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Reconnaissance du massacre de Thiaroye : « Maintenant il faut des excuses et des mesures »

Ce jeudi 28 novembre, Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité des forces coloniales françaises dans le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1ᵉʳ décembre 1944. Pour l’activiste bordelais Karfa Diallo, qui consacre plusieurs évènements à ce drame, si la décision « doit être saluée », il demande des « excuses formelles et des mesures concrètes ».

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Reconnaissance du massacre de Thiaroye : « Maintenant il faut des excuses et des mesures »
Karfa Diallo

C’est un geste politique historique. Dans un courrier adressé au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’État français dans le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, près de Dakar, le 1ᵉʳ décembre 1944. Jusqu’ici, jamais un chef d’État français n’avait qualifié cet événement de « massacre ».

Contacté par Rue89 Bordeaux, Karfa Diallo, directement concerné par son histoire personnelle et fondateur du réseau Mémoires et Partages, qui œuvre pour la reconnaissance mémorielle de l’esclavage et du colonialisme, prend acte de cette « avancée », mais en tempère sa portée réelle.

« Il faut d’abord saluer ce geste. Cependant, je dois avouer que je suis très sceptique, voire même déçu des modalités de cette reconnaissance, puisque le président Emmanuel Macron n’a pas fait de déclaration directe. Quand on sait dans quelles conditions ce massacre a eu lieu, le nombre de victimes, l’étendue du mensonge d’État qui a été entretenu pendant 80 ans, je crois qu’à minima, le président devrait annoncer lui-même cette reconnaissance. »

Entre histoire individuelle et collective

Karfa Diallo, 53 ans, mène une activité militante intense sur le sujet depuis plusieurs décennies. Au-delà du combat politique, Thiaroye résonne dans l’histoire personnelle de ce fils de tirailleur sénégalais.

« Je suis natif de Thiaroye. J’ai été scolarisé dans ce camp militaire pendant plusieurs années… C’était le premier univers qui se présentait à moi, jeune enfant. Cette reconnaissance, oui, à titre personnel, c’est vrai que cela me réconcilie peut-être avec la France et avec le Sénégal, avec Thiaroye. »

Dans sa famille, l’histoire individuelle s’étire et s’entrecroise avec « la grande Histoire », celle qui happe destins et trajectoires, celle de la guerre et du colonialisme français en Afrique.

« J’ai surtout une pensée pour mon père, qui est mort il y a deux ans, confie le conseiller régional écologiste de Nouvelle-Aquitaine. Il a été tirailleur, il a été maltraité par l’administration française, qui l’a soumis à une obligation de résidence pour pouvoir percevoir de maigres pensions. Il en est mort, d’ailleurs, de ce va-et-vient entre la France et le Sénégal. »

« Le déclaratif, ça suffit »

En juillet 2024, un premier pas est franchi avec la reconnaissance de six tirailleurs africains comme « Morts pour la France » à titre posthume, par l’Office national français des combattants et des victimes de guerre. Dans la foulée, l’association Mémoires et Partages lance le collectif du « 80ᵉ anniversaire du massacre de tirailleurs africains à Thiaroye ».

Le projet réunit associations, structures culturelles et personnalités néo-aquitaines, avec pour objectif de « réhabiliter ces hommes et obtenir la réparation des dommages causés par ce drame ». Pour Karfa Diallo, le geste d’Emmanuel Macron résulte d’une mobilisation de la société civile et des historiens, qui reste à parachever :

« Un projet de création d’une commission d’enquête parlementaire vient d’être déposé suite à notre dernière réunion à l’Assemblée nationale. Il s’agit de faire la lumière sur les zones d’ombre qui sont très importantes : on ne sait pas quel est le nombre de victimes exact, on ne sait pas non plus où les corps ont été enterrés, on n’a pas fait la lumière sur les tirailleurs qui ont été condamnés à la suite de ce massacre… Et puis, sur le mensonge d’État : on ne sait pas qui a falsifié les documents qui ont fait passer ce massacre pour une mutinerie. »

Karfa Diallo juge donc « dommageable » l’absence du chef de l’État aux commémorations qui se tiendront ce dimanche 1er décembre, et « attend de voir » si « la reconnaissance par procuration sera prolongée » par le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, qui représentera le président de la République française à la cérémonie au camp de Thiaroye.

« Une fois la vérité faite, il faut formuler des excuses, parce que quand on ne s’excuse pas, c’est qu’on est prêt à répéter les mêmes erreurs. (…) Il y a une dimension morale qui est importante mais pas suffisante, bien sûr : il y a aussi celle du droit, de la justice, qui viennent réparer les dommages qui ont été causés. »

Commémorations en Nouvelle-Aquitaine

Parmi les régions « les plus actives de France pour la commémoration du 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye », de nombreux événements se tiennent en Nouvelle-Aquitaine (et au-delà) jusqu’au 14 décembre, autour de ces commémorations.

L’exposition documentaire Histoire des tirailleurs de Thiaroye est encore accessible au Rocher de Palmer, jusqu’au 7 décembre, avant de partir en itinérance à Poitiers du 10 au 14 décembre. Un événement qui sera suivi par une projection-débat autour du film Camp de Thiaroye de Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow le 12 décembre, puis d’une balade contée sur le lieu historique du camp Stalag d’emprisonnement de tirailleurs de la Chauvinerie, le 14 décembre à 14h30.

À Bordeaux le 14 décembre, le théâtre de la Lucarne dans le quartier de Saint-Michel accueille l’évènement de clôture de ce cycle de commémorations, De Thiaroye à Saint-Michel. Projection du film documentaire de François-Xavier Destors et Marie Thomas-Penette sur le massacre, conférence de l’historienne Armelle Mabon sur son nouveau livre Le massacre de Thiaroye : 1er décembre 1944, histoire d’un mensonge d’État performances artistiques et concerts… Une journée mémorielle qui s’annonce riche en réflexions.



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