Pas de semaine sans qu’on aperçoive un magazine s’en faisant l’écho. Pas de plateforme de podcasts qui n’aie sa série dédiée au sujet. Peu de formations politiques qui ne se soient pas exprimées pour dire à quel point cela leur tenait à cœur. La santé mentale chez les jeunes n’a jamais été aussi souvent évoquée. C’est même devenu une Grande Cause Nationale en 2025. Et pourtant.
Mère d’une jeune adulte de 20 ans, atteinte de troubles psychiques depuis l’âge de 10 ans, je ne pourrais que me réjouir de voir, enfin, mise en avant une cause aussi essentielle si les mots étaient suivis d’effets. Or, je ne peux que constater qu’on agite le problème mais que rien n’est mis en œuvre pour y apporter de réelles solutions. De là à penser bonne conscience de ceux qui en parlent sans agir ? Sans agir assez, ou avec assez d’efficacité ?
10 ans de suivi médical erratique
Ma fille est suivie et traitée pour troubles dépressifs majeurs depuis la moitié de sa vie.
Hospitalisée à l’âge de 11 ans sans fait déclencheur identifié, A. a commencé son parcours psy au Centre Abadie (le pôle adolescents du CHU de Bordeaux). Cela a duré un mois et demi, où elle a été mise sous médicaments – un antidépresseur et un antipsychotique qui l’ont complètement zombifiée. Nous avons ensuite pu progressivement arrêter son traitement.
Sortie avec une ALD (affection longue durée) pour tendance suicidaire, elle a été suivie ensuite par plusieurs psychiatres, dont une spécialisée dans les troubles de l’adolescence l’a prise en charge pendant 6 ans, testant différentes posologies. Les antidépresseurs, neuroleptiques ou autres anxiolytiques qu’elle ingurgite depuis son plus jeune âge se sont avérés être peu ou mal efficaces et ont même eu parfois des effets secondaires néfastes.
A. vit toujours chez nous et a été scolarisée à grand peine, développant une phobie scolaire – le Covid et le confinement a été une parenthèse de bonheur absolue.
A 14 ans, elle a fait une tentative de suicide en avalant des médicaments. Malgré ce passage aux urgences, et d’autres ensuite, nous avons toujours refusé une hospitalisation à temps plein car on souhaitait l’accompagner dans sa scolarité, et qu’elle puisse continuer à jouer dans une troupe de théâtre pro, grâce à laquelle elle était devenue intermittente.
Mais après bac, obtenu avec mention, et quelques jours en fac, elle a complètement décroché.
Désorientée
Elle a arrêté toute prise de médicaments et sa psy a mis fin au suivi il y a plusieurs mois. A. a commencé à faire crise sur crise, elle partait en ambulance aux urgences psychiatriques, où elle attendait plusieurs heures que sa crise passe. Elle signait une décharge et elle rentrait à la maison.
A un moment, le Secop (service d’évaluation de crise et d’orientation psychiatrique) par lequel elle transitait en a eu assez, et a mis en place un système stupéfiant d’hospitalisation à domicile. Un infirmier est venu tous les jours lui donner des médicaments, pour éviter un surdosage, sans qu’à aucun moment les personnes de la famille ne soient associées à ce protocole.
Notre système considère que les jeunes, lorsqu’ils ont 18 ans, sont totalement autonomes, alors qu’ils sont à mon sens au pic de leur fragilité mentale.
Cela a duré trois semaines et s’est arrêté, et depuis, A. n’a plus du tout de soins psychiatriques. Nous écrivons des lettres de motivation pour trouver un psychiatre. Nous avons des rendez-vous, mais aucun diagnostic n’est posé. Dès qu’elle a une contrariété, elle passe 1h au téléphone avec SOS Suicide.
Nous nous sentons impuissants. Notre système considère que les jeunes, lorsqu’ils ont 18 ans, sont totalement autonomes, alors qu’ils sont à mon sens au pic de leur fragilité mentale. Nous n’avons plus le droit en tant que parent de s’occuper d’eux, tout est soumis à leur approbation. Aujourd’hui, elle refuse l’hospitalisation à temps plein, elle est majeure, nous ne pouvons plus la contraindre, et elle n’est « pas assez suicidaire » pour que cela soit imposé à la demande d’un tiers.
Marasme psychologique
Une hospitalisation de jour a été envisagée puis récusée par une clinique de la métropole accueillant des jeunes présentant des troubles psychiatriques : la demande d’admission a été classée sans que nous soyons informés, les idées suicidaires de ma fille étant cette fois jugées trop prégnantes. On a compris qu’elle a été priée d’aller se faire mal, d’aller mal, hors des murs de cette clinique privée réputée sur le territoire. J’ai saisi le comité des usagers.
Une autre clinique, privée, était quant à elle prête à l’accueillir instantanément, sans avis médical, sans entretien préalable, sans même une présentation des locaux et des propositions thérapeutiques. Notre demande d’avoir des informations sur les modalités de prises en charge avant de valider une hospitalisation de jour ayant parue saugrenue, nous n’avons pas donné suite.
Donc, très concrètement, tant qu’elle n’est pas en crise suicidaire majeure, il ne nous reste qu’à la contempler en train de s’enfoncer dans un marasme psychologique dont l’issue est incertaine si une issue existe.
La souffrance psychique c’est aussi tutoyer, chaque jour, la honte et la culpabilité. La honte de faire du sur-place et de voir que ses anciens camarades d’école, que même ses cousins plus jeunes, surfent sur Parcoursup ou sur Mon master, truffent leurs posts d’images de soirées, de sorties, de week-ends, de vacances, évoquent leurs premiers pas dans le monde professionnel. Quand elle ne sait plus rien faire que rester prostrée.
La culpabilité de savoir que sa souffrance impacte ses proches, sans pouvoir rien y faire, et la culpabilité de savoir que le seul terme qu’elle envisagerait, sa disparition, serait source d’une souffrance encore plus grande. La souffrance de devoir vivre sans le vouloir, pas pour elle alors.
Alors la tentation est grande de murmurer à l’oreille de l’autodestruction.
« La souffrance mentale est une pathologie isolante »
Lorsqu’un jeune souffre mentalement, c’est aussi son entourage qui est emporté dans le tourbillon de son mal. La souffrance mentale est une pathologie socialement excluante, isolante. On n’envoie pas une jeune adulte dans sa chambre, or son mutisme, son absence de joie, son vide, son néant de projets désarçonnent, empêchent l’échange, suscitent même la crainte de la contamination ; certains ont fui son contact par incompréhension de ce qu’est une maladie mentale.
Alors on cesse d’inviter. Au quotidien, il n’est pas une journée où je m’inquiète de savoir comment, si, je la retrouverai le soir, le lendemain. Ses diatribes de haine, qui traduisent son mal-être, m’abîment chaque jour un peu plus mais je ne souhaite pas couper ce lien, car sinon, qui l’écoutera, qui l’entendra. Elle est un lierre et je suis son mur, elle s’accroche à moi et me dévore.
Sa fratrie a également souffert : la maladie psychique est au cœur de la météo familiale depuis 10 ans. La différence psychique de l’une empêchant la spontanéité des autres puisqu’il a toujours été essentiel de préserver celle qui souffrait, ou, pour être plus exacte, d’empêcher celle-ci d’arriver à un acte fatal.
Bombe à retardement
L’indigence de la prise en charge des problèmes psychiques, chez les jeunes notamment, est une bombe à retardement. On ne parle pas de désert médical où il faut parcourir des kilomètres ou patienter des mois pour décrocher un rendez-vous, on parle de désert tout court : nulle oasis, même lointaine.
Qu’est-ce qu’une société qui ne reconnaît pas les maladies psychiques, qui ne les soigne pas et qui ne sait rien de quand ni sous quelle forme elles ressurgiront plus tard ? Que deviendront les jeunes de ces générations mises à mal, qui auront parfois balbutié dans leur parcours scolaire, quels adultes deviendront-ils, quelles valeurs transmettront-ils, en quoi croiront-ils ? C’est une société démissionnaire, qui sait trouver les mots, mais se rend complice de non-assistance à génération en danger.
Si aujourd’hui j’écris cette lettre ouverte de manière anonyme, ce n’est pas par honte de ce que je vis, encore moins pour désavouer ma fille en l’avenir de laquelle je crois encore profondément et sincèrement, mais parce que j’ai besoin que cette histoire n’irrigue pas toute ma vie et que, dans certains espaces, même s’ils tendent à se réduire, je n’existe pas en tant que mère d’une jeune femme malade.
Chargement des commentaires…