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Biarritz pourrait devoir changer le nom du quartier de « La Négresse », jugé « sexiste et raciste »

Ce jeudi 16 janvier, la rapporteur public de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a estimé que la dénomination du quartier de « La Négresse » portait « atteinte à la dignité humaine ». Il appuie ainsi la demande faite par Mémoires et Partages à la mairie de Biarritz d’en changer le nom. La décision sera rendue le 6 février prochain.

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Biarritz pourrait devoir changer le nom du quartier de « La Négresse », jugé « sexiste et raciste »
Après des demandes répétées auprès des municipalités de Biarritz depuis 2013, toutes refusées, Mémoires et Partages avait finalement déposé un recours devant le tribunal administratif de Pau.

Le nom de « La Négresse » a été attribué à un quartier de Biarritz, auparavant nommé Harausta en basque, par une délibération municipale datant de 1861. Une appellation qui aurait été donnée « en hommage » à une esclave noire qui travaillait dans une taverne du quartier, ainsi surnommée par des soldats napoléoniens.

L’association bordelaise Mémoires et Partages avait demandé de bannir cette dénomination à la maire de Biarritz, Maider Arosteguy (LR), en 2020 et, devant son refus, porté l’affaire devant la justice. Le 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté ce recours au motif que l’appellation ne constituait pas « une atteinte à la dignité de la personne », reconnaissant cependant que le terme « La Négresse » était « péjoratif ». L’association a interjeté appel :

« Est-ce que dans notre pays, en France, est possible qu’une femme noire, soit jetée en pâture à toutes les personnes qui passent par la ville de Biarritz ? Un quartier de cette ville porte, depuis le début du XIXe siècle, un sobriquet infamant. Est-il possible encore de ramener les femmes noires à ce statut d’esclave ? On ne peut pas continuer à l’accepter », dénonce Karfa Diallo, président de l’association Mémoires et Partages et conseiller régional écologiste de la région Nouvelle-Aquitaine.

« Atteinte à la dignité humaine »

Lors de l’audience, maintenue malgré la demande de renvoi par l’avocat de la mairie de Biarritz maître Pierre Cambot, les observations du rapporteur public ont largement rejoint la position défendue par Mémoires et Partages.

Soulignant la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité humaine, une « composante immatérielle de l’ordre public qui doit prévenir toute atteinte à ce principe », la magistrate pointe la sémantique contemporaine du terme, qu’elle juge « sexiste et raciste ». En conclusion de ses observations, elle demande à la Cour de prononcer un arrêté interdisant l’emploi du terme « La Négresse ».

« Cette dénomination est de nature à porter atteinte à la dignité humaine. Le maire de Biarritz a commis une erreur en refusant l’abrogation des délibérations. Mémoires et Partages présente des conclusions à valeur d’injonction et je demande également le versement d’une somme de 1 500 euros à l’association », conclut le rapporteur public, dont les avis sont le plus souvent suivis par les juges.

« Indignation anachronique »

Face à la charge du rapporteur public, maître Colomba Grossi, avocate de Mémoires et Partages, n’a souhaité apporter que de « simples compléments ». Dénonçant cette appellation qui désigne une « femme qui a été effacée, dont on ne connaît rien et dont on a retenu que ce nom, raciste », elle met en exergue les « contradictions » du jugement rendu à Pau en 2023 et renvoie au choix effectué par la municipalité d’Aulnay-sous-Bois en 2014, qui avait débaptisé un carrefour également nommé « La Négresse ».

« La question de ce dossier, c’est : est-ce que le tribunal va exercer son pouvoir de contrôle ? Il n’est pas question ici d’une préoccupation simplement citoyenne : l’État et l’administration ont un rôle à jouer sur les noms attribués dans l’espace public. Annuler la décision du tribunal administratif de Pau, ce n’est pas un effet de mode, mais choisir les valeurs consacrées », conclut maître Colomba Grossi.

Conseil de la Ville de Biarritz, maître Pierre Cambot reconnaît d’emblée un terme « discriminatoire, avilissant, indiscutable », mais souligne qu’au début de son utilisation, « ce terme renvoyait à la couleur de la personne, que l’on qualifiait objectivement de nègre ». Plaidant pour une « explication de l’Histoire » plutôt que pour une « indignation anachronique ». L’avocat cite Condorcet, Montesquieu, Aimé Césaire et la toponymie gasconne – qui pourrait, selon son hypothèse, attribuer une autre origine au mot « Négresse ».

Croix basco-nazie

Maître Pierre Cambot clôture son propos en s’adressant à la Cour :

« Je comprends votre position difficile, une nasse. Si vous rejetez l’abrogation de ce nom, vous vous placez du côté de ceux qui possédaient ce bâtiment, qui appartenait à une famille négrière. […] J’invite donc Mémoires et Partages à aller à Ajaccio pour débaptiser le cours Napoléon : si on commence comme ça, où s’arrête-t-on ? La croix gammée est un symbole qui a été avili par le nazisme. Fait-on des procès pour apologie du nazisme, notamment pour la croix basque ? »

À la sortie de l’audience, Karfa Diallo se réjouit « de voir le rapporteur public se ranger aux côtés des associations » et espère que le juge administratif rejoindra la demande d’abrogation des délibérations prises par la Ville de Biarritz en 1861 et 1986, attribuant respectivement le nom de « La Négresse » à un quartier et une rue de la ville.

« On peut le faire en partenariat avec la municipalité, nous préférons convaincre que contraindre, nous discutons en ce sens depuis plusieurs mois avec eux », conclut-il.

Le délibéré sera rendu à la cour administrative d’appel de Bordeaux le 6 février prochain.

Un retour du « refoulé de l’Histoire »

Trois jours avant, le 14 janvier, l’association avait déjà lancé une action de sensibilisation devant le tribunal. Bâti entre 1775 et 1777, l’édifice où se situe l’actuelle cour administrative de Bordeaux est située dans l’ancien Hôtel particulier de la famille Nairac. Au XVIIIe siècle, la famille bordelaise est celle qui « a déporté le plus d’Africains en Amérique » précise Mémoire et Partages, lui permettant de financer cet édifice. Celui-ci a été symboliquement « mis en vente » par l’association sur le site Paru Vendu, avant de dévoiler en être à l’origine (annonce supprimée).

« Il est intéressant de noter que cet hôtel particulier est, depuis le 23 décembre 1999, le siège de la Cour administrative d’appel de Bordeaux et qui juge aussi en appel, depuis le XIXe siècle, de toutes les affaires des anciennes colonies esclavagistes de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon », indique Mémoires et Partages.

« En 2020, la Cour a jugé de 4 295 affaires dont la moitié concerne l’entrée et le séjour des étranges et du droit d’asile » indique le site de Mémoires et Partages Photo : DR

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