La dalle s’élève au dessus du bâtiment Gounod. Puis le grutier amorce la descente, dirigé par les ouvriers depuis le cinquième étage. Le bloc de béton de 3,80 mètres de large vient s’arrimer aux piliers, sous les applaudissements des officiels, dont Alain Juppé et plusieurs élus bordelais, venus ce mardi inaugurer une nouvelle étape de la rénovation du Grand Parc.
Dans ce quartier populaire, des jardins d’hiver se greffent actuellement à 530 logements sociaux des barres Gounod, Haendel et Ingres. Une fois les balcons achevés, la façade est ouverte et remplacée par des baies vitrées et des portes-fenêtres. Le chantier se fait en site occupé, c’est à dire sans déménagement des habitants.
« Les appartements vont gagner de la place, de 25 à 30 m2, de la lumière et des vues exceptionnelles, souligne Anne Lacaton, une des architectes en charge du projet. Bordeaux est une ville assez basse, et ces immeubles de 10 à 16 étages permettent de prendre rapidement de la hauteur. C’est un luxe, qui ne se réduit pas à de la valeur économique. »
64500 euros par logement
L’opération GHI (qui signifie également Génération d’habitat innovant) s’élève à 34,2 millions d’euros, dont 22,5 financés par un prêt d‘Aquitains, principal bailleur social du quartier avec 2300 logements, et 6,2 millions par la CUB. Soit 64500 euros par logement. Un coût non négligeable, mais « deux fois moins cher qu’un T4 neuf, mais sans jardin d’hiver et réglage bioclimatique », estime Bernard Blanc, directeur général de l’office public HLM de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB).
« Cela va permettre une amélioration spectaculaire de la qualité de vie des habitants, se réjouit Alain Juppé, maire de Bordeaux. Il y aura quelques charges supplémentaires liées aux ascenseurs panoramiques, on peut imaginer que les quittances seront à la baisse, grâce aux économies d’énergies qui seront réalisées dans les logements. »
Selon Aquitanis, , la consommation des logements devrait en effet chuter de 185 kilowattheures/m2/an à moins de 50. Elle pourrait même frôler le zéro si les locataires utilisent bien le potentiel de ces appartements orientés plein sud, traversants, ce qui permet la circulation de l’air, et qui seront dotés de double vitrage, de rideaux thermiques intérieurs et de rideaux d’ombrage.
« La grande force de l’architecture des grands ensembles des années 1950 et 1960, issue de la Charte d’Athènes, ce sont ces bâtiments ayant la meilleure exposition possible par rapport à la course du soleil, et éloignés les uns des autres, ce qui leur permet de ne pas se porter ombrage », souligne Bernard Blanc.
A son arrivée en 2008 chez Aquitanis, le nouveau directeur a renoncé à la démolition programmée des bâtiments GHI, très dégradés. D’autant que le plan local d’urbanisme et l’Unesco empêchaient désormais toute destruction du patrimoine. Il a confié leur rénovation au cabinet d’architectes Lacaton et Vassal, qui avaient déjà travaillé avec lui à Saint-Nazaire sur un projet similaire.
Du neuf sur du vieux
Outre la création des jardins d’hiver, l’opération GHI prévoit la remise aux normes de l’électricité, la rénovation des salles de bain ne disposant pas de baignoires, ou encore la création de local à vélos et à poussettes dans les parties communes. Johanna Tranquille, 29 ans, qui habite le bâtiment Gounod, aurait aimé une rénovation plus importante de l’intérieur des logements.
« Il y a de gros problèmes d’humidité, les papiers se décollent, et mes trois enfants font de l’eczéma. Mais d’ici quelques mois, ce sera bien, quand il fera beau on pourra profiter du soleil. »
D’autres locataires sont beaucoup plus circonspects, comme Marie Carresse, 77 ans, qui juge « idiot de refaire du neuf sur du vieux ». La dame, qui vit seule et malade au dixième étage, appréhende en outre de devoir déplacer ses meubles pendant les travaux.
Dominique Privat, voisine de Marie et Johanna, estime que la moitié des habitants de l’immeuble, les plus âgés, râlent :
« Ils ne voient pas l’intérêt d’un jardin d’hiver, beaucoup ne savent même pas ce que c’est ! sourit cette aide soignante de 59 ans. Pour moi, c’est que du bonheur, car je vais avoir de la place et de la lumière pour mes plantes. Pour les jeunes aussi, c’est bien. Cela va faire un joli quartier, mais peut-être aurait il fallu d’abord mettre de l’ordre, avec un commissariat, des dos d’ânes… »
Ecoquartier avant l’heure
Limiter la circulation des voitures, rendre les pelouses aux habitants, mais aussi créer une place publique, le Parvis des fêtes, devant la Salle des fêtes restaurée, sont justement au programme de la Ville. L’ambition : changer l’image, injustement négative, du Grand Parc, pour attirer des jeunes dans ce quartier vieillissant – 30% de ses habitants ont plus de 65 ans.
« On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, plaisante Bernard Blanc et c’est pourquoi nous allons construire sur le toit des bâtiments 8 villas entièrement vitrées, dignes d’un loft bobo des Chartrons ! Cela sera le sport urbain dont tout le monde va parler. »
Le directeur d’Aquitains pense que le Grand Parc peut jouer sur ses atours d’écoquartier avant l’heure :
« Lorsqu’il a été construit sur des marécages, le slogan pour attire les habitants, c’était “Venez vivre dans la nature !” Aujourd’hui, on peut ainsi y trouver ce qu’on va chercher à Ginko : des arbres, de l’air, du ciel, des espaces pour les enfants. On a même une chaufferie collective au gaz, et on envisage de remettre en service deux puits de géothermie, qui nous permettraient d’assurer notre propre production d’énergie renouvelable. »
Toujours vert, le Grand Parc.
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