
Inscriptions à Pôle Emploi, dossiers d’aides, lettres à la CAF… Ces formalités peuvent être source d’angoisse et éloigner l’administration et les usagers. Ces derniers – étrangers, illettrés ou personnes manquant de confiance en elles… – se tournent de plus en plus vers des professionnels. Rencontre avec ces scribes modernes.
Ils étaient scribes dans l’Égypte ancienne et clercs au Moyen-Âge. Ils sont aujourd’hui écrivains publics et rédigent pour les autres. Dans la communauté urbaine de Bordeaux, ils sont 70, dont une partie seulement se consacre aux démarches administratives. Leur carnet de rendez-vous ne désemplit pas.
Depuis cinq ans, Jean-Louis Dubourg s’installe à son bureau dans le hall d’accueil du centre social et culturel réseau Paul Bert. Cet ingénieur dans le BTP à la retraite, aujourd’hui bénévole, a commencé par des CV et des lettres de motivation, mais rapidement, il a dû élargir son champ d’action. Il intervient gratuitement deux après-midi par semaine. Et deux autres bénévoles constituent l’équipe.
« J’aide les gens à remplir dossiers de CMU, de demande de logement, de carte de séjour, déclarations d’impôts… Ils ont des difficultés avec l’écrit, la langue, les démarches administratives ou avec l’accès internet. Parfois, ils viennent juste pour que je leur imprime une attestation Pôle Emploi ou que je leur explique le sens d’une phrase. Je vois régulièrement une personne qui m’amène tout son courrier, même les publicités. Ensemble on fait le tri. »
Les « clients » de Jean-Louis affluent. Une demi-heure après l’ouverture du réseau Paul Bert, neuf personnes patientent déjà au bar. Un Sénégalais qui doit remplir son dossier pour la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) s’installe. Quelques cases à cocher, vérification des pièces à fournir et le voilà rassuré.
Seuls 44% d’écrivains publics formés
Un couple d’habitués prend le relais – « On vient faire tous nos papiers ici, c’est compliqué pour nous », témoigne le mari. Ils confient à Jean-Louis un document très « important », sans vraiment comprendre, en réalité, de quoi il relève. Un dossier de succession qu’il faut juste signer et renvoyer au notaire. Ils insistent pour le signer sous les yeux du bénévole, qui leur fait bien comprendre qu’il ne sait pas à quoi ils s’engagent en le signant. Le couple ne réagit pas. Jean-Louis a lu le dossier, et pour eux, c’est une garantie.
Ce cas de figure – l’hésitation de Jean-Louis liée à son manque de connaissances – illustre les limites du bénévolat chez les écrivains publics, que dénonce le syndicat national des prestataires en conseils et en écriture (SNPCE). « De nombreuses personnes exercent bénévolement tout en portant le titre (non réglementé) d’écrivain public, biographe, écrivain privé, écrivain de famille, ou autre », indique cet organisme sur son site. Selon une enquête du SNPCE réalisée en 2013, seuls 44% ont une formation spécifique. Et le besoin de professionnalisation se fait sentir.
« Il y a de plus en plus de points d’accès aux droits dans les collectivités locales, au même titre que l’avocat, l’écrivain public en fait partie. Nous voyons passer des appels d’offres. Le besoin de professionnalisation est reconnu », explique Anne Steier, présidente du SNPCE.
Le droit donne des devoirs
L‘Atelier Graphite, association reconnue d’intérêt général depuis peu et partenaire de la mairie de Bordeaux grâce à son implantation dans les quartiers sensibles, estime également que les compétences techniques sont essentielles pour ce métier.
Ses deux écrivains publics salariés, Gaëlle et Dimitri, sont d’ailleurs juristes. Des professionnels qualifiés qui, pour mieux être à l’écoute, doivent souvent mettre de côté leurs bagages et leurs ambitions salariales – malgré des études à Sciences Po et deux Masters, Dimitri ne gagne que 1550 € par mois. En effet, à la permanence du cours Balguerie-Stuttenberg, la question principale à laquelle répond Gaëlle Laruelle est – « Comment fait-on pour venir ? » Bien que diplômée bac + 5, elle est aujourd’hui en contrat aidé, mais estime jouer son rôle.
« Je vivais dans un quartier défavorisé et depuis que je suis étudiante, j’ai toujours eu cette fonction. J’estimais que ma connaissance du droit me donnait des devoirs. Alors avec des amis en 2007, on a créé l’Atelier Graphite. »
La permanence a ouvert un jeudi, le vendredi elle était pleine. L’Atelier Graphite en crée de nouvelles chaque année. En 2014, l’association en tient 400 et rédige près de 2 000 courriers.
Même des bacheliers recourent aux écrivains publics
Ce service est gratuit, mais afin de ne pas être accusé de concurrence déloyale par les écrivains publics libéraux, les usagers doivent être orientés par des structures partenaires. Ce sont les maisons départementales de la solidarité et de l’insertion (MDSI), la mairie du Grand Parc, la maison de la Justice et le centre communal d’action sociale (CCAS) qui font le plus régulièrement appel à l’Atelier Graphite.
« Nous rencontrons des catégories sociales de moins en moins précaires, s’inquiète Gaëlle. Des jeunes retraités, des bacheliers qui ne savent pas écrire une lettre de motivation et qui cherchent un emploi, une formation… Les informations ne manquent pas, mais il faut aller les chercher. Il y a par exemple beaucoup d’aides sociales, mais les gens doivent les demander… 80 % des personnes qui auraient droit au RSA activité l’ignorent. Il faut savoir que pour recevoir les informations de Pôle Emploi, par courrier, il faut le demander… Rien n’est fait pour l’illettrisme, alors les difficultés s’accentuent », regrette Gaëlle.
Et les rendez-vous à l’atelier Graphite se multiplient. Aujourd’hui, Dimitri Exertier s’installe dans la mairie du Grand Parc pour sa permanence. Cinq rendez-vous vont rythmer sa matinée. Lettre de résiliation d’assurance, demande d’échelonnement de créance, CV, formulaire pour l’école des enfants, une procédure d’appel à huissier… « Il n’y a pas deux rendez-vous qui se ressemblent », reconnaît-il.
Une « clandestinité » nécessaire ?
Si ce juriste parvient à répondre à toutes les questions techniques, il est parfois désarçonné par le besoin qu’ont les usagers de se confier. En rédigeant un courrier pour une jeune femme victime d’agressions répétées de la part d’une voisine, il apprend qu’elle a perdu son bébé, en écrivant une lettre destinée à apaiser des relations de voisinage, il fait la connaissance de toute la famille d’une vieille dame de 87 ans… S’il recadre ses interlocuteurs sur l’objet de leur visite, il reste à l’écoute.
« Ce que j’apprécie dans ce métier, c’est que nous sommes généralistes, on ne laissera jamais les gens sans réponse, même si on ne peut pas solutionner leur problème. C’est une bonne chose dans un monde ultra spécialisé où les démarches sont de plus en plus complexes. J’ai le sentiment que ma fonction est utile. Nous sommes le maillon manquant de la chaîne administrative », témoigne -t-il.
Alors lorsque l’on évoque la possibilité d’intégrer ce type de service au sein des administrations, comme Pôle emploi a pu le faire dans certaines communes ou des Centres communaux d’action sociale – la mairie de Bordeaux y a d’ailleurs songé –, il hésite.
« Le fait de rester indépendant nous laisse certes dans une sorte de clandestinité avec les contraintes financières que cela suppose, mais c’est un plus pour une population qui exprime une certaine défiance à l’égard des administrations. »
Une indépendance qui, aux yeux des gens, rime avec confiance.
Je suis Nadia Carboni, écrivaine publique diplômée d'Etat, exerçant à Nanterre (92) en tant que professionnelle libérale.
Votre article résume bien la réalité de notre métier. Il souligne également le problème engendré par la non règlementation de la profession, qui "autorise" actuellement toute personne, formée ou non, à s'installer comme écrivain public. Cependant, n'est pas écrivain public qui veut. En effet, il me paraît indispensable d'avoir suivi une formation complète pour exercer correctement ce métier d'accompagnement et d'écoute des personnes.
Je suis titulaire de la licence professionnelle d'écrivain public, conseil en écriture professionnelle et privée, seul diplôme d'Etat délivré par l'Université Paris 3. Il me semble important de porter cette information à votre connaissance, si besoin est.
La licence forme les futurs professionnels dans des domaines, tels que l'écriture créative et professionnelle incluant les récits de vie, la linguistique, la littérature, la rhétorique et la pragmatique, l'informatique, la psychosociologie, la sociologie de l'écriture. Elle dispense en outre un solide enseignement juridique et social et un stage de 420 heures permet de parfaire sa connaissance du terrain. Ces professionnels de l'écrit peuvent ainsi répondre efficacement à toutes les demandes de prestations liées à la communication écrite, qu'il s'agisse d'un particulier, d'une association, d'une collectivité ou encore d'une entreprise...
Enfin, un dernier point m'a interpellé. Vous écrivez :
"Les écrivains publics libéraux laissent bien volontiers le côté administratif aux associations et aux bénévoles. Ils préfèrent l’aspect littéraire du métier."
,Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation assez réductrice. On peut être à la fois professionnelle libérale et exercer en centre social, en point d'accès au droit. C'est ce que je fais depuis des années tout en recevant des clients à mon cabinet. Ces deux aspects de la profession ne sont pas incompatibles et permettent de rencontrer des personnes différentes, mais ayant toutes en commun le besoin de communiquer avec l'Autre et surtout, d'être écoutées.
Plume & Buvard est l'association des écrivains publics diplômés de la licence professionnelle écrivain public - conseil en écriture professionnelle et privée de la Sorbonne Paris 3, seul diplôme d'État statuant le métier.
Votre article présente bien le métier tel que nous l'exerçons sur le terrain, il montre le besoin toujours grandissant de l'écrivain public dans une société ultra spécialisée, où la complexité des démarches administratives et des formalités de la vie quotidienne compromettent l'accès aux droits pour tous. Il précise que les services de l'écrivain public ne sont pas seulement destinés aux personnes illettrées ou précaires, comme le public a souvent tendance à le penser.
Votre article pointe aussi – et c'est suffisamment rare dans les médias pour que nous le soulignions – les limites du bénévolat et l'absolue nécessité de former les écrivains publics et de réglementer la profession. Être écrivain public ne s'improvise pas : il doit maîtriser le rédactionnel mais aussi les codes administratifs ; les connaissances des textes et des institutions demandent une veille perpétuelle ; le profil requiert une solidité psychologique, une déontologie, une expérience...
Mais nous ne pouvons pas vous laisser dire que « les écrivains publics libéraux laissent bien volontiers le côté administratif aux associations et aux bénévoles [...] et préfèrent l'aspect littéraire du métier ». L'exemple de Nadia, ci-dessus, montre que c'est inexact. Certes, l'écrivain public libéral, parce qu'il doit vivre de son métier, doit diversifier son activité et veiller à son équilibre financier. Et nous saluons le travail responsable et réfléchi de l'association Atelier-Graphite, avec qui nous sommes en relation, qui a pensé le métier et l'accès aux services en terme de concurrence. Nous ne ferons reconnaître notre métier qu'en travaillant tous ensemble.
Par exemple, l'aide administrative à domicile cadre parfaitement avec les missions et le caractère social de la profession d'écrivain public. Des maires n'hésitent pas à confier des permanences d'écrivain public à des indépendants.
Salariés du secteur social et indépendants du secteur libéral, les écrivains publics professionnels tiennent à la pluralité et la diversité de leur métier, qui rend son exercice si intéressant. Le métier d'écrivain public est, par définition, un métier à vocation sociale. Même lorsque l'écrivain public se fait biographe, relais témoin de la mémoire individuelle ou collective, ou animateur-concepteur d'un atelier d'écriture, il privilégie la création de lien social.
Pour mieux connaître le métier, nous vous engageons à visiter le site Internet de notre association : http://plumeetbuvard.org/.
Cordialement,
Viviane Le Houëdec,
présidente de Plume & Buvard