On les entend de loin quand on passe le dimanche près du centre commercial Bordeaux Lac. Lorsque le vent souffle vers Bacalan, quelques riverains grincheux se plaignent même de la musique, bien qu’elle s’arrête toutes les semaines vers 19 heures. Ce n’est pas du tapage nocturne, mais du barouf sans aucun doute : le parking couvert d’Auchan fait caisse de résonance au son de la batucada, donnant alors une irrésistible envie de se trémousser entre les voitures. Mieux vaut quand même s’éloigner un peu pour sauver ses ouïes, même s’il est alors plus compliqué d’observer les chorégraphies préparées pour le carnaval.
Les 70 musiciens et danseurs de VaKband répètent tous les dimanche devant l’hypermarché. Ce qui permet à la branche locale de cette association martiniquaise, fondée en 2007 (elle a fêté ses 7 ans mercredi dernier), de faire guincher les carnavaliers bordelais chaque année (voir la vidéo ci-dessous, tournée en 2013). Les Deux Rives sont le point d’orgue de saisons animées où VaKband vagabonde d’un défilé à un autre, du carnaval montpelliérain à une soirée dans une discothèque de La Rochelle.
Le carnaval des Deux Rives est en effet un évènement majeur pour les Antillais. Les DOM-TOM dépendaient jadis de l’académie de Bordeaux, et leurs étudiants « expatriés » en métropole se retrouvaient en Gironde pour défiler le samedi, et faire la fête pendant quatre jours lors d’un carnaval antillais. Cet évènement organisé par My Kartel, et où se produit régulièrement VaKband, se développe puisque près de 4 000 Antillais étaient attendus ce week-end, contre 2 000 l’an dernier (lire notre article sur les péripéties que cela a entraîné) ! Les liens universitaires restent en effet très forts. Si les formations supérieures se développent aux Antilles, à la Réunion ou en Guyane, nombre d’étudiants doivent venir à Bordeaux pour continuer leurs études, à l’image de Christine Tayliam, présidente de VaKband :
« Après une prépa littéraire à Fort-de-France, j’ai passé le concours à Sciences Po Bordeaux, où j’étudie depuis un an. Il n’y a pas d’équivalent dans les îles. »
Idem pour Soumaella Voyer, qui joue de la caisse claire dans le groupe à pied :
« On ne peut réaliser que ses trois premières années de médecine aux Antilles, je suis donc venue ici pour finir mon cursus. »
Un supermarché pas hyper confort
C’est d’ailleurs parce que la plupart des membres de VaKband sont étudiants ou salariés que le groupe doit répéter le dimanche. Problème : ce jour-là, la plupart des gymnases et autres grandes salles sont occupés par les matches et activités diverses, et l’association n’a trouvé que le parking d’Auchan comme espace libre et accessible en transports en commun. Cela se fait en accord avec la direction du supermarché, mais ce n’est pas hyper confortable, selon Christine Tayliam :
« L’hiver, c’est horrible, surtout pour nous, les danseuses. On ne peut pas trop se couvrir pour pas être gênées dans nos mouvements, ni trop se découvrir pour pas tomber malade. Mais on chope quand même vite la crève ! La mairie nous avait trouvé une solution provisoire pendant les fêtes de fin d’année, en demandant à l’école de cirque de Bordeaux, voisine de la Base sous-marine, de nous accueillir. A ce moment là, Auchan était ouvert le dimanche, et on ne pouvait pas du tout répéter sur son parking. »
Mais le chapiteau ne pouvait être une solution pérenne : sans aide supplémentaire pour ouvrir le dimanche, l’école de cirque, qui traverse quelques difficultés financières, n’a pas les moyens d’accueillir d’autres artistes que les élèves de sa formation professionnelle.
L’histoire illustre-t-elle ce déficit d’équipements culturels de proximité, tant décrié par la gauche ? Du tout, nous répond Anne Brézillon. Selon l’adjointe au maire de Bordeaux en charge de la vie associative et de la diversité, VaKband n’a pas spécialement sollicité la Ville pour trouver une salle en dehors des dernières fêtes. D’après Christine Tayliam, plusieurs solutions ont été testées – sur le campus en été quand les étudiants sont en vacances, ou à la Bastide, ce qui ne convenait pas au voisinage. Parader, OK, mais « pas dans mon jardin ».
Y aller
La parade du Carnaval des Deux Rives, consacré cette année à la Chine, partira à 14 h des allées de Tourny, puis passera par le cours de Verdun, la rue Ferrère, les quais Louis-XVIII et Richelieu, le pont de pierre, le quai de Queyries et arrivera allée Serr (Mégarama). Plus de renseignements sur le site dédié.
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