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Plus de pouvoirs aux citoyens ? Chiche !

La ville de Bordeaux organisait vendredi une soirée débat sur la place des citoyens dans la décision publique. Pour Rue89 Bordeaux, deux experts et deux élus livrent quelques pistes – pétitions citoyenne, budget participatif… – pour renforcer la démocratie locale.

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Plus de pouvoirs aux citoyens ? Chiche !

A la Halle des Douves, modèle de participation des habitants à un projet d'équipement (DR)
A la Halle des Douves, modèle de participation des habitants à un projet d’équipement (DR)

« Des pétitions et référendums locaux pour interpeller les élus »

Florian Savonitto est maître de conférences spécialiste en droit constitutionnel (Université de Bordeaux – Centre d’Études et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l’État). Il regrette la faible utilisation des outils de consultation des habitants.

savonittoDes outils sont prévus par la loi, mais ils ne sont pas utilisés car les conditions sont trop restrictives. Ainsi, pour les collectivités territoriales, le droit de pétition est reconnu par l’article 72-1 de la Constitution française : on peut obtenir l’inscription d’un sujet à l’ordre du jour d’un conseil municipal, par exemple, si on recueille un certain nombre de signatures.

Le problème, c’est que la Constitution renvoie à une loi précisant les conditions d’exercice de ce droit pétitionnaire. Mais celle-ci n’a jamais été adoptée : il n’y a donc pas de cadre législatif pour encadrer ce droit.

Du coup, certaines collectivités ont fait le droit de pétition à leur sauce, notamment concernant le seuil de pétitionnaires exigé. Paris l’a par exemple fixé à 3% du nombre d’habitants majeurs, alors que la constitution parle de citoyens inscrits sur les listes électorales. Résultat, le dispositif parisien a été censuré par le Conseil d’Etat. En restreignant ce droit aux électeurs inscrits, la constitution empêche ainsi les étrangers non communautaires, qui n’ont pas le droit de vote, de participer à la vie locale.

Pas de droit de pétition à Bordeaux

A Bordeaux, le règlement intérieur du conseil municipal adopté le 15 juillet 2014 n’évoque pas le droit de pétition, malgré les protestations de l’opposition à l’époque. Et Bordeaux Métropole, comme les autres métropoles françaises, n’est pas considérée comme une collectivité territoriale, mais comme un EPCI (établissement public à caractère intercommunal), ce qui lui ferme le droit de pétition de l’article 72-1.

C’est toujours le débat entre démocratie représentative et démocratie directe : les élus ne peuvent voir cette dernière que comme une dépossession de leurs pouvoirs. Or le but est d’associer davantage le citoyen à la prise de décision, tout en laissant l’élu trancher à la fin.

Cela explique également que des référendums locaux, eux aussi prévus par la loi, ne soient jamais organisés. Car si au moins la moitié des inscrits a pris part au scrutin, la réponse qui l’emporte vaut décision. Aussi, les exécutifs locaux, qui sont seuls compétents pour proposer un tel scrutin, préfèrent recourir de temps en temps à des consultations, comme celle sur la fusion des départements alsaciens.

On voit donc qu’il y aurait des choses à changer au niveau des textes afin de permettre aux citoyens d’interpeller leurs représentants. Et pour cela, il faut de nouvelles pratiques de la part des pouvoirs constitués. En particulier en France : on voit par exemple que le processus d’initiative référendaire voté en 2008 ne fonctionne pas. Pour obtenir la tenue d’un référendum, il faut le soutien d’un 1/5e des parlementaires, soit 185 élus, et 4,5 millions de signatures de citoyens français ! En Italie, pour une population équivalente, ce seuil est de 500000 personnes.

« Je crois beaucoup à l’e-démocratie ! »

Pierre Hurmic, conseiller municipal écologiste de Bordeaux, milite pour expérimenter le budget participatif à Bordeaux.

hurmicNous avons proposé le budget participatif une première fois le 29 septembre 2014, en nous appuyant sur l’idée mise en place à Paris : 624 projets présentés par les Parisiens, 20 retenus après un vote électronique, pour une enveloppe représentant 5% du budget de la ville. C’est loin d’être dérisoire, et c’est un début. Depuis, d’autres villes se sont inscrites dans cette démarche, comme Rennes ou Grenoble.

Le maire de Bordeaux avait paru intéressé à l’époque, et proposé la création d’un groupe de travail qui m’aurait associé à deux adjoints de la ville, Jean-Louis David et Nicolas Florian. Mais il ne s’est rien passé depuis.

J’ai l’impression d’une certaine réticence de la part d’élus reconduits à une majorité écrasante, et qui vivent comme une concurrence ces expressions de majorité directe, comme si cela remettait en cause leur légitimité.

Le tirage au sort, « un bon début »

Pour nous, le budget participatif, ou d’autres outils de ce genre, c’est complémentaire de l’expression majoritaire. Si on veut être en phase avec les citoyens, il est urgent de développer une démocratie permanente, pas intermittente. En outre, il n’existe pas de site interactif à Bordeaux, où les gens pourraient directement faire des propositions sur leurs quartiers. Voter sur internet emmènerait un autre public que celui des conseils de quartier, plus jeune et actif que celui qui peut se déplacer en semaine à 18h30 aux réunions. Je crois beaucoup à l’e-democratie !

Bordeaux avait été précurseur en instaurant ses 8 conseils de quartier, avant que ceux-ci ne deviennent obligatoire dans les grandes villes (en 2002). Mais aujourd’hui ils ronronnent un petit peu, et ne sont pas suffisamment en phase avec les préoccupations des riverains. Si on dit aux gens : « voici une enveloppe, faite des propositions concrètes », d’une part cela les obligerait à réfléchir sur l’aménagement de leurs quartiers, d’autres part, cela serait moins clientéliste. Des subventions sont versées à telle ou telle association, très présente dans les conseils de quartiers et leurs commission permanentes, mais pas forcément représentative.

Pour éviter cette notabilisation, la mairie a d’ailleurs décidé de tirer au sort sur les listes électorales la moitié des membres des commissions permanentes. C’est un bon début : aux Assises, on trouve normal de confier de lourdes responsabilités à des jurés tirés au sort. Pourquoi pas plus de jurys citoyens en politique ?

« Prenons le risque de consulter davantage la population »

Matthieu Rouveyre, conseiller municipal socialiste de Bordeaux, vice-président en charge de la citoyenneté au conseil départemental de Gironde, voudrait ouvrir davantage les conseils de quartier.

Matthieu Rouveyre (DR)
Matthieu Rouveyre (DR)

Les conseils de quartier ont été complètement noyautés. Certes une moitié de participants aux commissions permanentes est tirée au sort, mais l’autre moitié choisie par la mairie dans une liste d’associations ou de personnalités. Ce n’est pas très démocratique, et il aurait pu être intéressant soit que l’opposition municipale y participe, soit qu’elle choisisse elle aussi quelques membres, soit encore, comme à Lille, qu’elle se mette d’accord avec la majorité sur ces représentants. Histoire d’avoir une pluralité de sensibilités dans ces instances.

Aujourd’hui, par exemple, comment les représentants des centre d’animation, financés à 90% par la ville, pourraient contester une position du maire ?

En outre les conseils de quartier sont encore souvent des réunions consistant à des présentations de projets par la ville, suivies de très brèves séances de question réponse avec la salle. Cela ne correspond pas du tout à ce qu’on attend en matière de démocratie participative.

« Prendre le pouls »

On ne demande pas aux gens de choisir des projets, mais de valider ceux de la ville. On devrait mettre davantage les Bordelais autour de la table, même si cela n’entraîne pas toujours une réponse positive des élus. Cela permettrait au moins de prendre le pouls des aspirations de la base.

Et pour des grandes décisions, on pourrait recourir à des référendums locaux ou des consultations citoyennes. Cela aurait du sens par exemple pour l’hôtel de Ragueneau, un bien appartenant à la ville et dont la vente est programmée sans discussion avec l’opposition ni annonce préalable dans un programme électoral.

D’autant que lorsque des mouvements citoyens se mobilisent, aiguillonnent la mairie, cela peut aboutir à une superbe réalisation telle que la Halle des Douves. Prenons le risque de consulter davantage la population, et pas seulement pour lui demander de l’argent pour racheter « Sanna », la sculpture de Jaume Plensa.

C’est en consultant les habitants de la Gironde, sur le terrain, pour réaliser un diagnostic partagé, qu’on s’est rendu compte de problèmes sur lesquels le conseil départemental devait davantage travailler, comme les zones blanches ou l’accès à internet. On a encore beaucoup de choses à expérimenter, pour élargir davantage encore le public, au delà des forces vives (entreprises, associations…) habituées à s’exprimer. Cela pose aussi des problèmes matériels – pas toujours évident de demander à des services d’animer des réunions jusqu’à 23 heures pour être sûrs d’avoir beaucoup de participants.

« Militer pour son quartier peut être source de plaisir »

Yvan Detraz, architecte et directeur de Bruit du frigo, qui imagine de nouvelles façons de concerter et d’associer les habitants à des projets d’aménagement ou d’architecture.

detrazQuand on a démarré avec la volonté de travailler de façon plus étroite avec les usagers sur les projets d’architecture et d’urbanisme, il n’y avait aucune culture participative, il n’y avait pas internet. Depuis on a vu évoluer les choses, et on ne peut plus dire que que la parole des gens n’est pas prise en compte dans les décisions publiques concernant leur cadre de vie.

La loi SRU (solidarité et renouvellement urbain, qui fixait le seuil de 20% de logements sociaux dans les communes, NDLR) instaurait la concertation systématique sur les grands projets. Et des dispositifs légaux obligent les communes à associer les habitants. Même si dans les faits c’est plus souvent de la communication ou de l’information faite aux habitants, aucun maire ne passe outre.

Nous on essaie d’aller plus vers des démarches de coproduction. Pour associer les gens, on peut imaginer des chantiers participatifs à tous les étages du projet urbain, du diagnostic jusqu’au choix programmatique, voire à sa fabrication. Et même des gros promoteurs comme Bouygues s’y intéressent. Sur les appels d’offre pour des équipements, des espaces publics, des logements… des compétences en concertation sont exigées, pour faire un diagnostic. Cela peut aboutir à un programme complètement différent de ce qui était imaginé au départ par une ville, comme l’aménagement des berges de l’île de Nantes, que nous avons défini avec un groupe de volontaires.

Avec le Jardin de ta sœur, réalisé aux Chartrons, on a fait la démonstration qu’avec un travail de terrain, la constitution d’un collectif, on pouvait être force de proposition auprès de la ville de Bordeaux. Un bel exemple de processus inversé : c’est la mairie qui a été associée à un projet initié par les habitants. C’était le fruit des nécessités du terrain, pas de l’agenda d’une ville.

Frilosité

Aujourd’hui, on voit que les ateliers de concertation sont très construits et cadrés. C’est honnêtement fait, plutôt efficace, mais sans réelle marge de liberté laissée aux gens. L’émancipation des habitants, ce n’est pas vraiment leur objectif, mais c’est le nôtre. Le projet est plus un prétexte pour réunir un collectif, et que des gens s’outillent sur la compréhension et l’analyse critique de leur environnement, de leur cadre de vie.

C’est pour ça qu’on utilise des processus décalés, détournés. On s’installe dans l’espace public pour créer des situations qui perturbent leur quotidien.  L’objectif, c’est que les gens prennent du plaisir, reprennent confiance dans leur parole et leur capacité, et se disent que militer pour son quartier peut-être gratifiant et source de joie. Alors que l’objectif d’une ville, c’est d’être opérationnel, et de poser les questions qu’il faut pour obtenir les réponses utiles. On fait ça aussi, mais pas que…

Les maîtrises d’ouvrage sont trop dans l’injonction, pas assez à l’écoute des initiatives de terrain, qui pourraient pourtant rentrer dans les objectifs de développement d’un territoire. Il y a beaucoup d’endroits où les gens se sont organisés en collectifs, en associations, et ne sont pas là pour râler ou faire capoter les choses. Mais ils ne sont pas suffisamment considérés, écoutés, et restent du coup dans la marge ou en opposition aux projets portés par les promoteurs.

Cette frilosité à impliquer la société civile est manifeste en France, dans un contexte où toutes les questions sont prises en charge par la puissance publique, de l’assainissement des eaux aux loisirs, des transports aux équipements… Les gens se disent que les choses seront faites quoi qu’il arrive, donc que leur parole a assez peu d’importance.


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