Nous connaissons tous Marie-Monique Robin, souvent sans le savoir. Son film « Le monde selon Monsanto » avait, à travers une enquête obstinée, pénétré les rouages de cette multinationale pour examiner ses produits et leurs conséquences sur l’environnement et la santé. Le film et le livre ont connu un accueil unanime par la presse nationale et internationale. Ils ont été traduits dans plus de 15 langues et diffusés dans une vingtaine de pays :
« C’est le film le plus piraté de l’histoire du documentaire, confie Marie-Monique Robin. Il est sorti officiellement et officieusement dans des langues improbables. Je salue les gens qui ont pris la peine de le sous-titrer comme au fin fond du Bengale ou au Burkina Faso pour faire connaître cette enquête. Je ne sors pas de ce film, il y a eu une prise de conscience à l’échelle mondiale qui me motive à continuer. »
En effet, après ce documentaire sorti en 2008, celle qui a reçu le prix Albert-Londres en 1995 récidive avec d’autres films qui ont ébranlé beaucoup de convictions et de croyances. « Notre poison quotidien » (2010) a ainsi fait l’effet d’une bombe quant au contenu de nos assiettes et a interpellé les pouvoirs publics sur les garanties apportées à l’alimentation.
Marie-Monique Robin revient avec un nouveau documentaire prolongeant les pistes entamées dans « Les moissons du futur » (2012). « Sacré croissance ! » est une bouffée d’air :
« C’est un parcours des initiatives les plus abouties qui sont en place dans le monde depuis 10 ou 15 ans et où on voit comment elles ont transformé leurs territoires. »
La croissance, responsable de tous nos maux ?
Les politiques ne jurent que par elle pour nous sortir de la crise : Merkel, Hollande, Obama, et bien avant eux Clinton, Mitterrand, Chirac… Tous défilent dès les premières images du film avec le même credo. « Il nous manque un point de croissance pour résoudre nos problème et pour que l’avenir redevienne une promesse », déclarait par exemple Nicolas Sarkozy.
« Les politiques continuent à entretenir le concept de la croissance sur des modèles qui sont aujourd’hui obsolètes, basés sur l’exploitation d’énergies tel le pétrole qui était bon marché dans les années 1970. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Sortons de ce modèle du “plus plus plus” qui nous conduit dans le mur. Allons vers un nouveau modèle que j’appellerai “post-croissance” qui prône le “mieux mieux mieux”… » déclare Marie-Monique Robin.
Dès les premières synthèses, le mal est identifié. Andrew Simms, économiste anglais et auteur de « La dette écologique » se lance dans une première métaphore où la population mondiale est comparée à un jeune hamster qui « double son poids toutes les semaines jusqu’à l’âge de 6 à 8 semaines. S’il ne s’arrête pas, au bout d’un an, il est capable de consommer 9 milliards de tonnes de maïs. »
Alors que dès les années 1970, la terre avait atteint la surexploitation, les regards sont tournés avec l’arrivée du XXIe siècle vers les pays émergents. William Ress, créateur du concept d’ « empreinte écologique » prévient que « si les pays émergents veulent un standard matériel européen, il nous faudra trois planètes comme la terre. Dans le cas d’un standard américain, il nous en faudra quatre. »
« C’est tout le problème, ajoute Marie-Monique Robin à propos des besoins des pays émergents. Il ne faut pas cacher la réalité et prendre des mesures pour donner l’exemple, c’est la seule chance qu’on a. Si on continue comme ça, il faudra les ressources de sept planètes comme la terre en 2050. »
Rester sous les 2 °C
Les experts sur le climat ont publié ce dimanche à Copenhague une évaluation mondiale dont le message est clair : il faut agir vite pour réduire les émissions de CO2. Rajendra Kumar Pachauri, le président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a déclaré que « nous avons peu de temps avant que la possibilité de rester sous les 2 °C ne disparaisse ».
Ce constat est le même dans le film de Marie-Monique Robin. Jean Gadrey, auteur de « Adieu à la croissance » y déplore une « croissance qui est un accélérateur de pression écologique ». Interrogé dans le documentaire, celui-ci souligne que pour rester sous les 2 °C de réchauffement annoncé, certaines décisions prises par des états font « appuyer sur l’accélérateur là où il faut freiner ».
« On sous-estime totalement ce qui se passe, surenchérit la réalisatrice. On se fixe aujourd’hui les 2 °C mais on en est loin, alors que c’était déjà un seuil très grave. Les surfaces blanches des glaciers qui “repoussent” le réchauffement des rayons du soleil se réduisent avec la fonte des glaces. Le méthane qui y est stocké sous forme d’hydrates solides redevient gazeux. Or, c’est un gaz à effet de serre au pouvoir chauffant beaucoup plus élevé que le CO2. Avec le déboisement de la forêt amazonienne, on arrive à un point de non-retour. On sous-estime totalement les conséquences. On doit réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 95 % d’ici 2050. Ce qui est absolument impossible ! »
Une post-croissance au lieu d’une croissance
Marie-Monique Robin dénonce le déni des gouvernements et reproche à la France de ne pas vouloir se dégager du système productiviste :
« On mise sur une croissance illimitée sur une planète où les ressources sont limités. On encourage plus de production, plus de consommation, donc plus de déchets et d’appauvrissement des ressources. Quand le PIB par habitant augmente de 2300 euros, les émissions annuelles de CO2 par habitant progressent environ d’une tonne. La courbe du PIB est indéniablement liée à la détérioration de la planète. Trois français sur quatre pensent que leurs enfants vont vivre moins bien. Il faut donc donner des perspectives. »
Pour proposer des alternatives, Marie-Monique Robin a sillonné la terre : « Aussi bien dans les pays du nord que du sud, les solutions convergent. » Pendant deux ans, elle a voyagé en Europe, Amérique et Asie allant à la rencontre de ce qu’elle appelle les « héros locaux » qui construisent le monde de demain, avec des initiatives parfois soutenues par les élus locaux. C’est alors que l’absence de propositions françaises saute aux yeux :
« J’ai cherché en France, explique la réalisatrice. J’ai trouvé ailleurs des initiatives plus abouties, comme la relocalisation de l’économie que permettent les monnaies locales les plus développées. Les monnaies locales en France sont jeunes et on ne peut pas encore tirer de conclusions de leur petite expérience. Mais il faut encourager ces idées et il faut une volonté politique pour le faire. La première présentation de mon film à Niort a fait venir 950 personnes, signe que les gens veulent savoir. On ne peut agir que quand on sait et les spectateurs me remercient pour cela. »
« Il faut se demander, à son échelle, ce qu’on peut faire »
A travers des solutions dénichées aux quatre coins du globe, Marie-Monique Robin rapporte des expériences menées aussi bien dans des grandes métropoles qu’en milieu rural.
L’agriculture urbaine s’installe à Toronto où « une bande de jeunes Bac +10 » ont abandonné leurs postes dans des banques et à la bourse pour assurer « un futur plus clair ». Ran Goel, ancien trader fondateur de Fresh City Farms, prône « une agriculture bien faite comme signe d’une économie bien faite ». De la même manière en Argentine, des exclus de la ville de Rosario se sortent de la crise après avoir transformé leur bidonville en jardin maraîcher.
L’autosuffisance énergétique voulue par les habitants d’une île danoise démontre que « la responsabilité commence là où vous vivez ». Le proverbe népalais, « si tu voyages dans le mauvais train, n’hésite pas à descendre », prend tout son sens dans le projet d’énergie communautaire mis en place par les 300 familles de la ville de Dharam Khola.
Ailleurs, dans un bidonville de la ville de Fortaleza au Brésil, une banque a créé « la monnaie de la vie qui sert à échanger, mettre en relation et vivre mieux » face à « la monnaie de la mort, celle qui génère de la compétition et des conflits ».
Le voyage se termine au Bhoutan. Un petit pays niché entre l’Inde et la Chine instaure le « bonheur national brut » pour défaire le lourd PIB de chaque habitant. La résolution du gouvernement sur le bonheur a été approuvée à L’ONU par 67 pays !
« Il faut se demander, à son échelle, ce qu’on peut faire, précise Marie-Monique Robin. Si on veut transformer un territoire, il faut qu’on soit attaché à son territoire. Le grand concept du global est un concept marchand qui ne profite qu’à certains, alors que la mondialisation n’est qu’un outil du capitalisme. »
« Sacrée croissance ! » est diffusé mardi 4 novembre sur Arte à 20h45. L’édition d’un livre est également prévue, ainsi qu’une exposition sur le même sujet.
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