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A Ford Blanquefort, « tout le monde craint 2015 »

Alors que le Préfet croit savoir que Ford va se développer en Gironde, les ouvriers à Blanquefort ne sont pas à la fête. La résignation s’installe chaque jour un peu plus sur le site.

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A Ford Blanquefort, « tout le monde craint 2015 »

La boite de vitesse 6F35 devait assurée les mille emplois sur le site FAI (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
La boite de vitesse 6F35 devait assurée les mille emplois sur le site FAI (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Ce jeudi en cette fin de matinée, le préfet d’Aquitaine affirme à la presse son enthousiasme : de nouvelles productions de boites de vitesses arrivent. Au même moment, à Blanquefort, sur le site de Ford Aquitaine Industries, les ouvriers viennent d’apprendre qu’ils ne travailleront pas le lendemain. La raison vient d’une panne de machine. « Une excuse » selon un ouvrier. Surtout une habitude ces derniers mois.

Début juillet, la direction a affirmé qu’elle ne pouvait pas tenir ses engagements : maintenir mille emplois à FAI. C’était pourtant l’objectif fixé par la direction en février dernier – « Ils y sont », assure le préfet, Michel Delpuech. Depuis trois ans, l’entreprise a reçu 45 millions d’euros de subventions venant de l’Etat. Des aides supplémentaires pourraient aussi parvenir dans le cadre du Cice (crédit d’impôt compétitivité emploi).

Chez les ouvriers, elle s’est évaporée la joie de 2010 quand Ford Europe a annoncé son retour en Gironde. Derrière sa barbe bien entretenue, Marc* avec ses 31 ans de boite, explose :

« C’est le ras-le-bol ! Mensonge sur mensonge ! La rentabilité c’est un truc capitaliste normalement mais là il n’y a pas de rentabilité. Je crois qu’ils jouent avec l’argent de l’Etat. »

A l’heure de la débauche, c’est la résignation qui apparaît sur les visages quand on évoque l’état de leur usine. Thierry, présent depuis 21 ans, s’inquiète :

« Nos projets sont sur deux voire cinq ans. Chez Dassault, quand ils ont des projets c’est sur 15 ans. »

La cadence ne suit pas, le salaire non plus

En février dernier, le vice-président de Ford Europe, Wolfgang Schneider promettait un avenir meilleur grâce aux projets en cours et à venir. La montée en puissance annoncée de la boite de vitesse 6F35 reste faible et cette fabrication sera arrêtée d’ici 2017.

La cadence ne suit pas. Après 27 ans de métiers, Jean-Michel, ouvrier un peu enrobé regrette le temps où « on fabriquait 50 boites à l’heure. Désormais c’est 250-300 à la journée. » Mais il ne comprend pas non plus pourquoi les contremaîtres « bourrent » et « font la fourmi » autrement dit produisent plus vite et plus qu’il ne faut pour mettre de côté des boites de vitesse.

Ils sont aussi encore une poignée, une centaine peut-être à travailler de nuits, raconte un ouvrier. Basé sur du volontariat, les 3X8 ont toujours lieu notamment pour la maintenance.

« Si on chôme sept jours par mois, c’est sûr qu’au niveau de la production il va y avoir du blocage, alors il faut assurer la nuit » explique Rodolphe Petitjean, délégué CGT et près d’un quart de siècle passé dans l’usine de Ford à Blanquefort

Le chômage technique a aussi un coût pour les ouvriers. Lors de ces périodes, ils ne touchent que 70% de leurs salaires.

Le logo de Ford sur le site FAI (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Le logo de Ford sur le site FAI (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Dans l’usine, « plus un bruit »

« C’est la misère » selon Farid, prestataire. « C’est à se demander s’ils ne font pas plus de pause que de temps de travail. » Il y a huit ans, lui aussi était un Ford-Blanquefort. Depuis dans sa nouvelle entreprise, il passe une fois par an dans son ancienne usine. L’ambiance à l’intérieur s’est dégradée. Il le voit et il en entend parler. Un de ses proches y travaille depuis plus de trente ans et, à 57 ans, il enchaîne les périodes de chômage technique.

Farid regarde au loin : « Tout à l’heure, il y avait deux ouvriers qui marchaient dans l’herbe. Ils fumaient. Ils avaient l’air perdu. » Quitte à grossir le trait, il ajoute : « On aurait dit un asile ». Son collègue ajoute qu’à l’intérieur, il n’y a « plus de bruit. On n’a plus besoin de bouchons d’oreilles. » Et à l’extérieur, « il y a cinq, six ans, le parking était plein des voitures des salariés. » Ce jour, il est à moitié vide.

L’ambiance « n’est pas terrible » confirme David. A l’image de ses collègues, cet ouvrier est résigné. Le week-end dernier, la CGT Ford-Blanquefort a conduit une centaine de camarades pour refaire le décor au Mondial de l’Auto à Paris. Mais David ne s’y pas intéressé.

« On nous a demandé « Alors ? Alors ? Comment ça s’est passé ? » Mais rien de plus » commente Bruno Cerisé, membre de la CGT.

Pas de quoi le démobiliser. Ce jour-là, lui et ses camarades distribuent des tracts à tour de bras à l’heure de l’embauche. Nommé « Bonnes nouvelles », le journal de la CGT-Ford affiche un optimisme bien fragile :

« Le Salon de l’auto ? Nous y sommes allés dans des conditions difficiles, certes pas nombreux donc moins efficaces mais tout aussi déterminés. Qu’est-ce que nous en sommes fiers ! […] Cette action est une étape, un point d’appui pour la suite. Nous essaierons encore de remobiliser […] Nous espérons juste le faire avec les autres syndicats, avec le plus de collègues possibles. »

La pré-retraite comme horizon

L’usine fêtera ses 45 ans l’année prochaine. Les ouvriers ne sont pas persuadés de connaître le cinquantième anniversaire. La moyenne d’âge des salariés de FAI a été évalué à plus de 47 ans.

« Si tu me trouves un gamin de vingt ans dans les équipes, je te paie un coup » préfère rire Rodolphe Petitjean. « Depuis 2008, il n’y a plus que trois générations d’ouvriers ici. Ils ont plus de 50, de 40 ou 30 ans. Mais pas moins. Le plus jeune doit avoir 36 ans. »

L'entrée de l'usine Ford Aquitaine Industries à Blanquefort (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
L’entrée de l’usine Ford Aquitaine Industries à Blanquefort (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Pour une partie d’entre-eux, le meilleur horizon reste la pré-retraite. C’est ce qu’avoue Jean-Michel. Lui a commencé à travailler à 15 ans. Aujourd’hui, il ne veut pas se plaindre de sa condition.

« Quand j’étais routier, je travaillais de 6h à 22h. Donc tant qu’il y a du travail à Ford, je prends. On a un salaire, c’est bon. J’ai 55 ans. J’attends la pré-retraite. Mes collègues, c’est pareil. »

Un ancien délégué syndical « pas cgtiste » le confirme

« Beaucoup voudraient partir en pré-retraite, c’est sûr ! Certains attendent même l’arrivée d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Ils sont fatigués »

L’inquiétude est chez les plus jeunes, ceux qui approchent seulement la cinquantaine. Ils sont trop jeunes pour la retraite, trop âgés pour être facilement réembauchés.

« De toute façon, tout le monde craint 2015, continue l’ancien délégué. On a peur ! On a peur ! Il n’y a plus de soldats. Ils en ont marre. Il y a un manque de foi, de la nonchalance. »

Il ajoute même que le car affrété par la CGT était plus rempli de soutiens extérieurs que d’ouvriers de FAI, ce qu’avoue Gilles Lambersend (voir notre entretien). Les projets manquent selon lui comme selon la CGT.

Pour autant, les ouvriers interrogés en sont convaincus : la voiture est encore une filiale d’avenir. La CGT pas question de s’arrêter d’ailleurs. Le syndicat enverra une délégation devant le Salon de l’auto à Paris le 16 octobre. Les syndicats attendent aussi ardemment des nouvelles d’une direction qui a annulé les quatre précédentes réunions traitant de la flexibilité en entreprise.

* Tous les prénoms des ouvriers non-syndiqués ont été modifiés

Aller plus loin

Lire notre entretien entre membres de la CGT Ford et Europe-Ecologie Les-Verts : ce qu’ils ont à se dire

Le site de la CGT Ford Blanquefort


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