
« Le travaillisme écologique redonne du pouvoir sur un territoire, par le travail, en particulier manufacturier. Ce travaillisme, dont le cœur est une sécurité sociale professionnelle qui se traduirait par une garantie d’emploi pendant la transition, est la meilleure protection que puisse offrir une société à ceux qui la constituent – loin de la violence sécuritaire imposée par le capital-populisme. »
Si le titre du dernier livre d’Erwan Ruty vous interpelle, ce passage pourrait donner une première explication. Pour un travaillisme écologique veut donner à l’écologie un moteur qui n’est plus la culpabilité individuelle, ni la prophétie catastrophiste, mais le travail.
Ce vieux mot que le mouvement écologiste a trop longtemps laissé en friche, et même que « des écologistes ont participé à la dépréciation de l’idée de travail ».
Fin du mois, fin du monde
Le chercheur bordelais part d’un constat déjà approuvé (même dans les slogans des manifs Gilets jaunes) : l’écologie ne redeviendra populaire que si elle parle à celles et ceux pour qui la fin du mois importe autant que la fin du monde. Or, depuis quarante ans, le discours vert a souvent glissé du côté des valeurs, de la morale, de l’injonction, abandonnant au passage l’économie réelle aux libéraux et à l’extrême droite.
Ce glissement a laissé sans réponse une question fondamentale : comment vit-on, travaille-t-on, produit-on dans une société écologique ?
C’est à cette question que Pour un travaillisme écologique s’attaque frontalement. Le livre n’est pas un manuel technique ni un manifeste lyrique : c’est une tentative de reconstituer une doctrine politique là où l’écologie militante se contentait souvent d’une posture critique.
« Depuis longtemps, la pensée écologiste décrypte et analyse, elle s’insurge contre le monde tel qu’il fut et tel qu’il va […] Plus rares sont ceux qui tentent de trouver les outils et moyens de transformer ce monde, sans céder ni au renoncement réformiste ni à la facilité révolutionnaire », écrit l’auteur dans sa préface.
Bilan carbone et bilan humain
Erwan Ruty ne juge pas la critique inutile – au contraire, il en rappelle l’importance – mais il souligne qu’elle ne suffit pas. Ce dont nous avons besoin, écrit-il en substance, c’est d’une écologie opérationnelle, capable de s’ancrer dans la réalité matérielle des classes populaires, de redonner prise sur le monde par l’emploi local, l’industrie relocalisée, et une forme de dignité productive.
Là où le capitalisme contemporain promet la liberté mais impose la précarité, le livre propose une inversion radicale : protéger par le travail. Il pose un diagnostic de ce qu’il appelle le « capital-populisme », ce mélange de surenchère identitaire et de dérégulation économique qui prospère sur la peur et la désorganisation sociale. Face à cette dynamique, l’écologie doit cesser d’être perçue comme un caprice pour classes moyennes urbaines. Elle doit redevenir une politique de majorité.
Comment ? Par une transformation du système productif et la reconstruction d’une économie populaire de proximité. Erwan Ruty met en avant trois catégories sociales qui formeraient la base matérielle de cette transition : les artisans et indépendants, les ouvriers, les paysans. Ces métiers – réparateurs, cultivateurs, producteurs, transformateurs – deviennent les piliers d’une écologie qui ne parle plus simplement de sobriété mais de savoir-faire.
C’est là l’un des points les plus intéressants du livre : l’idée que la transition ne se fera pas uniquement avec des panneaux solaires et des bilans carbone, mais avec des mains, des territoires et des collectifs.
Rôle syndical
La définition du travaillisme écologique n’échappe pas au rôle syndical, « car ce sont eux qui, sur les territoires, coordonneraient l’emploi, la formation, la cogestion des lieux de production et participeraient largement à l’élaboration des programmes politiques de planification écologique ».
L’un des mérites du livre est précisément de remettre les pieds dans la glaise et les mains dans le cambouis. Pas d’utopie désincarnée ici. Les questions qui se posent sont celles-ci : comment maintenir l’emploi tout en modifiant les modes de production ? comment désamorcer la défiance populaire face à la transition ? comment articuler justice sociale et sobriété énergétique ? Et il prévient : La transition ne sera pas un long fleuve tranquille. Elle suscitera des oppositions féroces, et nécessitera un engagement politique comparable à celui des grandes conquêtes sociales du XXᵉ siècle.
Pour un travaillisme écologique est donc un livre utile. Il propose une voie médiane entre la résignation réformiste et la tentation révolutionnaire. Une voie qui prend au sérieux les réalités sociales autant que les limites planétaires. Sauver la planète oui, mais protéger les peuples par le travail aussi.
« Ainsi s’esquisse une doctrine économique et sociale de l’écologie – qui est autant une économie sociale de proximité qu’une écologie sociale de proximité. […] Cette doctrine se constitue ainsi en travaillisme écologique. »
• Pour un travaillisme écologique, d’Erwan Ruty, éditions de l’Aube, 2025. 280 pages. 22€.

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