Média local avec zéro milliardaire dedans

Avec « Soulèvements », Thomas Lacoste filme des luttes enchantées

Consacré aux Soulèvements de la Terre, le nouveau documentaire de l’auteur et cinéaste bordelais est visible pendant tout le mois d’août dans les salles du réseau Utopia, avant sa sortie nationale. Les témoignages face caméra de militants de ce mouvement, qu’avait tenté de dissoudre le ministre de l’Intérieur, composent un passionnant et poignant plaidoyer pour leur combat littéralement existentiel.

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Avec « Soulèvements », Thomas Lacoste filme des luttes enchantées

« Désarmer » les mégabassines, qui spolient l’eau des territoires au profit d’une poignée d’agro-industriels. « Désarmer » l’A69, autoroute jugée sans intérêt public par le tribunal administratif de Toulouse, et risquant d’artificialiser à jamais des centaines d’hectares de terres agricoles. Ou encore « désarmer Bolloré », le milliardaire dont les médias (CNews, JDD…) et la fortune, bâtie sur l’exploitation des ressources de l’Afrique, sont mis au service de l’extrême-droite.

Tels sont quelques uns des objectifs poursuivis par les Soulèvements de la Terre. Ce collectif, créé en 2021 dans l’ancienne ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes, n’emploie pas le terme de désarmement à la légère : selon eux, la menace vient bien des projets jugés inutiles et destructeurs qu’ils combattent, si besoin par la désobéissance civile, pas de ses membres, taxés d’écoterrorisme par le gouvernement.

« Oui, ces jeunes sont désarmants. D’intelligence, de vie, de tout ce que tu veux », s’enflamme Thomas Lacoste. Le réalisateur bordelais leur consacre son dernier film, « Soulèvements ». Produit par Sister Productions et distribué par Jour 2 Fêtes, le documentaire est visible durant tout le mois d’aout depuis sa pré-sortie le 30 juillet dans les sept salles françaises du réseau Utopia (Avignon, Montpellier, Toulouse, etc.), dont celles du cinéma Saint-Siméon, avant une sortie nationale annoncée pour février 2026.

Du Pays basque à Sainte-Soline

Le « point d’entrée » du projet, explique-t-il, a été Sainte-Soline, théâtre de manifestations contre les mégabassines violemment réprimées, en particulier le rassemblement du 25 mars 2023 :

« D’après le rapport de la Ligue des Droits de l’Homme, 5200 grenades ont été balancées en moins de 2 heures sur 30 000 manifestants réunis dans un champ avec un trou au milieu sans l’ombre d’une machine ou d’une infrastructure potentiellement ciblée. Bref, c’est une scène de guerre, opposée à une population locale, dont énormément de mômes. Un pays qui est capable dans la conjoncture actuelle de « grenader » sa jeunesse parce qu’elle défend des communs, c’est de l’ordre de l’intolérable. »

A Sainte-Soline Photo : DR

Tout comme, aux yeux du cinéaste engagé, les deux vagues d’arrestation en juin 2023 par la SDAT, la sous-direction antiterroriste, un service de la police judiciaire française, « avec des garde à vue de 96 heures pour certaines d’entre elles ». Elles ont été suivies par l’annonce par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, « de la dissolution d’un mouvement qui ne peut pas l’être, puisqu’il n’a pas de structure juridique », relève Thomas Lacoste, et n’a donc pas aboutie.

« Qu’on essaye de faire tomber ces militants dans la case terrorisme, c’était trop pour moi. Je leur ai fait savoir que je voulais les rencontrer pour réfléchir à une stratégie de défense, qu’ils ne tombent pas dans les fourches caudines de cette justice d’exception. Je venais de finir mon dernier film au Pays basque, et j’avais pu observer de très près les agissements du pôle antiterroriste et ceux de la 16e chambre chambre du tribunal correctionnel de Paris qui instruit les dossiers basques, et j’avais des choses à leur dire. C’est de ces premières rencontres qu’est né le film. »

Le fondateur de la revue Le Passant ordinaire a en effet réalisé précédemment « L’Hypothèse démocratique », un documentaire relatant la fin du conflit armé au Pays basque, et dans lequel « des gens dans la clandestinité se sont exprimés à visage découvert », rappelle-t-il.

« J’ai parlé aux membres des Soulèvements du sens qu’il y avait de mettre des visages sur des mots, et ils ont accepté. »

A visages découverts

Pour la première fois, 16 d’entre eux ont donc accepté de se confier longuement face caméra. Leur parole est livrée brute, sans commentaire en voix off ni bandeau présentant les personnes interviewées, et se trouve simplement entrecoupée par de splendides plans fixes, sur la cime d’un arbre, l’œil d’un cheval, les flancs d’un sommet, la curiosité d’une vache…

Par « refus d’esthétiser la violence », affirme Thomas Lacoste, seules quelques photographies noir et blanc évoquent ainsi les heurts avec les forces de l’Ordre dans les Deux-Sèvres ou sur le tracé de l’autoroute Toulouse-Castres. Le message, qui se focalise sur le sens profond de l’engagement et son mode opératoire, n’en est que plus fort.

Dans ce portrait choral d’un mouvement, on entend donc des paysan.ne.s – néoruraux ou agriculteurs de père en fils, du Tarn ou de Loire-Atlantique -, témoigner de leur attachement à une terre nourricière, qui ne se résume pas à un outil de travail.

On écoute un naturaliste raconter son implication en tant que scientifique, et l’émerveillement d’une centaine de militants à l’écoute du chant intriguant de l’Engoulevent d’Europe, ou encore de l’Outarde canepetière, un oiseau menacé par la sylviculture industrielle dans le Poitou-Charentes.

Voyage en terres méconnues

Une jeune Savoyarde fait part de son angoisse à l’idée que le paysage de son enfance soit défiguré par une retenue d’eau destinée à la fabrication de neige artificielle pour la station de La Clusaz. Et elle expose la stratégie des militants parvenus à bloquer ce projet en construisant à l’automne 2022 des cabanes dans les arbres et en les occupant durant les quelques semaines où le défrichement était autorisé.

« J’avais très envie de déplier une cartographie un peu intime de la centaine de luttes, un voyage dans des géographies méconnues, continue le réalisateur bordelais. Le réseau est très dense, notamment parce que la tentative de dissolution a été une opération très efficace de promotion par le ministère de l’Intérieur : le mouvement est passé en trois mois d’un seul comité local, à Rennes, à plus de 150, et plus de 200 000 personnes qui se sont réclamées membres des Soulèvements ! Une horizontalité forte s’est dessinée, avec tous les 6 mois un interlude où tous les groupes locaux décident des luttes qui seront soutenues nationalement. »

Au chant d’honneur Photo : DR

Dans le film, l’ingéniosité et les qualités d’organisation des militants des Soulèvements sont d’ailleurs frappantes, de la tenue d’une manif au sommet (avec la banderole « Zad vraiment partout ! ») sur le glacier de la Girose, à 3400 mètres d’altitude, pour empêcher le chantier d’un nouveau tronçon de téléphérique, à la capacité à préparer des dizaines de milliers de repas aux militants, avec un réseau inter-cantines.

« Ce qui m’a le plus surpris, c’est cette capacité qu’ils ont à prendre à bras le corps la question de la subsistance et à travailler une économie de résistance à grande échelle sur tout le territoire national, poursuit Thomas Lacoste. Si tu ajoutes à ça à l’Atelier paysan qui travaille à l’auto-construction et à la mutualisation de l’outil agricole, ou le fait qu’ils ont la même réflexion sur l’habitat, on voit à quel point leur travail nourrit un vrai soubassement d’alternatives. »

Amour

Mais surtout, beaucoup d’amour transparait envers les êtres humains et non-humains qui les entourent. Il est manifeste dans ces récits d’amitiés consolidées à Sainte-Soline, dans la relation entre une éleveuse et ses bêtes, entre des générations de militants expliquant côte à côte leur cause commune.

Témoignent ainsi un fils et son père membres de la Confédération paysanne ; un autre dont le daron, ancien syndicaliste et élu local à Niort, approuve l’action des Soulèvements de la terre à la lumière de l’échec face aux lobbies d’autres modes opératoires ; notre jeune Savoyarde et le père de sa meilleur amie… Ce dernier, un comptable quinquagénaire qui « votait avant à droite », s’est engagé dans l’action à La Clusaz, et, des sanglots dans la voix, « s’excuse » au nom de sa génération pour l’état dans lequel elle laisse le monde aux jeunes…

« On voit quatre générations différentes actives dans ce mouvement, souligne le réalisateur de Soulèvements, il fallait que cela apparaisse dans le film. La plus jeune est la plus nombreuse et celle qui est aux manettes. Mais elle a la volonté de ne pas de ne pas passer à côté de ce qui a été vécu et porté par leurs aïeux. Ce sont par exemple des lecteurs de Bernard Lambert, le fondateur des Paysans travailleurs.« 

Carbo-fascisme

Nés après 1968, actifs notamment dans la lutte pour le Larzac, ceux-ci avaient « trois ennemis : les gros exploitants, qui « accaparent les terres, les productions et parfois les financements publics » ; l’État capitaliste, qui « accélère la concentration de la production » ; et les autres organisations paysannes unitaires (dont la FNSEA), qui « renforcent dans la paysannerie une mentalité d’assistés ».

Le « combat de survie » est le même pour les Soulèvements de la terre, qui se sont trouvés en route d’autres ennemis particulièrement menaçant : les « carbofascistes » comme Trump et le RN, et leur alliage de nationalisme, de racisme, de haine de la science et de l’écologie, meilleur adversaire du modèle extractiviste dominant.

Avec ses militant.e.s « bluffantes, démentant la vox populi d’une jeunesse dépolitisée », le film de Thomas Lacoste apporte une bouffée d’énergie et d’optimisme :

« Les Soulèvements ont dans leur champs de vision Bolloré, l’extrême-droite ou encore le salon du Bourget pour dénoncer le militarisme. Ils construisent LE soulèvement antifasciste qui va prendre de l’ampleur et dont on va avoir vraiment besoin. J’espère que le public sera nombreux pour soutenir le mouvement et que les citoyens aient à cœur de défendre cet outil magnifique. »


#cinéma

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