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100% d’hommes à la direction de l’ESPE de Bordeaux

L’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de Bordeaux s’est dotée depuis avril d’une direction 100% masculine. La loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche de 2013 indique pourtant sa volonté de faire de l’égalité femmes/hommes une de ses priorités. Explications par des représentants de l’intersyndicale et du comité de vigilance de l’ESPE et la politologue bordelaise Marion Paoletti.

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100% d’hommes à la direction de l’ESPE de Bordeaux

Le château Bourran à Mérignac
Le site de l’École Supérieur du Professorat et de l’Éducation au château Bourran à Mérignac (Wikipedia)

« La France, pionnière de la parité à l’Université », annonce fièrement le portail de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il est temps ! En 2012, 6% des présidents d’université et des directeurs d’établissements d’enseignement supérieur en France étaient des femmes. Nous étions dans ce domaine, les avant-derniers en Europe, juste devant le Luxembourg et son unique université.

L’éducation : un travail de femmes encadré par les hommes

Chez les enseignants du supérieur 60% des effectifs des maîtres de conférences sont des femmes, mais elles ne sont plus que 30% au grade de professeur. Hiérarchie masculine et « plafond de verre » pour les carrières féminines font ainsi de l’Université une caricature de ce que sont les inégalités en France.

On aurait pu attendre d’un service public, resté pour partie à l’abri des lois du marché, une attitude exemplaire : c’est l’inverse. La plupart des grandes entreprises ont aujourd’hui intégré, pour des raisons d’efficacité, des plans d’égalité femmes hommes dans la gestion de leurs ressources humaines, et à tous les niveaux.

L’Education Nationale est au diapason de l’Université. La féminisation de l’enseignement aurait pu en faire un poste avancé de l’égalité femmes/hommes, il n’en est rien. Le ministère annonce comme un progrès le chiffre de 24% de rectrices d’académie en 2013. Les femmes sont pourtant 82% des enseignantes à l’école primaire et 58% dans l’enseignement secondaire. Aux postes de commandes, dans le corps des inspecteurs d’académie comme dans la direction des services, la domination masculine s’affiche dans les mêmes proportions.

Le constat est le suivant : l’éducation est un travail de femmes dirigées par des hommes. Mais patience… Les ministres concernés l’ont affirmé : ça va changer !

A l’ESPE de Bordeaux on n’avance pas, on recule

La création des ESPE à la place des anciens Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) n’est pas chose facile. A Bordeaux, la tâche a été compliquée par l’obligation de rattachement de l’ESPE à une université, en l’occurrence l’Université Bordeaux 4 Montesquieu.

L’ESPE s’est retrouvée dès 2012 dans la tourmente de la NUB, une fusion des trois universités Bordeaux 1, 2 et 4. Un nouveau directeur a été recruté en décembre 2013 pour gérer à la fois le dossier de la réorganisation des études et celui la réorganisation administrative.

L’équipe qu’il a mise en place en avril 2014 laisse pantois les enseignants, réunis autour de l’intersyndicale de l’ESPE d’Aquitaine. Les quatre directeurs adjoints sont des hommes. Les quatre responsables des masters sont des hommes. Le référent du rectorat, le président et les vice-présidents, représentants des universités à ce conseil (Université de Bordeaux, Bordeaux Montaigne, Université de Pau et des Pays de l’Adour) sont des hommes. Toute la gouvernance est masculine, si l’on excepte 3 chargées de missions sur les 8 que compte l’établissement.

« Jusqu’ici, on n’avait pas trop de soucis sur la parité, il y avait une tradition de gouvernance qui intégrait nos collègues femmes, même si la représentation des hommes était plus importante », remarque Pierre Sémidor, enseignant de lettres Classiques élu Snesup/FSU au Conseil d’Ecole.

Stéphanie Péraud-Puigségur, enseignante en philosophie, elle aussi élue au CE, renchérit :

« Nous avons tous été très choqués de voir la mise en place d’un team d’hommes, remarquablement homogène, alors que les ministres de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche signent des textes réglementaires pour que la parité et l’égalité femmes hommes soit appliquées dans la Fonction Publique. »

L’intersyndicale a écrit aux ministres de tutelle pour signaler ce paradoxe, évoquant le mauvais exemple donné par l’ESPE de Bordeaux, où les femmes représentent pourtant 80% des étudiants et 60% des enseignants, tous grades confondus. Elle espère que la direction entendra mieux par ce canal les observations qui lui ont été faites de vive voix.

Le paradoxe de la parité

Le paradoxe, que ne manquera pas de soulever la partie adverse, est que les conseils qui administrent l’ESPE sont parfaitement paritaires. « Les universités partenaires de l’ESPE ont joué le jeu de la parité, le rectorat a même proposé plus de femmes que l’Université », observe Christophe Miqueu, enseignant de philosophie représentant la CGT dans l’intersyndicale.

Alors à qui la faute ? A un directeur peu soucieux de parité ? Au manque de compétences des femmes de l’ESPE ? A leur faible motivation pour les responsabilités ?

Marion Paoletti, spécialiste de la parité et enseignante en science politique à Bordeaux analyse cette situation :

« On justifie souvent l’absence des femmes dans les instances par leur manque d’engagement ou par des phénomènes d’autocensure, qui les feraient renoncer, d’elles mêmes, à se présenter sur des postes de responsabilité. Il est vrai que les femmes sont encore très pénalisées dans leur carrière car elles ont le plus souvent la charge réelle et mentale de la famille et de la vie domestique. Mais cela n’explique pas tout ! »

Un cercle vertueux

Là où la volonté de parité fait partie du projet d’établissement, les équipes dirigeantes anticipent en allant solliciter dans les « viviers » les femmes compétentes pour la gestion des affaires.

« Les femmes quand elles sont sollicitées investissent les postes dans une attitude d’application, de sérieux et de bonne volonté », ajoute Marion Paoletti.

Les cultures masculines partagées par les hommes dominants sont souvent dissuasives pour leurs collègues femmes.

« Il est souvent difficile pour les femmes de s’engager spontanément dans des mondes masculins où les conflits et la compétition sont les règles du travail collectif. Certaines le font en adoptant les codes virils, d’autres préféreront qu’on vienne les solliciter sur les compétences réelles qu’elles ont à offrir au collectif. »

Marion Paoletti (DR)
Marion Paoletti (DR)

Pour cette chercheuse en science politique, la parité est un « mot de comptable », un outil quantitatif, qui permet de fabriquer de l’égalité entre les femmes et les hommes. Un cercle vertueux pour rattraper notre retard en termes d’égalité dans tous les domaines de la vie sociale, professionnelle ou politique. Pour les universités, qui en sont quasiment au point zéro, le vivier de compétences s’en trouverait tout simplement doublé.

Une parité détournée

Dans certaines universités on se contente d’un affichage de principe, montrant que l’objectif de parité est atteint dans les conseils tout en gardant une gouvernance exclusivement masculine. C’est le choix que semble avoir fait la direction de l’ESPE de Bordeaux.

Pour les auteurs de la lettre aux ministres de tutelle, les indications données par la loi sur l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de 2013 concernant la parité, l’égalité femmes hommes, l’enseignement du genre mais aussi la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et homophobes n’ont absolument pas été pris en compte par la direction de l’ESPE. C’est dommage s’agissant d’un lieu dont la mission est de former les enseignants du premier et second degré, ainsi que des conseillers principaux d’éducation.

Ce retard important peut avoir aussi, selon l’intersyndicale de l’ESPE, un effet délétère sur le climat de l’établissement, qui n’est déjà pas très serein.


#inégalités hommes-femmes

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