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Des artistes en exil réunis sur scène par The Brick Project à Bordeaux

The Brick Project est une jeune compagnie qui veut réunir des artistes exilé·es pour leur donner de la visibilité et renforcer leur ancrage sur le territoire girondin. Le 10 juillet, pour sa sortie de résidence artistique à la Villa Valmont (Lormont), elle a présenté le premier jet de sa première création : Dilemma.

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Des artistes en exil réunis sur scène par The Brick Project à Bordeaux
Dina Khuseyn et Nawras Ibrahim

A quel point avons-nous le choix ? Une question posée par la compagnie The Brick Project dans la première ébauche de son spectacle Dilemma, présenté à l’occasion de sa sortie de résidence artistique à la Villa Valmont (Lormont), le 10 juillet. Pendant une trentaine de minutes, la danseuse franco-russe Dina Khuseyn et le oudiste Nawras Ibrahim, originaire de Palestine, s’emparent de la scène et mêlent leurs horizons artistiques pour interroger le rapport au libre-arbitre et à l’obéissance.

Cette question autour de l’amplitude du choix, Mathilde Perrault se l’est aussi posée, notamment en termes d’opportunités, alors qu’elle montait l’été dernier sa compagnie The Brick Project réunissant des artistes exilé·es. 

La comédienne, diplômée d’un master de management des projets culturels à Sciences Po Bordeaux, a monté cette association artistique en juin 2025 sur la base d’un constat : 

« Il y a beaucoup d’artistes exilé·es dans la région, qui peinent à se faire connaître pour des raisons diverses : des freins administratifs et économiques, des problèmes de langue, du racisme… C’est un énorme gâchis de talents et de potentiels ! »

Un tremplin pour les artistes internationaux

Des contraintes renforcées par « un contexte toujours plus compliqué pour la culture, ciblée par de nombreuses coupes budgétaires », rappelle la fondatrice de The Brick Project. Avec sa jeune compagnie, elle entend fournir un tremplin à ces artistes internationaux. D’où le nom anglophone The Brick Project : « Avec des briques, tu peux casser une vitre ou construire une maison », explicite la metteuse en scène. L’image derrière cet intitulé est plutôt claire : aider à faire sauter des verrous tout en consolidant des parcours voire des carrières.  

« On met un point d’honneur à ce que les artistes soient salariés, ils sont payés au cachet et en heures de répétition. C’est important parce que ce n’est pas toujours le cas dans le métier! »

La danseuse Dina, tête d’affiche de Dilemma, salue l’initiative derrière cette compagnie :

« C’est important de donner de la visibilité à des artistes de différents pays, de différents horizons. Après, la culture est un secteur déjà très international, elle se nourrit par les échanges. »

Née grâce à l’incubateur Singa Bordeaux, qui accompagne des projets locaux de collaboration entre personnes nouvelles arrivantes et locales, la compagnie The Brick Project fait régulièrement du repérage.

« Les artistes, je les rencontre via des institutions du monde social comme la fondation Cos, les réseaux de Singa et j’élargis auprès de travailleurs et travailleuses sociales comme le groupe SOS », précise Mathilde Perrault, également professeure de cinéma au cours Florent à Bordeaux.

D’ailleurs, Mathilde se souvient avoir rencontré Nawras, le joueur de oud, à un concert au Garage moderne à Bordeaux, pour la journée mondiale des réfugié·es, en juin dernier. De là, cette collaboration est née. 

Divers horizons artistiques et territoriaux

Dans ce spectacle, Nawras accompagne avec son instrument à corde, chaque pas de danse, chaque phrasé. Dina donne la réplique dans un semblant de « one woman show », comme elle aime s’en amuser. Avec Dilemma, The Brick Project honore sa vocation, celle de mettre en lumière des artistes exilé·es. 

L’un est né en Palestine, l’autre vient de Russie. Nawras apprend à jouer du oud à Jénine (Cisjordanie) en 2007. Il obtient ensuite une bourse pour étudier la contrebasse au conservatoire de Bordeaux en 2011, bénéficiant du jumelage culturel avec la ville de Ramallah. Après son diplôme, il poursuit ses études à Toulouse en musiques traditionnelles, où il reprend le oud. Au quotidien, Nawras joue dans des groupes, en duo et contribue à des projets artistiques. 

Dina, elle, découvre la danse à six ans à Moscou, sous l’impulsion de sa mère. « A partir de huit ans, j’ai commencé à la danse de manière professionnelle. » Elle apprend la danse classique en Russie tout en sachant que ce style de lui correspond pas.

« Je voulais faire des études en danse contemporaine, mais à cette époque, à la fin du communisme, il n’y avait que le classique en Russie. Il fallait que je me déplace », indique Dina.

La danseuse passe par Rotterdam puis Vienne et son festival ImPulsTanz, avant d’entamer un master en danse contemporaine à Montpellier, en 2010. Aujourd’hui, Dina a sa propre association Danses du Futur, elle donne des cours et a même monté un studio de danse nomade Contactkids, qui propose des ateliers associant enfants et adultes.

Ne pas essentialiser

S’ils parlent volontiers de leurs parcours artistiques, Nawras comme Dina sont frileux à l’idée de raconter son histoire personnelle. « C’est rare que je dise que je suis Palestinien, je suis d’abord un artiste, un oudiste », revendique le musicien. Dina adopte la même posture, regrettant cette tendance à « mettre les gens dans des boîtes, selon qu’on vient de là ou là ».

« J’ai envie que les gens me voient comme une personne et non directement comme une danseuse russe. Des connexions se font, elles n’ont pas forcément de lien avec ma vie, avec la façon que j’ai de me représenter », reconnait l’artiste.

C’est aussi le parti pris de la compagnie. Une des raisons qui fait que Nawras et Dina s’y plaisent bien. 

« Avec The Brick Project, c’était fondamental que le propos aille au-delà des histoires individuelles. La raison d’être de la compagnie, c’est de travailler avec des artistes internationaux. Je ne vais pas les chercher pour qu’ils racontent leurs histoires, ils peuvent s’ils veulent, mais c’est d’abord artistique, parce que j’admire leur travail », développe la fondatrice.

L’association parle d’ailleurs à dessein d’exilé·es et non de réfugié·es, estimant que « c’est réducteur et même intrusif de considérer une personne seulement par son statut juridique ».

Maintenir les liens

Pour autant, Dina comme Nawras ont chacun leurs propres sensibilités, échos de leur passé, qui d’une manière où d’une autre les ont poussés à rejoindre le projet Dilemma. Le spectacle reproduit l’expérience de Milgram, dans laquelle est étudié le degré d’obéissance à des ordres qui contredisent des valeurs morales – ici, administrer un choc électrique à « un·e élève » faisant des erreurs de mémorisation.

Qu’aurait-on fait si on devait répondre à ces ordres ou si on devait les donner ? Les résonances contemporaines de ce spectacle pluridisciplinaire ont motivé Nawras à se joindre à la création : « C’est ce qu’on a vécu et ce qu’on vit toujours, depuis 1948. » 

Arrivés en France depuis plus de dix ans, les deux artistes exilé·es, sont déjà plus ou moins installé·es dans le paysage artistique girondin. La créatrice de The Brick Project compte assurer une certaine « continuité », faire en sorte que l’expérience vécue ne soit pas qu’un « one shot » :

« On réfléchit à trouver un équilibre entre les nouveaux artistes et les anciens. Là, on travaille sur une production avec des artistes tout juste arrivé·es en France, qui parlent peu français, n’ont pas vraiment de connaissances sur les systèmes administratifs et culturels. »

La metteuse en scène dit être en contact avec l’organisme de formation Helios afin de proposer aussi un accompagnement pédagogique « pour les artistes moins bien ancré·es dans le territoire ». 

En attendant, Dilemma va continuer à se peaufiner pendant l’été, visant une première programmation en septembre. Rien n’est encore fixé, mais la porteuse du projet assure avoir de « solides pistes », depuis la dernière sortie de résidence. 


#théâtre

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