C’était finalement un coup d’épée dans l’eau. En exigeant des propriétaires de carrelet qu’ils fassent expertiser leur bien pour renouveler la convention d’occupation du domaine fluvial, tous les trois ans, Voies navigables de France (VNF) s’était attiré les foudres des pêcheurs. L’association départementale agréée des pêcheurs amateurs aux engins et filets de la Gironde (ADAPAEF 33, 1500 adhérents, dont 1000 utilisateurs de carrelets) redoutait que le coût élevé de cette expertise par un bureau d’étude, estimée entre 2000 et 3000 euros, n’entraîne la destruction de la moitié des carrelets qui n’auraient pas pu présenter ces documents.
Mais VNF vient de rétropédaler : l’établissement public va délivrer « une nouvelle autorisation d’occupation temporaire pour toutes les demandes de renouvellement » qui lui sont adressées, comme l’explique son directeur dans un courrier adressé mardi à Philippe Dorthe.
La face cachée des pilotis
Le conseiller régional d’Aquitaine (PS) délégué au patrimoine et à la filière nautique en a fait part ce mercredi à la presse. Alerté par l’association des pêcheurs, qui avaient lancé une pétition, l’élu local s’était ému du sort des carrelets, « spécificité paysagère de notre région », auprès du ministre des Transports. Finalement, la nomination la semaine dernière d’un nouveau président à la tête de VNF, le député (radical de gauche) Stéphane Saint-André, a fait pencher la balance.
« La direction régionale de VNF voulait faire des économies, dans une vision très comptable, car plusieurs agents sont occupés en permanence au renouvellement des autorisations, estime Philippe Dorthe. Mais la sécurité n’est pas un problème, aucune famille ne s’est noyée dans la Garonne parce qu’un carrelet s’est effondré ! Ces installations ont été faites par les pêcheurs eux mêmes, sans aucune norme, et aucun expert n’aurait voulu s’engager sur la stabilité de ces carrelets. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas d’amélioration, en prévoyant par exemple des toilette sèches ou chimiques dans les cabanons ».
A l’issue de ces expertises, le projet de VNF prévoyait de préempter les carrelets – 800 recensés sur son domaine fluvial, sur la Garonne et la Dordogne, le double en ajoutant ceux sur l’Isle et l’océan. Ils auraient ensuite été loués aux pêcheurs, alors que ceux-ci se les transmettent dans leur famille, ou se les échangent. « Les carrelets sont loués 250 euros à l’année, ce n’est pas ça qui motivait VNF », souligne Jacques Noisette, porte-parole de la direction territoriale à Toulouse.
L’objectif : contrôler l’utilisation effective des carrelets, dont une bonne partie, suspecte VNF sans avoir les moyens de le vérifier, seraient revendus ou transformés en bungalow, sans rapport avec la pêche.
« Ce n’est pas une pêche ringarde sur le point de s’écrouler, et on ne peut pas utiliser un carrelet que si on est titulaire du permis de pêche », proteste Paul Toitot, 60 ans, facteur à Bordeaux et pêcheur amateur près de Langon, depuis l’âge de 5 ans.
Ces abris sur pilotis ne sont pas selon lui dans la situation des cabanons de pêche sur le bassin d’Arcachon, qui s’échangent à prix d’or.
Veille écologique
Par ailleurs, souligne Paul Toitot, les pêcheurs amateurs assurent une veille écologique, grâce à leurs carnets de prises qui permettent d’évaluer l’état de la ressource. Et leur activité n’est selon lui pour rien dans la situation critique de certaines espèces, comme l’alose ou le saumon, d’autant moins qu’ils n’ont pas le droit de revendre leurs poissons.
« Si les berges sont à peu près en état c’est grâce aux pêcheurs qui les nettoient et enlèvent les déchets, alors que VNF n’a que deux ou trois agents pour cela », ajoute Marc Trely, président de l’Adapaef 33.
Désormais, Philippe Dorthe plaide pour la mise en place d’une « commission permanente pour améliorer la gestion commune des carrelets entre les pêcheurs propriétaires et leur administration de tutelle ». Et qu’il n’y ait ainsi plus anguille sous roche.
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