« Impacts sur l’environnement insuffisamment pris en compte », « rentabilité socio-économique insuffisante », « financement public incertain », « alternatives à la grande vitesse insuffisamment explorées »… C’est à la TNT que la commission d’enquête publique fait dérailler les projets de ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.
A l’issue de trois mois d’étude des conclusions de l’enquête publique, qui s’est déroulée du 14 octobre 2014 au 8 décembre 2014, ses 21 membres ont rendu ce lundi au préfet d’Aquitaine un avis défavorable à la déclaration d’utilité publique.
Et sans DUP, le projet est gelé. Le gouvernement a jusqu’au 18 juin 2016, pour se prononcer, après avis du Conseil d’État, sur la déclaration d’utilité de ce projet estimé à 8,3 milliards d’euros. Mais on voit mal aujourd’hui comment il pourrait passer outre les conclusions accablantes de la commission.
Si celle-ci reconnaît quelques points positifs au GPSO (grand projet ferroviaire du Sud-Ouest), c’est pour les nuancer aussitôt. Et elle tacle sévèrement le maître d’ouvrage (RFF, aujourd’hui SNCF Réseau) sur les questions de protection de l’environnement et d’écoute portée aux propositions alternatives à la grande vitesse. Non sans évoquer dans le rapport les ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens, illustrant la détermination et les capacités d’expertises des opposants à ces grands projets jugés « inutiles et imposés ».
Grande vitesse : « Un besoin non partagé »
Le gain de temps d’une heure entre Bordeaux et Toulouse ? Il « est important, mais cet avantage n’intéresse qu’une population qui privilégie la vitesse plutôt que le prix du billet ». Et encore : « d’un côté, les usagers voyageant pour affaire, seront peu sensibles à un prix élevé (…), mais pourront préférer la voie aérienne. D’un autre côté, les usagers se déplaçant à leurs propres frais, sans réductions, pencheront pour des billets moins chers, quitte à accepter des temps parcours un peu supérieurs ».
Quant aux 20 minutes grignotées entre Bordeaux et Dax, c’est selon la commission un gain « peu probant ». « La prise de risque représentée par la réalisation de Bordeaux-Dax apparaît à la commission excessive » au regard de la non-réalisation de la phase 2 du GPSO, c’est à dire sa prolongation vers l’Espagne.
Bref, le besoin de grande vitesse s’avère très contestable, et « non partagé » :
« Aucune catégorie, même les entreprises, n’est majoritairement favorable au projet », et ses soutiens « peu nombreux et peu mobilisés » estiment les enquêteurs, qui jugent « faible l’acceptabilité sociale ».
Alternatives éludées
Lors de l’enquête publique, une « crainte vive a souvent été exprimée », note la commission, rejoignant en fait celles de Guillaume Pépy, le patron de la SNCF :
« Le financement consenti pour les lignes nouvelles se traduira par une dégradation des moyens destinés à l’amélioration des transports régionaux et interrégionaux du quotidien jusqu’à conduire à des fermetures de gares et de lignes. »
Ils soulignent la « frustration » du public, qui aurait souhaité échanger davantage autour « des contre-propositions visant à l’aménagement des lignes existantes », « portées par quelques associations structurées, maîtrisant parfaitement le dossier ».
La commission regrette que le maître d’ouvrage n’ait pas étudié ces « solutions alternatives avec suffisamment de précision et de réalisme » :
« Affirmer que l’aménagement des voies existantes pour des vitesses de l’ordre de 200 km/h serait aussi coûteux que celle de la voie nouvelle est peu crédible. (…) Il n’est pas pertinent d’inclure les coûts de suppression des passages à niveau et des autres aménagements de sécurité (comme la modernisation des aiguillages) car ces mesures de stricte sécurité s’imposeront sur les lignes existantes dans tous les cas de figure. »
Financement : le trou noir
Fauchée, l’écotaxe prévue pour financer le fer abandonnée, la France peut-elle encore s’offrir des LGV ? La commission d’enquête est sur ce point dans la ligne des analyses sur la grande vitesse en France de la Cour des Comptes, ou du député girondin Gilles Savary, grand spécialiste du ferroviaire, dont l’entretien à Rue89 Bordeaux est cité par le rapport des experts (classe !).
Pour ces derniers, « la source des collectivités locales semble devoir se tarir si l’on prend acte de la réduction des contributions de l’Etat et de la remise en cause de la clause de compétence générale. Les difficultés connues pour le financement du projet Tours-Bordeaux ne font qu’ajouter à cette perplexité ! »
Le financement de cette LGV par le Conseil général de Gironde risque par exemple de ne pas être reconduit pour le GPSO par son futur président, Jean-Luc Gleyze, un élu du sud du département très hostile au projet.
« En définitive, la commission estime que l’intérêt économique du projet au plan régional est modeste, et faible au plan national. Le projet est peu pertinent compte tenu de la hauteur de l’investissement et du service supposé. »
Et comme la plupart des LGV françaises, peu de raison que le GPSO soir rentable, assure la commission.
« L’augmentation du prix du billet pour financer la vitesse est certaine. En fonction de son niveau, cette augmentation aura des conséquences directes sur la fréquentation, rendant encore plus incertaine la rentabilité socio-économique. »
N’en jetez plus ? Si, ça continue.
Économie : la ruralité sacrifiée au profit des métropoles ?
Si les chantiers permettront de « développer la qualification de la main d’œuvre » et de « maintenir l’activité des entreprises de travaux publics », leurs effets sur l’activité laissent perplexe la commission :
« Le fait que le maître d’ouvrage ne puisse pas donner le nombre de créations annuelles nettes d’emplois tempère fortement les annonces faites. »
Les 4000 emplois directs espérés (terrassement et génie civil principalement) ne sont selon les enquêteurs « pas tous des emplois créés », pas plus que les 4000 emplois indirects par sous-traitance et services, principalement dans les domaines de l’hébergement, de la restauration, du transport et dans la « filière bois ».
Et à terme, tacle la commission, « le développement économique se concentrera autour des gares des deux métropoles et drainera l’emploi au détriment du développement local » des villes moyennes et des zones rurales :
« La ligne nouvelle Bordeaux-Toulouse va assécher partiellement la ligne POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse). La baisse de fréquentation et le déficit d’exploitation qui s’ensuivra aura des conséquences sur la desserte des villes moyennes proches et sur les économies locales. »
Le rapport s’alarme des conséquences immédiates du chantier pour l’agriculture :
« La commission déplore la situation d’acteurs économiques dont les propriétés sont traversées par le tracé (140 exploitations agricoles dont 26 sièges, 114 exploitations forestières, 73 ha de vignes AOC, 38 établissements à caractère commercial). Les délais d’indemnisation seront longs au point de menacer la pérennité de certaines exploitations et entreprises. »
Quand la LGV vendange
Les enquêteurs citent « les risques de pollution des sols des exploitations en production “Bio” (…), pas suffisamment pris en compte ». Et s’étend sur les effet sur la viticulture :
« La consommation par le projet, des terres viticoles AOC est lourde (72,3 ha dont 48,6 ha plantés) et touche des terres viticoles à enjeux très forts » (Pessac-Léognan, Graves, les AOC Buzet, du Brulhois, Fronton), ce qui a valu au projet des avis défavorables, notamment de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux ou du CIVB.
Car « un prélèvement même faible sur une parcelle, peut être lourd de conséquences sur l’appellation puisqu’il peut conduire à un déclassement. » Et « les procédures d’aménagement foncier seront difficiles à mettre en œuvre et peu applicables », l’absence de disponibilité foncière ne permettant pas « de compenser les expropriations AOC viticoles ».
Enfin, le défrichement de 2870 ha, pour l’essentiel dans le massif des Landes de Gascogne, et représentant 0,18% des forêts en Aquitaine, « pourrait induire une perte de production de près de 10% de la récolte annuelle de ce massif ».
Environnement : le TGV pas passé au vert
L’autre argument massue des pro-LGV, c’est la réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’autoriserait le report modal de l’avion ou de la voiture vers le train. Pour la commission, cette baisse sera réelle… au bout de 10 ans d’amortissement des émissions du chantier, et « modérée », « moins de 1/1000e (0,072%) de l’ensemble des émissions nationales ».
Elle ne se fera que sous réserve des effets de la concurrence d’autres modes de transport plus économiques pour l’usager (covoiturage, autocars, avions low-cost).
En outre, soulignent les enquêteurs, ce bilan carbone « n’intègre pas tous les transferts de matériaux », un poste « largement sous-évalués par le porteur du projet, notamment en ce qui concerne le poste “terrassements”, lourdement grevé par un très fort déficit en matériaux de remblais ».
Or, précise le rapport, « l’ouverture de nouvelles carrières et gravières est un sujet hautement sensible pour les collectivités locales, les exploitants agricoles et viticoles, les associations de défense de l’environnement et les riverains. D’autre part, le transport de ces millions de mètres cube de matériaux en provenance de lieux, inconnus de la commission d’enquête, aurait dû entrer dans le bilan carbone du projet. »
Une pierre dans le jardin
Une pierre de plus dans le jardin du GPSO. Et ce n’est pas le seul en matière d’écologie, puisque la commission s’inquiète des effets de la LGV sur la qualité de l’eau :
« L’incertitude sur l’approvisionnement en eau potable de la métropole Bordelaise et de quelques communes girondines, résultant du tracé traversant le champ de captage de Bellefond-Rocher (33), doit être levée dans les meilleurs délais, sans attendre l’enquête publique “loi sur l’eau” ».
Par ailleurs, « la commission estime que les impacts sur la biodiversité, après réduction et compensation, seront plus importants que “faibles à négligeables” », les termes utilisés dans le dossier pour qualifier les incidences de la LGV sur les huit sites Natura 2000 traversés.
Elle considère notamment que « du fait de l’ampleur du projet, de son impact continu, et de la traversée d’un grand nombre de réservoirs de biodiversité, la commission pense qu’il n’est pas possible de garantir, le bon rétablissement des axes de déplacements des espèces ».
Une remise à plat probable des projets
Sur presque tous les sujets, la commission d’enquête invite à reprendre la concertation à zéro, ou presque. Elle suggère au préalable de revoir l’architecture du GPSO, notamment en remisant la ligne Bordeaux-Dax, dont « la rentabilité socio-économique n’est pas assurée ».
Lundi soir, les présidents des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées et ceux des métropoles bordelaise et toulousaine se fendaient d’un communiqué. Les grands élus du Sud-Ouest, derniers partisans farouches de la grande vitesse, sont, il est vrai, directement accusés par le rapport de vouloir le TGV plus pour l’image que pour l’intérêt de leurs territoires.
Alain Rousset, Martin Malvy, Alain Juppé et Jean-Luc Moudenc prennent acte « avec regret » de l’avis défavorable rendu par la commission d’enquête.
« A l’évidence, cet avis est “dans l’air du temps” défavorable aux grands projets d’investissements pourtant indispensables pour relancer l’économie de notre pays et préparer notre avenir. Nous nous sommes engagés il y a plusieurs années, en partenariat avec l’Etat, la SNCF et RFF, sur un projet de désenclavement ferroviaire du Sud-Ouest de la France (…). Nous ne pouvons pas aujourd’hui imaginer que ce projet soit tronqué et qu’il n’en demeure que l’axe Paris-Bordeaux dont les aménagements s’achèvent et dont la justification passe par son prolongement vers l’Espagne (…). Nous nous refusons d’envisager que l’avis de la commission (…) signifie la remise en cause du projet. C’est la raison pour laquelle nous avons cet après-midi demandé audience à Monsieur Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports, afin d’envisager avec lui les suites à donner à l’avis rendu par la commission d’enquête. »
En passant en force, par exemple ? Quand on pense qu’il y a peu, ces enquêtes publiques n’étaient que de simples formalités administratives. Tout se perd, m’sieur dame.
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