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Supporters des Girondins malgré tout

Ce jeudi, les Ultramarines donnent rendez-vous aux amoureux des Girondins devant le Haillan pour motiver le club avant le match de samedi contre Marseille. Rencontre avec des supporters dévoués malgré la saison médiocre de leur équipe.

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Supporters des Girondins malgré tout

Le kop des Ultramarines lors d'un déplacement à Toulouse (Photo Ultramarines/DR)
Le kop des Ultramarines lors d’un déplacement à Toulouse (Photo Ultramarines/DR)

Le 8 mai à 10 heure, au Haillan, c’est le rendez vous que fixent les Ultramarines à tous les amoureux des Girondins, mais aussi aux pêcheurs de sardines et aux asthmatiques ! Plagiant là l’appel de Coluche lors de sa candidature avortée aux présidentielles de 1981, le club de supporters bordelais veut ainsi mobiliser et motiver les joueurs avant le match face à Marseille samedi. Un match de prestige face à un adversaire historique, lors duquel ils souhaitent voir leur équipe tout donner, au crépuscule d’une saison morose. Malgré une 7e place en Ligue 1, la saison des Girondins de Bordeaux n’aura pas passionné les foules…

« On s’est fait chier« , constatait carrément Francis Gillot, l’entraîneur des Girondins, le 30 mars dernier après un match soporifique de ses joueurs à Nantes (0-0). Un de plus. Ce constat, les ultras du club l’avait déjà fait dès 2011, en reprenant l’expression sur l’air de « When the Saints go Marchin’ in ». Des ultras qui se sont fait chambreurs avec le temps, toujours inventifs pour proposer des chansons piquantes.

Plus que 800 abonnés Ultramarines

Le cynisme des supporters illustre bien l’actualité du club bordelais, qui n’en finit plus de décevoir. Traduction immédiate en terme d’affluence : cette saison, le club est 18e de L1 avec un taux de remplissage d’environ 50%, soit 18028 spectateurs (contre 84% et 29267 spectateurs de moyenne en 2009-2010, les Girondins étaient alors champion de France en titre). En janvier dernier, ils étaient seulement 15058 dans le Stade pour le « derby de la Garonne » contre Toulouse, soit la pire affluence depuis… 50 ans ! Les affiches contre Paris ou Monaco font encore illusion, mais même à ces occasions le stade n’arrive pas à faire le plein.

Les soirs de faible affluence, dans le Virage Sud, les ultras ne s’installent plus dans les longues travées près de la pelouse, mais sous les toits. Car ainsi la structure en béton fait mieux résonner leurs chants, évitant à l’enceinte le pesant silence des tribunes atones. Aux grandes heures, les Utramarines remplissaient tous le Virage Sud. Actuellement ils ont près de 800 abonnés, et un « noyau dur » de 200 personnes. Qui sont ces valeureux ?

« C’est super éprouvant de suivre les Girondins », souffle Imanol, inconditionnel du club, à qui l’on doit un plaidoyer pour le retour de Yohann Gourcuff. Imanol et ses amis Thomas et Eneko sont des supporters de longue date. Thomas a été abonné au Virage Sud pendant 10 ans, Eneko depuis 6 ans maintenant.

Pour ces trois bordelais, le foot et ce club, c’est plus que du sport. Quelque chose qui a structuré leur bande d’ami. Un repère rassurant de leur jeunesse, lorsqu’ils se retrouvaient pour aller au stade. Ils ont tout connu, l’excitation de découvrir les Chamakh, Francia et autre Mavuba, les succès sous l’égide de Laurent Blanc,  la succession délicate des années Pavon.

De la soupe trop rallongée

Même quand l’équipe était entraînée par Ricardo, ils venaient. Les Girondins n’étaient alors pas flamboyants mais obtenaient des résultats, et un spectacle médiocre avec un pauvre 1-0 à la dernière minute pouvait les satisfaire.

Aujourd’hui, le trio a dépassé la trentaine et suit plus difficilement le club. Imanol est à Paris et ne peut pas aller à tous les matchs. Thomas a arrêté son abonnement à la fin de la saison dernière, malheureux de voir le Virage Sud amputé de la moitié de ses supporters. Il suit désormais plus facilement le rugby avec l’Union Bordeaux-Bègles – plus de 23000 spectateurs en moyenne, un stade a fond derrière l’équipe, des joueurs qui « mouillent » le maillot…

Un abandon de poste ? Non, ces amoureux du club ont fini par être se lasser de la logique actuelle.

« C’est comme une soupe que tu coupes à l’eau. A force d’en rajouter, elle a plus trop de gout », juge Thomas.

Un jeu chiant, un manque d’investissement de la part des joueurs, une direction sans ambition, et surtout cette habitude à chaque mercato, de vendre à la dernière minute les meilleurs joueurs, leur donne l’impression que leur club se moque d’eux. Le lien avec les supporters s’est en partie rompu, et ceux-ci ont l’impression qu’a été gâché tout l’héritage des années Blanc, lorsque l’équipe proposait un jeu plus attractif.

Des supporters qui s’accrochent

Eneko a gardé sa carte, lui. Il est abonné au Virage Sud depuis qu’il est arrivé à Bordeaux de son Pays Basque natal, il y a 6 ans pour ses études. Parce que c’est le club de la région, et parce qu’il y a un truc depuis qu’il est gamin. Surtout, depuis ce parcours exemplaire en Coupe UEFA en 1996, où l’équipe des Zidane, Dugarry et Lizarazu avait notamment renversé la vapeur contre le grand Milan AC – battus 2-0 à l’aller, les Girondins l’avaient emporté au retour 3 à 0.

Concrètement, il ne veut pas se désabonner dans cette période difficile que vit le club, et regrette les départs de ses camarades. Pourtant, la première expression qui lui vient lorsqu’on lui parle de ses expériences récentes au stade, c’est que c’est « l’enfer ». Il ne compte plus les fois ou il est ressorti de Lescure énervé, parce qu’une fois de plus son équipe s’était faite rejoindre ou dépasser en fin de match.

Et s’il continue à aller au stade, ce n’est plus pour l’ambiance qui va decrescendo, ni pour le fond de jeu qui décline, c’est pour le plaisir de la bière partagée avec les amis avant le match. Ce rite social fraternel qui subsiste malgré tout.

Jean-Marc Ayrault entraine les Girondins

Bien qu’il compare l’entraîneur actuel à Jean-Marc Ayrault, un type qui va gérer l’austérité sans faire de vagues, il continue à aller au stade, et fait au moins un déplacement par an.

Bien sur, quand comme cette saison, le club finit dernier d’une poule de coupe d’Europe avec un relégable allemand, un club israélien et une équipe chypriote, puis qu’il se fait éliminer de coupe de France par l’Île Rousse, club de CFA, c’est terriblement frustrant. Mais l’important pour lui, c’est de montrer qu’il y a un soutien inconditionnel dans le stade, de l’animation, et repousser ce cercle vicieux – une fréquentation en baisse entraine moins de rentrées d’argent, d’ou la nécessité de réduire les frais, et ainsi de suite.

Et puis, les supporters bénéficient d’abonnements très bon marché. Une saison en Virage Sud coûte 125 Euros, un prix stable depuis 4 ans, et nettement inférieur aux prix en vigueur dans les grands championnats européens.

Eneko craint toutefois de voir le nouveau stade sonner bien creux, quand viendra l’heure d’emménager au Lac. Un crève cœur en perspective pour les supporters, qui seront contraints d’abandonner leur Virage Sud, là ou s’étaient installés les supporters irréductibles à l’origine, puisque les joueurs sortaient de ce côté. Quitter le Parc Lescure, c’est pour eux délaisser une partie de leur identité, eux qui n’ont même jamais accepté la nouvelle appellation de Stade Chaban Delmas. Surtout que le nouveau stade incarne pour eux le foot-business.

Le Virage Sud du Stade Chaban-Delmas, celui des Ultramarines (DR)
Le Virage Sud du Stade Chaban-Delmas, celui des Ultramarines (DR)

Etre ultra, un mode de vie couteux

Une identité forte qui se retrouve chez les supporters les plus radicaux, les Ultramarines. Comme Clément, 26 ans, abonné depuis 6 ans dans ce groupe créé en 1987.

« Etre ultra, c’est du lundi au dimanche », dit Clément, qui différencie les ultras des supporters lambdas par leur caractère « fanatique », entendu fan de leurs club.

Ses moments libres, quand il le peut, il les passe au local des Ultramarines. Il est venu au club avec son père, qui l’amenait au stade quand il était enfant. Plus tard, en 2003, il a découvert le kop du Virage Sud, et adhéré aux Devils – ancien groupe de supporters aujourd’hui disparu –, puis aux Ultramarines. Il est venu là pour l’ambiance, pour ce groupe qui se différenciait des spectateurs par les chants, les animations, les drapeaux, et les tifos – ces grandes bâches, qu’utilisent les supporters à l’entrée des joueurs, qui peuvent recouvrir toute une tribune.

Clément suit aussi le club dans ses déplacements, et les Ultramarines revendiquent n’en avoir manqué aucun déplacement des Girondins depuis la saison 1997/1998. Il estime  avoir effectué entre 100 et 200 déplacements. Cela représente environ 150 € de son budget mensuel, et selon les saisons, la facture annuelle peut évoluer entre 2000 et 2500€.Une passion coûteuse…

« Mais être ultra, c’est prioritaire dans ma vie », dit-il.

Du Virage Sud à la Vieille Dame

D’autant que ce sont ces voyages qui lui ont procuré ses plus fortes émotions. Lors d’un match à Anfield, l’antre de Liverpool, il assure avoir vu une des toutes meilleurs ambiances, malgré la défaite des Girondins.

Il se souvient également d’un fantastique déplacement à Turin, en 2009, avec 500 à 600 bordelais en communion. Rencontrer la Vieille Dame est en effet un évènement pour les Ultramarines, qui ses sont créés après une demi-finale de coupe d’Europe face à la Juve.

En outre, Bordeaux à la chance d’avoir des ultras qui essayent de faire les choses intelligemment.

Alors même que les résultats sont médiocres, on entend peu d’insultes, pas de menace ni de vandalisme comme on peut le voir ailleurs, en France et en Europe. Selon Clément, la confiance et le dialogue président aux relations directes entre la direction et le groupe des supporters. Le président s’est notamment déplacé au local des ultras au début de cette saison pour dialoguer avec eux. Un geste rare dans le football.

Vibrer, oui, mais avec des valeurs

Les Ultramarines prônent aussi certaines valeurs, autours desquelles se retrouvent les habitués du Virage Sud. A contrario de beaucoup de groupes de supporters européens, les Ultramarines s’affichent antifascistes, contre le racisme et toutes formes de discrimination. Cette saison leur banderole contre l’homophobie – Initiée par le réseau Alerta Network dont font partie les Ultramarines – a été particulièrement remarquée, lorsque l’on considère l’ampleur qu’a pris le mouvement contre le mariage pour tous. Du coup on trouve de tout dans le Virage : redskins, punk, locks, gens « ordinaires »…

Ironie suprême, le Virage Sud a pourtant été fermé pour le match face à Guingamp, à cause d’usage répété de fumigènes. Comme il était hors de question pour eux d’accepter une autre affectation, les Ultramarines sont venus manifester contre cette interdiction à l’extérieur de Chaban. Ils ont chanté comme s’ils étaient dans leur cher Virage, et leur équipe a gagné 5 à 1. A la fin du match, Grégory Sertic, Julien Faubert et Lamine Sané sont venus les voir et leur remettre leurs maillots. Car ces quelques joueurs, formés dans le sérail des Girondins, savent ce que les Ultras apportent au club. « Ils ont toujours été là dans les moments difficiles », dit Grégory Sertic.

Et suivre leur club ils continueront, en espérant des jours meilleurs. L’avenir des Girondins, les journaux en parlent beaucoup. Il y eut la rumeur Gourcuff, père et fils, et c’est actuellement la possible arrivée de Zidane qui fait le buzz – démentie par le principal intéressé .  Une idée qui fait sourire Imanol, et qui laisse sceptique nos autres supporters. Selon Clément, ce n’est « pas forcément un cadeau fait à l’ancien meneur de jeu des Girondins, mais une idée potentiellement excitante, si elle s’accompagne d’une vrai politique sportive ». C’est là le principal, supporters « lambdas » et Ultramarines ne demandent qu’une chose, que leur club les fassent vibrer.


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