camions dans l’usine de transformation bretonne après avoir débarqué aux Pays-Bas. »
A l’occasion de la venue à Bordeaux du ministre de la mer, Fabrice Loher, les militants de Bloom et d’autres organisations écologistes (Extinction Rebellion, Greenpeace…) l’ont dénoncé ce mardi matin devant la mairie, puis à Darwin le soir lors d’ « Assises de l’Amer » – pied de nez aux Assises de l’économie de la mer, qui se tiennent les 19 et 20 novembre au Palais des congrès.
L’autre pays du chalutage
« Le gouvernement soutient la pêche industrielle néerlandaise qui met à mal la pêche artisanale française et la biodiversité marine, affirme Lætitia Bisiaux. Ces navires sont autorisés à pêcher dans les aires marines protégées et à proximité des côtes ce qui les met en concurrence avec les petits pêcheurs. »
Si l’armateur de l’Annelies Ilena est la Compagnie des Pêches de Saint-Malo, celle-ci est en effet une filiale du consortium néerlandais Parlevliet & van der Plas. Le chalutier, initialement immatriculé en Irlande comme navire marchand, bat actuellement pavillon polonais. Et c’est avec la Pologne que la France a troqué ses 37000 tonnes de merlan bleu contre quelques 1250 tonnes de cabillaud.
Or le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) estime que le stock de merlan bleu dans l’Atlantique Nord-Est est surpêché, et que ses captures devraient baisser de 1,88 million de tonnes en 2024 à 1,44 million de tonnes l’année prochaine.
Merlan frit
Répliquant aux accusations de Bloom, le ministère avait pourtant affirmé dans un communiqué que « le stock de merlan bleu est en bon état de conservation, et fait l’objet d’une exploitation maîtrisée, sur la base d’avis scientifiques ». Il assurait en outre que « la technique du chalut pélagique pour la capture de ce poisson permet de travailler dans la colonne d’eau, sans contact avec les fonds marins ».
A l’inverse de L’Emeraude… Ce chalutier qui va hériter des quotas de cabillaud récupérés par la France est selon Bloom « un bulldozer des mers pratiquant le chalutage de fond, l’une des méthodes de pêche les plus destructrices au monde qui dévaste les écosystèmes marins avec des filets lestés ».
Quant au quota de cabillaud récupéré par le France, il « ne va pas profiter aux petits navires côtiers qui font vivre les criées et les territoires, mais à un méga-chalutier industriel de 81 mètres appelé L’Émeraude« , estime Bloom.
« Comble de l’ironie, souligne l’ONG, ce navire, bien que battant pavillon français, appartient également au consortium néerlandais Parlevliet & van der Plas via ses filiales françaises Euronor et la Compagnie des pêches Saint-Malo. »
Garder la pêche
Le ministère de la mer avance l’argument de l’emploi derrière ces échanges de quotas : près de 300 salariés, dont plus de 70 marins, employés par la Compagnie des Pêches de Saint-Malo « dépendent directement de l’activité des navires concernés par le projet ».
Aux Assises de l’économie de la mer à Bordeaux, Fabrice Loher a par ailleurs affirmé que « ce serait une erreur d’opposer notre petite pêche et notre pêche au large ».
« Parce que chacune concourt à la vitalité de nos littoraux, à l’équilibre de notre filière, et à l’avenir de la profession de marin pêcheur et des emplois qui en dépendent à terre. »
Les associations écologistes et des organisations de petits pêcheurs n’en sont pas certains. En traquant les déplacements de plusieurs chalutiers géants, Bloom a ainsi révélé qu’ils pêchaient fréquemment dans les zones côtières privilégiées par ces derniers.
« Changer de cap »
Et le rapport « Changer de cap », initié par Bloom et réalisé par un groupement de recherche pluridisciplinaire constitué entre autres de chercheurs de l’AgroParisTech et de l’EHESS-CNRS, souligne en effet le déséquilibre entre ces deux modes :
« Pour un même niveau de capture réalisé dans un milieu sauvage (l’océan), les chalutiers de fond industriels et hauturiers créent 2 à 3 fois moins d’emplois et presque 2 fois moins de valeur ajoutée que les flottes utilisant les arts dormants (les lignes, casiers et filets). »
Les navires pélagiques industriels de plus de 40 mètres, qui représentent 0,3 % des navires, pêchent 16 % de la production nationale, et sont à l’origine de la plus grande part des émissions de CO2 du secteur. A contrario, les engins dormants et les flottilles pélagiques représentent 17% de la production et 12% des émissions de CO2.
Des aires guère protégées
Par ailleurs, les navires de pêche industrielle sillonnent allègrement les aires maritimes protégées. Celle du Talus du Golfe de Gascogne, au large du littoral Atlantique, est même l’une des plus prisées, selon des travaux menés par France Nature Environnement puis Bloom. Dans son rapport « Bulldozées », l’ONG indique que cette aire est la plus chalutée sur les 30 existant en Europe, avec 201 908 heures en 2023…
Estimant que « la France n’est pas digne d’accueillir la conférence de l’ONU sur la mer en 2025 », Lætitia Bisiaux, de Bloom, réclame l’interdiction totale du chalutage dans ces aires maritimes protégées. Ce mardi à Bordeaux, le ministre de la mer a seulement promis la « labellisation des zones de protection forte dès 2025 » au sein de ces AMP.
« Je veillerai à ce que l’ensemble des acteurs y soit bien associé, et à ce que les décisions de désignation de ces espaces soient assumées en toute transparence », promet Fabrice Loher.
Ecolos et pêcheurs artisanaux espèrent que cette transparence ne soit pas du même tonneau que celle de l’attribution des quotas de pêche.
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