Une nouvelle législation déjà dénoncée par la Cimade comme « l’une des plus répressives de ces 40 dernières années ». Promulguée le 26 janvier 2024, la loi Asile et Immigration, dite Loi Darmanin du nom du ministre de l’intérieur de l’époque, vise à renforcer le contrôle de l’immigration en France.
Celle-ci facilite les expulsions d’étrangers et simplifie les procédures d’éloignement. Conséquences : en Gironde, la Cimade constate l’enfermement au CRA de « personnes auparavant protégées par la loi ». L’association fait part d’une augmentation des enfermements de personnes étrangères pourtant arrivées sur le territoire français « très jeunes ».
Déjà les effets en Gironde
Parmi ces personnes, certaines sont arrivées avant l’âge de 13 ans, d’autres, par regroupement familial. C’est le cas d’un ressortissant marocain expulsé depuis Bordeaux :
« Ce monsieur est arrivé en France en 1987 à l’âge de cinq ans par une procédure de regroupement familial. Ses parents et ses cinq sœurs ont acquis la nationalité française. Il a élevé et vu grandir ses deux enfants français, qui avaient 19 et 16 ans lorsqu’il a été expulsé vers le Maroc après plus de deux mois et demi enfermé au CRA », détaille la Cimade.
L’association constate également un allongement de la durée de rétention administrative – avec une durée moyenne de rétention s’élevant à 27,1 jours –, ainsi qu’un détournement de cette procédure de sa finalité initiale en « amalgamant personnes étrangères et délinquance ».
« Les personnes sont plus fréquemment maintenues en rétention au-delà des 60 jours » indique notamment le rapport de la Cimade. Introduit via le même texte, un nouveau critère permet de prolonger la durée de rétention : la menace à l’ordre public, « élément rédhibitoire » en cas de demande de titre de séjour.
« C’est une notion très floue, sans véritable fondement juridique, analyse Nathalie Dugravier, présidente du groupe local de la Cimade. Tellement floue que l’on peut y mettre n’importe qui : un piéton qui traverse une rue hors passage clouté, un monsieur ayant volé un sandwich, un autre squattant une maison vide durant une nuit, un chauffeur renversant un chien qui traversait la rue sans être tenu en laisse… Tous ceux-ci se sont retrouvés sous OQTF après refus de titre, sous motif de menace à l’ordre public. »

Des motifs qui ne tiennent plus
La Cimade relève des décisions prises par le préfet de la Gironde. Dans un courrier du 3 avril adressé aux structures d’hébergement des demandeurs d’asile, que Rue89 Bordeaux a pu consulter, Étienne Guyot affirme que « la situation des déboutés de l’asile ne répond à aucun des deux critères spécifiques » – à savoir le motif exceptionnel ou humanitaire – et demande aux structures de « dissuader les déboutés de l’asile hébergés de se maintenir illégalement sur le territoire dans l’espoir d’une hypothétique régularisation ».
Pour Nathalie Dugravier, ces quelques lignes « entravent gravement la vie et la survie des demandeurs d’asile déboutés » :
« Ils sont donc exclus d’office, du devoir d’examen minutieux de chaque demande d’admission exceptionnelle. Cette lettre enferme dans une catégorie générale des personnes singulières, et décide de leur vie au nom de cette généralité. »
En Gironde, des tentatives d’expulsions vers des pays pourtant reconnus comme hautement risqués pour leurs ressortissants sont relevées. Ce fut notamment le cas de deux ressortissants afghans, enfermés au centre de rétention administrative (CRA) de Bordeaux en janvier et février 2024, alors qu’ils avaient initialement obtenu une protection subsidiaire (statut accordé à une personne menacée de graves atteintes dans son pays, sans remplir les critères du statut de réfugié).
Le tribunal administratif de Bordeaux a ensuite annulé les arrêtés préfectoraux fixant l’Afghanistan comme pays de renvoi, « du fait des risques encourus pour leur vie en cas de retour ».
« Méga CRA » et LRA
Par ailleurs, la Cimade déplore « n’avoir aucune données » du lieu de rétention administrative (LRA) de Cenon, qui peut accueillir jusqu’à 12 personnes, en raison de l’opacité qui entoure son fonctionnement. Sur les 239 personnes placées en rétention administrative en Gironde en 2024, elle n’a pu confirmer le passage que d’une seule d’entre elles.
La Cimade dit avoir refusé la convention d’intervention proposée par la préfecture de la Gironde. En cause : les conditions de rétention et le fonctionnement même de ces centres. Un refus « de principe » partagé, selon elle, par « l’ensemble des structures présentes dans ces lieux » :
« Depuis début 2025, on voit de plus en plus de personnes enfermées au LRA de Cenon. Elles arrivent un ou deux jours après au centre de rétention de Bordeaux. Pour nous, c’est encore plus compliqué, on n’a que quatre jours pour faire des entretiens et pouvoir faire des recours, parfois seulement 48h quand il y a une mesure d’éloignement. Quand elles arrivent au CRA de Bordeaux, on n’est même plus dans les délais », explique Cécile Roubeix, juriste du CRA de Bordeaux.
A Mérignac, le « méga CRA » dont l’ouverture est prévue au 1er semestre 2026, devrait quant à lui permettre l’enfermement de jusqu’à 140 personnes, construit sur le modèle du CRA N°2 de Lyon ouvert en janvier 2022. La Cimade dénonce d’ores et déjà ses conditions d’accueil selon l’avis émis par Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté :
« L’agencement et l’organisation des lieux entrainent des atteintes graves à l’intimité, à la dignité et à la sécurité des personnes qui y sont enfermées. »
Depuis leur création en avril 1984, ces lieux d’enfermement se multiplient. Un projet de loi en discussion au Sénat pourrait désormais exclure les associations d’aide aux étrangers des CRA, au nom d’une prétendue absence de « neutralité ». Un autre texte, déjà adopté, double la durée maximale de rétention administrative, la portant de 90 à 180 jours – voire 210 dans certains cas.
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