« Le compte n’y est pas », tonne la région Aquitaine. « Comme toutes les autres collectivités concernées », elle se dit « insatisfaite des propositions insuffisantes de la SNCF pour la desserte TGV » de la ligne Paris-Bordeaux, alors qu’elle « attendait une évolution légitime de ces propositions de la part de Jean Auroux ».
Dans un communiqué diffusé jeudi soir, le conseil régional constate « avec une grande déception » ne pas avoir été suivi dans les conclusions de l’ancien ministre du travail sur les dessertes et fréquences de la LGV SEA (Sud Europe Atlantique), et demande une « contre-expertise indépendante ».
Bordeaux-Paris, 13 allers-retours et demi
Jean Auroux avait été désigné par Guillaume Pépy, PDG de SNCF, conciliateur auprès des collectivités locales. Celles-ci protestent contre la réduction du nombre d’arrêts dans leur gare de la future ligne, qu’elles ont pourtant contribué à financer. Il manque encore 300 millions d’euros dans le bouclage d’un chantier de 8 milliards, dont l’achèvement est toujours prévu pour 2017.
« Le modèle proposé par la SNCF, à peine amélioré par la mission de conciliation, repose sur des trains directs rares (13 ½ aller/retours par jour seulement, avec des trous de 2 heures, et seulement une fréquence par heure en pointe), remplis à 100% ou presque, et donc sans la moindre souplesse pour des modifications de dernière minute, critique la région Aquitaine. Concrètement, ce modèle consiste à déverser, au mieux une fois par heure, 1 100 passagers sur le quai n°2 de la gare St-Jean dans deux rames duplex jumelées. Avec l’inconfort et les temps de piétinement que chacun peut imaginer… »
La région, qui finance la LGV à hauteur de 300 millions d’euros, veut « un niveau de desserte en trains directs à la hauteur de la réussite constatée sur Lyon (22 A/R), Lille (21 A/R) et Nantes (18 A/R) ». 19 allers/retours quotidiens directs entre Paris et Bordeaux permettraient selon elle de créer le « choc de fréquences » nécessaire : un train toutes les heures et toutes les demi-heures en pointe. »
Bref, un rythme capable de rivaliser avec la navette Air France, et qui « offrirait les dessertes nécessaires aux territoires situés au Sud : Montauban, Hendaye, Bayonne, Dax, Mont-de-Marsan, Pau, Tarbes, Agen, Toulouse ».
Éviter les péages
Le conseil régional se range donc du côté de Lisea. Filiale de Vinci, la société concessionnaire de la LGV Tours-Bordeaux, en a financé la moitié, l’a construite dans le cadre d’un partenariat public-privé, et en sera l’exploitante. Elle s’est aussi déclarée déçue jeudi, par la voix de son président Laurent Cavrois, des conclusions de Jean Auroux.
Et pour cause : la SNCF veut limiter le niveau des péages qu’elle devra verser à cette filiale de Vinci, qu’elle estime 55% plus élevés sur Tours-Bordeaux que sur Paris-Lyon – 48 euros par train et par kilomètres, contre 31 euros. Jean Auroux préconise donc de passer à 32,5 sillons (le créneau affecté à un train) soumis à péage par jour contre 37 sillons prévus dans la concession initiale.
La société de chemins de fer rétorque toutefois que le nombre de trains quotidiens va, lui, augmenter – de 43 dans chaque sens aujourd’hui à jusqu’à 48 en 2017. La différence entre 32,5 sillons et 48 trains s’explique par des montages en « bi-tranches » : deux TGV partent groupés de Paris et se scindent en court de route pour rejoindre deux destinations différentes.
Qui veut perdre des millions ?
Motif : à cause du développement du covoiturage, des autocars et de l’avion, la SNCF table désormais sur 13 millions de voyageurs par an entre Paris et Bordeaux, contre 15 initialement espérés. Elle estime que cette seule ligne pourrait lui faire perdre « entre 150 et 200 millions par an ». Lisea juge quant à elle possible d’atteindre les 18 millions.
A l’arrivée, les péages ne lui rapporteront qu’entre 200 et 250 millions d’euros par an. Le président de Lisea ne dit pas si cette révision à la baisse met en péril l’équilibre économique de l’entreprise. Il estime que la convention de desserte liant l’Etat et certaines collectivités du tracé « n’est pas respectée : il devient à ce stade capital que l’Etat arbitre dans l’intérêt de tous. »
Le gouvernement pourrait le faire d’ici cet été. En cas de désaccord persistant, Jean Auroux propose qu’un bilan soit tiré 18 mois après l’entrée en service. Pour le conciliateur, l’arbitrage sera très délicat :
« Lisea veut beaucoup de péages pour sa bonne gestion, la SNCF fait des efforts mais ne veut pas multiplier les trains vides, l’Etat ne veut pas voir jouer sa garantie d’emprunt de 2,2 milliards d’euros en cas de défaillance de Lisea dans le remboursement des emprunts. »
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