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Avec « Lieux communs », Baptiste Amann et le TnBA « debout pour la culture »

Ce mercredi lors de la première à Bordeaux de « Lieux communs », excellente dernière création de Baptiste Amann, le metteur en scène, artiste associé au TnBA, a livré un discours poignant, demandant aux spectateurs de se lever pour manifester leur soutien au service public de la culture, malmené par les coupes budgétaires.

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Avec « Lieux communs », Baptiste Amann et le TnBA « debout pour la culture »
Photo pour « Debout pour la culture » prise à la fin de la première du spectacle au TnBA

« Lieux communs », comme les précédentes créations de Baptiste Amann, est en elle même une œuvre coup de poing, inscrites en plein dans les débats politiques et sociétaux de notre époque. Résumé : la première d’un pièce de théâtre est perturbée par une manifestation devant la salle de mouvements féministes. Motif : la metteuse en scène a adapté le texte poétique d’un homme noir, en prison depuis 17 ans pour le meurtre d’une femme, s’avérant être la fille d’un leader d’extrême droite.

Les ressorts de l’intrigue se dévoilent au gré d’allers-retours dans le temps, mélangeant même parfois le passé et le présent sur une scène éclatée en plusieurs tableaux, comme le « split screen » au cinéma, et offrant d’emblée une belle mise en abyme du public.

« Désir invincible de vouloir trop en dire »

Riche en digressions parfois déroutantes et en seconds rôles désopilants (ah, le directeur du musée Soulages de Rodez !), le récit s’élève rapidement en gravité, ambitionnant d’aborder tous les mécanismes de domination, dans une démarche quasi intersectionnelle. Si son texte est touffu, et embrasse probablement trop de sujets, Baptiste Amann parvient à n’être jamais manichéen, trouvant un certain équilibre entre thriller tout public et texte d’auteur.

Et lorsqu’il rejoint ses (formidables) actrices et acteurs sur scène mercredi 5 février, l’auteur s’en excuse presque, en lisant un texte (que l’on peut écouter intégralement sur ce post du TnBA) pour présenter l’action du mouvement Debout pour la culture :

« J’ai conscience d’avoir suffisamment éprouvé votre écoute dans cette profusion de mots toujours trop dense, trop rapide (…). Il y a chez moi ce désir invincible de vouloir trop en dire, sans doute parce que depuis que nous faisons du théâtre pèse sur nous la menace qu’un jour tout s’arrête et qu’à défaut d’apprendre à faire silence nous y soyons tout simplement réduits. »

« Un drame social se joue »

Baptiste Amann dénonce alors « l’orientation budgétaire des gouvernements successifs de M. Barnier et M. Bayrou », qui « contraignent les collectivités à opérer des coupes drastiques dans leurs enveloppes consacrées aux politiques culturelles, quand ce n’est pas la suppression pure et simple de leurs subventions ». Un « mal nécessaire » que l’artiste associé au Tnba s’emploie à démonter :

« C’est une catastrophe, un drame social qui se joue au cœur même du mirage d’une offre culturelle foisonnante, mais sans moyens. Des milliers de personnes vont perdre leurs emplois, des centaines de compagnies, de festivals, de dispositifs de médiation vont disparaître dans l’indifférence générale. l’extinction d’un théâtre de création n’est plus une menace, désormais elle est à l’œuvre. »

Invitant ensuite les spectateurs à se mettre debout pour réaliser une photo avec les comédien.ne.s au premier plan, et la relayer afin de soutenir le service public de l’art et de la culture, il prévient avoir « peu d’appétence pour ce type de manifestation », craignant « qu’elle ne se réduise qu’à l’expression d’un entre-soi, sorte de geste révolutionnaire à bas cout et relativement inopérant surtout lorsqu’il agit au sein d’un dispositif électif comme l’est la grande scène de ce théâtre. »

Pour un monde « plus habitable »

Mais voulant « étouffer la part de cynisme en nous », Baptiste Amann rappelle que le terme culture « recouvre dans son étymologie latine trois verbes sublimes, cultiver, honorer et habiter ». Se tenir debout pour la culture, c’est donc « soutenir en réalité celles et ceux qui dans le domaine du soin, de l’enseignement, de la recherche, de l’agriculture, de l’artisanat, honorent la vie et cultivent sa part la plus vulnérable la plus désarmée, la moins efficace pour rendre ce monde un peu plus habitable ».

Face « au fascisme néo-libéral qui s’impose partout », cela ne suffira pas, « il faudra se mobiliser plus fort, plus large pour résister à la tempête qui s’annonce. (…) Nous entrons bel et bien dans des temps très sombres. »

« Il appartiendra aux générations qui viendront après nous de vivifier à nouveau les valeurs que nous aurons compromises. Je dis ça avec émotion car ce soir mes enfants sont dans la salle. Alors ne serait ce que pour eux et pour tous les enfant à venir tenons nous debout pour manifester ensemble ce désir fragile de voir éclore un jour la possibilité d’un monde commun. »

Le public s’est alors levé pour une chaleureuse salve d’applaudissements, qui devrait se répéter chaque soir jusqu’au samedi 8 février, dernière de « Lieux communs » dans la salle Vitez. Et pour prolonger le mouvement, une pétition pour la culture est également en ligne.


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