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Fuir Bangui, se reconstruire à Bordeaux : le parcours d’exil de Grâce à Dieu Daoua

Bercé depuis son enfance par les riffs de rumba congolaise et le chœur religieux de sa paroisse, Grâce à Dieu Daoua, artiste engagé, a dû quitter la Centrafrique en 2017 à cause de ses textes critiques envers le pouvoir. Arrivé à Bordeaux, il se reconstruit dans le domaine de l’informatique et rêve de reprendre la musique. Cinquième et dernier portrait de l’été 2025 de notre série « Du monde en Gironde ».

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Portrait de Grâce à Dieu Daoua, parti en exil de Bangui à Bordeaux après des menaces liées à son engagement artistique. (SC/Rue89 Bordeaux)
Après l’incendie en 2017 du « Studio Kagana » qu’il dirigeait à Bangui, Grâce à Dieu Daoua a dû laisser derrière lui sa passion pour la musique.

Une rencontre entre deux rendez-vous. Le jeune trentenaire, lunettes sur le nez et coiffé de près, nous retrouve après sa journée de travail au Fonds Solidarité Logement de Bordeaux. Dans cette structure publique qui aide les personnes en difficulté à accéder à un logement ou à s’y maintenir, il exerce comme technicien informatique.

« C’est important pour moi, même si je ne les rencontre pas, je sais que mon travail est utile et aide les gens », précise-t-il.

La voix calme et l’attitude humble révèlent le chemin d’un homme qui revient de loin. Grâce à Dieu Daoua a dû fuir son pays natal, la Centrafrique. « Je risquais ma vie », confie-t-il, et c’est un inconnu qui la lui a sauvée. Le 18 décembre 2017, alors qu’il prend la route de l’aéroport, cet artiste – musicien et parolier – est déjà menacé depuis plusieurs mois à cause de ses textes engagés :

« C’étaient des appels du genre : “Tu veux dire quoi ? Tu n’as pas peur des grands ?” On m’a aussi tabassé en rentrant d’un concert », raconte-t-il.

À l’embarquement, son passeport bloque. « Une policière m’a dit qu’elle ne me laisserait pas passer, parce qu’ils avaient des “enquêtes” à faire sur moi », se souvient le jeune homme, alors âgé de 24 ans. Un autre agent, « plus âgé », intervient :

« Il lui a dit de me laisser partir, que j’étais trop jeune pour ça. Il m’a rendu mon passeport… Sans lui, je n’aurais pas pu partir de Bangui, et je n’ai jamais pu lui dire merci », regrette-t-il.

« Se taire, la prison ou la mort »

Grâce à Dieu Daoua décolle d’un pays en proie à la guerre civile : « Je vivais dans un pays instable sur tous les plans. Les morts, la torture… c’est ça le pouvoir en Centrafrique. » À ses yeux, même la capitale, Bangui, ne faisait plus figure de refuge : seules quelques poches restaient sous le contrôle du régime de Faustin-Archange Touadéra, lui-même accusé de nombreuses atrocités commises contre la population.

Depuis la prise de la ville par la coalition Séléka – milice majoritairement musulmane – en 2013 et la guerre civile avec les milices anti-balaka – majoritairement chrétienne –, le pays est plongé dans un cycle de violences interethniques, politiques et religieuses. Les exactions contre les civils se multiplient, notamment dans l’ombre des troupes Wagner, présentes dans le pays à partir de 2019.

Le jeune homme et ses amis deviennent donc des cibles. « Si tu es engagé, tu as trois options : te taire, aller en prison, ou mourir », explique-t-il. Fuir s’impose. Il laisse alors derrière lui des années d’investissement dans la scène artistique locale, et son Studio Kagana, lieu d’enregistrement parti en fumée au moment où il subit des intimidations répétées. Pour Grâce à Dieu Daoua, la musique était pourtant sa voie.

Avant l’exil, la musique du pays

Né le 15 avril 1993, ce benjamin d’une fratrie de huit enfants est fils d’un vétéran de l’armée française « déporté pendant la Seconde Guerre mondiale » devenu mécanicien, et d’une femme au foyer qui tenait de petits commerces, « une vraie battante ». Le trentenaire évoque une certaine dureté.

« C’est aussi grâce à elle que j’ai réussi : une éducation à l’occidentale, beaucoup de contraintes d’un côté et plus de liberté de l’autre », raconte-t-il, dans une famille « croyante et chrétienne ».

Il découvre la musique à l’église. « Je suivais mes aînés aux cours de musique religieuse. Je restais derrière le banc, à observer, à apprendre… sans y participer, mais tout ça m’imprégnait », raconte-t-il. La suite s’écrit à la maison où l’apprenti pianiste tâtonne ses premières notes au clavier :

« Dans ma famille, ils jouaient devant moi et je les regardais. Parfois, ils me montraient quelques notes ; plus tard, c’est avec eux que j’ai commencé à pratiquer. Mais pour mes parents, c’était l’école avant tout : j’étais obligé de finir mes études en économie. »

Ses influences : les paroles engagées du Sud-Africain Lucky Dube, le groupe centrafricain Yoka Suka ou la puissance vocale du Québécois Garou… « et puis la rumba… c’est presque naturel. Cette musique fait partie de moi, elle nous influence énormément, surtout avec le Congo voisin ». Passionné de composition, il conjugue alors la production musicale avec ses études, et ouvre le Studio Kagana, où il produit des artistes locaux.

Grâce à Dieu en pleine composition dans son studio, à Bangui. Photo : D.R.

Mais tout bascule en 2017. Malgré les accords de paix signés deux ans plus tôt entre le gouvernement et les groupes rebelles, la population civile, meurtrie par des années de guerre, continue d’être la cible d’exactions.

« La répression était déjà à son apogée quand j’ai sorti la “Non à la guerre”, mon single, se rappelle Grâce à Dieu Daoua. Il tournait beaucoup sur les ondes, même sur des radios connues, c’est là que j’ai commencé à recevoir des menaces. »

L’artiste y dénonce les conflits et critique les politiques. D’abord des intimidations par téléphone, jusqu’à l’agression, destinée à le faire taire :

« Un soir, trois gars ont surgi alors que je rentrais chez moi après un concert. Ils m’ont tabassé en me répétant de dire aux gens d’arrêter de passer ma musique à la radio. »

Fuir pour survivre

En novembre, « je suis allé accompagner un concert de cohésion sociale à Bangui, quand une grenade a été lancée sur scène ». Grâce à Dieu Daoua était venu accompagner le chef d’orchestre Ozagin, dans un concert donné à la frontière des quartiers rivaux PK5 et Miskine. L’attaque fait au moins huit morts et une vingtaine de blessés. « Je me souviens du sang », confie-t-il. Cette nuit-là, des représailles contre la communauté musulmane ravivent un cycle de violences :

« J’ai été blessé et je suis parti à l’hôpital. La nuit même, mon studio a été incendié… tout est parti en fumée. C’est là que j’ai compris que je ne pouvais plus rester. Ma décision était prise. »

On l’aide à réunir l’argent nécessaire. Il laisse derrière lui ses amis, sa famille, ses jeunes années passées à tracer sa route dans la musique, son art, ses rêves et ses espoirs. Tout est à recommencer. Grâce à Dieu Daoua arrive en France, à Bordeaux, accueilli par une connaissance, dans un pays qu’il connaît à peine.

« Ici, les gens sont très sympas, et le climat me rappelle un peu celui de mon pays  », remarque-t-il en découvrant Bordeaux. Mais son enthousiasme est contrarié par le rejet de sa première demande d’asile. Il s’inquiète. « C’était devenu une obsession, ma grande peur : que se serait-il passé si la deuxième fois ça ne marchait pas ?  » Il entame son recours, aidé par France Terre d’Asile.

En Gironde

Après 18 mois de démarches, il obtient enfin le statut de réfugié en 2019. « Le plus dur est passé », souffle-t-il. Hébergé par l’association France Horizons, il bénéficie du soutien d’une assistante sociale pour se repérer dans le dédale administratif français. En 2021, il trouve un premier emploi à l’Atelier Remuménage comme technicien informatique, une association de réinsertion spécialisée dans le transport bas carbone. Il décroche un certificat, devient chef d’équipe. Un tremplin qui lui permet de découvrir le monde du travail en France, ainsi que le programme girondin impulseR.

À l’origine de ce programme, dix structures de l’Insertion par l’Activité Economique (SIAE) de Gironde. Ce parcours adapté aux personnes réfugiées combine expériences rémunérées, formations « personnalisées » et cours de français. « J’ai eu envie d’aller vers le digital, c’est lié à mon studio où je travaillais la musique sur ordinateur », souligne Grâce à Dieu Daoua. Il poursuit aujourd’hui cette activité au Fonds Solidarité Logement, où il continue de mettre ses compétences au service de son prochain :

« Les entreprises qui ne pensent qu’à faire du pognon ne m’attirent pas. Je préfère donner mon temps à une structure qui vient en aide », appuie-t-il.

Terres natales

Un parcours qu’il doit aussi aux autres. « Je tiens à remercier Florence Etourneaud, directrice du FSL, Sophie Piquemal [vice-présidente du conseil départemental de la Gironde en charge du logement, NDLR] et Brice Marson, mon tuteur au FSL, qui m’a vraiment aidé à comprendre le fonctionnement », souligne-t-il, avant de nous quitter pour aller chercher sa fille.

Ce père de deux enfants construit donc ainsi son avenir en France, même si le « pays » ne l’a jamais quitté. Grâce à Dieu Daoua ne peut s’empêcher de penser à sa terre natale, rongée par la violence, où vit encore sa mère, qu’il voudrait transférer au Cameroun. « Les meurtres, la torture et les enlèvements, il y en a toujours », appuie-t-il, en expliquant qu’il parvient à maintenir un lien avec sa famille, et des artistes qu’il a côtoyés.

Reste la musique, sa passion de toujours, qu’il rêve de retrouver « quand [sa] vie sera stable ». Informaticien, compositeur ou porteur d’aide au quotidien, Grâce à Dieu Daoua rend toujours ce qu’on lui offre, soutien ou inspiration : qu’importe les barrières que la vie dresse sur son chemin.


Cette série met en lumière les parcours de femmes et d’hommes venus d’ailleurs, qui font désormais partie du tissu local. Leurs récits rappellent que l’immigration est une richesse, humaine et culturelle. Ces portraits montrent comment chacun, par son histoire, ses compétences ou son regard, contribue à façonner une société plus ouverte, solidaire et diverse.

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Photo : Maxime Longuet/Rue89 Bordeaux

Photo : MB/Rue89 Bordeaux

Photo : DR

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