En 24 heures, le mouvement initié sur les réseaux sociaux aura donc mobilisé plusieurs centaines de personnes (500 selon les organisateurs, 400 selon la police). Sur le parvis des Droits de l’Homme, les Bordelais sont venus manifester leur soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Dans le calme, sans slogan, ni discours ou banderoles. Un « succès » selon ses organisateurs, vu l’urgence dans laquelle l’évènement a été monté.
Il y a là beaucoup de simples citoyens, bouleversés par les drames à répétition en Méditerranée, et en particulier par la photo d’Aylan, cet enfant syrien de 3 ans retrouvé mort sur une plage turque. C’est le cas de Julien, un étudiant de 17 ans, qui a partagé l’image sur Facebook :
« C’est un petit garçon parmi tant d’autres morts en voulant venir en Europe, mais celui qui reste insensible à ça, il n’a pas de cœur. Il faut faire quelque chose pour ces gens là, qui fuient la guerre, et c’est pourquoi j’ai voulu manifester, ça ne servira peut-être pas à grand chose, mais c’est symbolique. En France, beaucoup de gens n’ont pas beaucoup de moyens, mais vivent dignement. On se doit de permettre aux réfugiés de vivre dans la dignité. »
« Des milliers d’enfants meurent en Syrie »
Parmi les manifestants se trouvent aussi plusieurs militants de l’association Syrie Démocratie 33, dont Hala. Cette étudiante de 24 ans vit en France depuis l’âge de 2 ans, mais se préoccupe beaucoup de la situation dans son pays d’origine, où vit encore beaucoup de membres de sa famille :
« Les crimes de la dictature de Bachar El Assad, puis ceux de Daesh, font fuir beaucoup de gens, et on veut rappeler que des milliers d’autres enfants meurent en Syrie. Peu de réfugiés viennent s’installer à Bordeaux, mais une dizaine de familles sont tout de même arrivés ces derniers mois. Un cousin est arrivé par bateau, il s’est d’abord installé ici. Mais la France est plus accueillante avec les familles qu’avec les hommes seuls, et il est parti en Allemagne, où il a plus facilement trouvé une chambre où se loger, et où il va avoir des papiers. »
Présidente de Syrie Démocratie 33, Maya Safadi estime que « la sensibilisation du public français est une première étape » :
« Elle doit être suivie par une action politique. D’abord, en améliorant l’accueil des réfugiés. En France, tous les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) sont saturés, et plusieurs réfugiés sont à la rue. Puis en permettant que les ces personnes puissent vivre chez elle, en intervenant pour faire cesser le massacre en Syrie. »
Bordeaux, terre d’accueil
Est-ce justement parce qu’ils ont senti l’émotion de l’opinion publique que les politiques français bougent aujourd’hui ? Toujours est-il qu’ils étaient quelques uns, de tous bords, sur le parvis des Droits de l’Homme. La députée (PS) Michèle Delaunay, après avoir appelé les citoyens à accueillir des réfugiés chez eux, a participé à l’organisation du rassemblement :
« Le gouvernement sera d’autant moins frileux pour accueillir davantage de réfugiés s’il sent que le public est avec lui. En Allemagne, où ils sont accueillis sous les bravo, comme lors de l’exil des Allemands de l’Est. C’est magnifique. Bordeaux a une longue tradition d’accueil des étrangers – Juifs chassés d’Espagne et du Portugal par l’Inquisition, républicains espagnols… C’est pourquoi je me suis engagée très tôt pour réunir les propositions de citoyens prêts à héberger provisoirement chez eux des migrants issus des pays martyrs. »
Dignité
Mélanie Bénard-Batzen est l’organisatrice de la manifestation bordelaise, lancée sur Facebook. Assistante du groupe des élus écologistes au conseil municipal, elle a agi en tant que citoyenne, et sollicité Michèle Delaunay pour obtenir dans les temps l’autorisation de manifester de la part de la préfecture :
« Après avoir vu qu’il y avait un rassemblement à Paris, j’espérais quelque chose à Bordeaux, raconte-t-elle. Comme rien n’était fait, j’ai lancé ça en trois clics. Ce rassemblement est une question de dignité, pour faire pression sur la politique de nos dirigeants, montrer qu’on veut que ça bouge. Évidemment, il y a la question de l’après. Aucune structure à ma connaissance a mis en place un recensement pour connaître les bonnes volontés qui veulent accueillir des réfugiés en Gironde. A Paris, Singa a lancé le site internet Calm (Comme à la maison) pour des inscriptions. Je vais les contacter lundi pour reprendre cette initiative sur Bordeaux. Elle viendra compléter celle de Michel Delaunay et celle des Jésuites, Welcome. »
Villes solidaires ?
Vendredi, les 13 maires de gauche de la métropole bordelaise ont indiqué dans un communiqué leur souhait de « répondre favorablement à l’appel récent lancé pour la constitution d’un réseau de villes solidaires en faveur des réfugiés ».
Présent à Planète Cenon, une manifestation culturelle contre les exclusions qui avait lieu ce samedi, le maire de Bassens, Jean-Pierre Turon s’est dit prêt à accueillir des migrants sur sa commune selon des modalités qui devraient être discutées la semaine prochaine avec les maires PS des autres communes de Bordeaux Métropole. L’édile précise toutefois qu’il souhaite les accueillir « en nombre raisonnable pour ne pas provoquer de rejets de la part de la population locale ».
De son côté, Alain David, le maire de Cenon, joint par téléphone, rappelle que sa ville « a déjà l’habitude d’accueillir des demandeurs d’asile et des SDF. Cenon devrait proposer aux réfugiés des solutions d’hébergement similaires ; en gymnase, logement et chalets ».
Sur leur nombre, le maire ne se prononce pas mais cite en exemple la ville de Lille qui s’est déclaré prête à accueillir une centaine de réfugiés. Le Collectif pour l’égalité des droits, co-organisateur de l’évènement festif Planète Cenon, et Amnesty international, soulignent toutefois qu’ils avaient conjointement adressé en juin dernier une demande à la ville de Cenon pour accueillir des migrants syriens. Un courrier resté sans réponse à ce jour.
Appel d’air et Français frileux
Les élus redoutent-ils un retour de bâton d’un électorat censé se droitiser ? Pour peu qu’on leur porte quelque crédit, les sondages ne sont guère rassurants : près de 68% des participants à une consultation internet du journal Sud-Ouest, à laquelle ont répondu près de 3000 personnes, estiment que la France, dont la Gironde ne doit pas accueillir plus de migrants.
Selon un autre sondage d’Odoxa, à paraître ce dimanche dans Le Parisien/Aujourd’hui en France, 62% des Français pensent que les réfugiés Syriens ne méritent pas un meilleur accueil en tant que réfugiés de guerre. Ils jugeraient que leur pays est plus généreux que les autres, et n’aurait pas à faire davantage d’efforts.
L’enquête ne dit pas si les Français donnent du crédit à l’épouvantail de l’ « appel d’air », brandi par la droite, dont Alain Juppé, maire de Bordeaux et candidat à la primaire.
« Cela n’a pas de sens de parler d’appel d’air lorsqu’il s’agit de gens qui risquent leur vie en restant dans leur pays, estime Michèle Delaunay. Mais il faut une certaine fermeté car il est très probable que certains migrants économiques, et je ne leur jette pas la pierre, tentent de mettre un pied dans la porte. On doit donner la priorité aux réfugiés, et reconduire à la frontière les déboutés du droit d’asile. je suis toutefois persuadée que cette immigration ne peut que dynamiser notre pays, et changer un peu son état d’esprit. »
Conseiller muncipal (EELV), Pierre Hurmic rappelle que « la plupart des réfugiés n’aspirent qu’à une chose, c’est de retourner chez eux ».
« Il faut arrêter de dire que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Cette citation empruntée à Rocard n’est pas complète. Il a dit : “La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre sa part.” Prenons donc notre part et assumons notre responsabilité. »
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