En 2019, la fondation Tara Océan a mené une mission dédiée à la pollution plastique des fleuves européens. Six ans après, les résultats sont rendus publics au travers de 14 études publiées dans la revue scientifique Environmental Science and Pollution Research. Ils témoignent d’une concentration moyenne de « trois particules microplastiques par mètre cube d’eau » dans plusieurs fleuves européens, dont la Garonne.
« On a été carrément surpris en fait par ces résultats, témoigne Jean-François Ghiglione, directeur de recherche au CNRS et coordinateur de la mission menée par Tara Océan. On ne s’attendait pas à avoir des concentrations aussi importantes de microplastique. Par exemple, à Paris sur la Seine, on a un débit de 300m3/s, donc on a chaque seconde 900 microplastiques qui sont charriés, ce qui pour nous est assez alarmant. »
À Bordeaux, si l’on se réfère à un débit moyen entre 500 et 600 m3/s, la Garonne charrierait 1500 à 1800 particules de microplastique par seconde. Il s’agit de « grands microplastiques » : visibles à l’œil nu, ces particules font entre 1 mm et 5 mm, et proviennent de la dégradation de gros déchets qui se coupent petit à petit en morceaux.
Une pollution diffuse
Une autre catégorie, les « petits microplastiques », invisibles à l’œil nu car inférieurs à 0,5 mm, ont également été observés en très grandes quantités par la fondation Tara Océan. De mai à novembre 2019, sa goélette a sillonné les quatre façades maritimes européennes et prélevé pas moins de 2700 échantillons dans neuf des principaux fleuves d’Europe : La Garonne, la Loire, le Rhin, la Seine, le Rhône, la Tamise, l’Elbe, l’Èbre et le Tibre. 100% de ces échantillons contenaient des microplastiques.
La méthodologie des chercheurs – prélever de l’eau en plusieurs points des fleuves visés par la mission (en mer, au niveau de l’embouchure, puis le long du fleuve jusqu’à la première grande ville) –, a permis de faire état d’une « pollution diffuse » :
« On a été étonnés de ne pas avoir de grosses différences entre les fleuves, mais on s’attendait aussi à avoir une grosse influence des villes, ce qui n’est pas le cas : mise en rapport à la quantité déjà présente en amont, les agglomérations apportent peu, détaille Jean-François Ghiglione. Cela nous montre qu’on a affaire à une pollution diffuse. »
Des bactéries pathogènes
Les particules proviennent de notre « usage quotidien des plastiques », de la fibre de nos vêtements, des pneus de voitures, etc. Avant de finir dans la Garonne, les déchets restent stockées pendant plusieurs années, se dégradent, et produisent des particules, avec des conséquences potentiellement désastreuses.
« On a montré, l’effet toxique majeur de ces plastiques », continue Jean-François Ghiglione. 16 000 molécules chimiques sont peu ou prou ajoutées dans la production du plastique, la plupart pas vraiment « nature friendly ».
Une fois « libérés », les microplastiques deviennent des « éponges à polluants » et attirent donc tout ce qui est hydrocarbures, pesticides ou métaux lourds qui se fixent sur les particules, et se retrouvent rapidement dans la chaîne alimentaire.
Des recherches spécifiques sur la Loire ont également permis de démontrer la présence d’une bactérie pathogène sur des microplastiques, Shewanella putrefaciens, hautement infectieuse. « Il s’agit à ce jour de la première démonstration in situ de la présence d’un pathogène humain virulent sur des micro-organismes prélevés en milieu aquatique », peut-on lire dans l’article rédigé sur le sujet.
« C’était sur la Loire, mais ça aurait pu se trouver ailleurs, concède le coordinateur de la mission menée par Tara Océan. Cela nous alerte sur un danger de dissémination des bactéries pathogènes par les plastiques, parce que, surtout à cette taille là, les particules vont se balader pendant des années dans le fleuve et pouvoir transmettre des maladies. »
Objectif réduction
Des risques qu’une coalition scientifique, dont font partie plusieurs chercheurs affiliés à la mission de Tara Océan, cherche à visibiliser dans les négociations sur un futur Traité mondial contre la pollution plastique.
« Ce qu’on veut montrer avec nos données un peu catastrophiques, c’est que malgré des millions d’euros pour faire soi disant du recyclage et d’avoir des super poubelles, nous avons dans l’environnement des concentrations de microplastiques qui font vraiment peur », affirme Jean-François Ghiglione.
Sur les 15 dernières années, on serait passé de 200 à 400 millions de tonnes de plastique produites dans le monde. « Pour nous, l’objectif c’est de réduire cette production de plastique, tout comme sa consommation », souligne le scientifique.
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