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Santé : à boire et à manger dans les nouveaux régimes

Au pays de l’huître du Bassin, de la lamproie à la bordelaise et de la côte de bœuf bazadais, les adeptes des régimes alimentaires « New Age » se multiplient. Certains sont crédibles, d’autres relèvent de nouvelles croyances vendues sur le dos du bien-être. Témoignages.

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Santé : à boire et à manger dans les nouveaux régimes

La viande, considérée comme véhicule de stress à la mémoire cellulaire humaine (WS/Rue89 Bordeaux)
Dans certains régimes, la viande est considérée comme véhicule de stress et de violence vers la mémoire cellulaire humaine (WS/Rue89 Bordeaux)

« On ne fait pas de la vie avec de la mort », explique Florence Lafon pour évoquer son régime végétarien. Elle affirme ne plus « manger de cadavres, des aliments qui ont des informations stressées, des informations de violence, qui sont ensuite transmises à nos cellules… »

Maître Reiki (spécialiste de méthode de soins japonaise) et présidente de l’association Flo des Anges, elle concède que son régime alimentaire est un choix personnel et ne « pousse » aucun de ses clients à l’adopter. Elle ajoute cependant que pour optimiser les résultats des thérapies prodiguées, « il faut réguler, en parallèle, sa nutrition » :

« Ce ne sont pas vraiment des règles mais des notions. Il y a dans l’alimentation certains produits qui acidifient le sang, d’autres qui le rendent alcalin, donc plus doux. Avec un sang acide, la maladie s’installe plus facilement et ça peut aussi générer des colères. »

L’éveil aux vertus thérapeutiques de l’alimentation s’invite à toutes les tables. Le chef Joël Robuchon, qui ouvre la semaine prochain à Bordeaux un restaurant fondé par Bernard Magrez, témoignait récemment de son éveil aux bienfaits pour la santé des légumes et aux épices, grâce notamment à sa rencontre avec une acuponctrice en vue, Nadia Volf :

« L’avenir va nous montrer qu’ils seront de plus en plus indispensables. Nous allons vers de gros problèmes avec les protéines animales ; les scandales des poissons d’élevage en sont l’une des nombreuses illustrations. »

Les conséquences malheureuses de pratiques saines

Patrick Horst est responsable du centre Bivouac à Darwin où l’on s’initie à plusieurs formes de yoga, à des arts martiaux non-violents, et des thérapies douces… Il admet la tentation que peuvent offrir ces nouvelles pratiques de bien-être à adopter des régimes alimentaires dans le but de « compléter un état d’esprit ». Il reste cependant vigilant et guette toute attitude ambiguë chez les pratiquants et toute idéologie qui peut sembler dogmatique :

« Ici, on veille à ne pas sombrer dans une attitude sectaire et on repère les personnes qui veulent s’engouffrer là-dedans, à travers un discours ou une façon de se comporter ou de vivre. Parce que cette façon de considérer les pratiques génère un retrait de la société de l’individu. Il y a beaucoup de personnes fragiles, nos activités les tentent puisqu’elles prônent le développement personnel. »

Dans cette recherche d’équilibre, l’alimentation peut jouer un rôle, reconnaît Patrick Horst. Mais cela peut « déraper » : du bio, on passe au régime végétarien ; du végétarien au végétalien, puis au cru… Au point que certains s’isolent ou prêchent leur « bonne parole » :

« Les personnes fragiles peuvent vite devenir donneuses de leçons, poursuit Patrick Horst. Quand on commence à avoir un jugement sur les autres, on ne peut pas dire que tout va bien dans sa tête ! Si une personne vient chez nous pour régler un problème, il ne faut pas que ça en génère d’autres. C’est une conséquence malheureuse de la découverte de ces nouvelles disciplines, alors que nos pratiques sont saines. »

A l’ombre des 5 fruits et légumes par jour

Employée par une administration à Bordeaux, Roxanne (le prénom a été changé, NDLR), pas encore la trentaine, est devenue depuis 2 ans « crudivore » et ne jure que par le cru, les jus et la centrifugeuse.

« J’avais des allergies à tout. J’avais des boutons gras sur la peau et surtout, je me sentais grosse. Depuis que je me suis mis au cru, je me sens plus positive. Peut être que, au fond, rien n’a changé en moi, mais je m’accepte comme je suis et je me sens beaucoup mieux. Depuis, je cours 5 à 6 km toutes les semaines, alors qu’avant je ne pouvais même pas courir 500 mètres sans m’essouffler et renoncer. »

Roxanne fait l’apologie de l’instinctothérapie : théorie de l’alimentation fondée sur les lois de l’évolution qui exclut la cuisson, les céréales, les produits laitiers… Elle cite parmi ses maîtres références, Irène Grosjean et Thierry Casasnovas. A propos de ce dernier, Rue89 vient de consacrer un article sur ses méthodes douteuses et ses vidéos rentables diffusées sur Youtube.

Roxanne compte bien suivre la trace de ses maîtres et a l’intention d’approfondir ses connaissances pour en faire son métier et quitter le monde de l’administration. Elle recherche en parallèle le financement d’une formation en sophrologie.

Sur ces régimes alimentaires particuliers, Jean-Luc Colia, directeur de l’École de Sophrologie existentielle Bordeaux Aquitaine, n’apporte aucune caution :

« Contrairement à d’autres nouveaux outils, la sophrologie ne prône pas des règles de vies, comme un régime alimentaire. Ce qui n’empêche pas que certains prennent conscience des problèmes de leurs nutritions et changent leurs modes alimentaires. La sophrologie n’est pas dogmatique. Il y a un cadre et une rigueur, certes, mais pour permettre de découvrir son libre arbitre. »

L’autonomie médicinale par l’alimentation

Vanessa, la cinquantaine, privilégie la nourriture végétarienne et bannit le lait et les produits laitiers de ses repas et ceux de ses enfants :

« Le lait est un poison. Mes enfants n’en ont jamais bu et ne tombent jamais malade, pas même un rhume. Depuis que j’ai convaincu mes parents d’arrêter d’en boire, tous les problèmes d’articulation dont ils se plaignaient ont disparu. Le lait de vache est pour les veaux, nous ne sommes pas des veaux ! »

Cette adepte des soins alternatifs favorise l’homéopathie pour traiter les maladies. Comme elle, Isabelle, une autre quinqua et végétarienne, se vante de fréquenter plus souvent « les cabinets de bien-être que les cabinets médicaux » :

« J’ai testé la réflexologie plantaire, le Nursing Touch et récemment l’hypnose pour réduire ma consommation d’alcool. Depuis, je suis moins dans l’addiction. Depuis toujours, je fais attention à ce que je mange, bio et surtout pas de viande, car pour moi, ma nourriture est ma médecine. »

Marie-Laure Soler, est aromathérapeute. Elle défend sa pratique comme étant une forme de médecine naturelle proche des « remèdes de grand-mère ». Elle considère son métier comme un apprentissage à l’autonomie médicinale via des préparations qu’elle fournit à ses patients :

« J’ai découvert les bienfaits de l’huile d’argan par ingestion : contre le cholestérol et les difficultés de digestion… Le fait d’être autonome avec sa santé est une chose très importante. Cette autonomie se concrétise avec des recettes que la personne peut s’accaparer : comment utiliser les huiles essentielles à la maison ? comment les utiliser en cuisine ? L’huile de nigelle est indispensable pour les défenses immunitaires et il suffit d’en mettre dans les salades… »

Le premier effet recherché est le contrôle

Matthieu de Labarre, sociologue de l’alimentation et de la santé publique, enseignant, jusqu’à l’année dernière, à l’Université de Bordeaux et IUT Michel Montaigne Université de Bordeaux 3 explique :

« Le travail sur soi qu’implique un régime peut conduire les individus à un sentiment d’estime d’eux-mêmes et une réconciliation avec leur corps. Mais il ne faut pas négliger la part sombre que celui-ci recèle. A travers des décisions sur son alimentation, une personne veut d’abord montrer qu’elle a le contrôle, le pouvoir de décision. Dans une société où l’individu se sent dévalorisé, il agit sur lui-même. Les résultats lui procurent une satisfaction, ce que j’appelle dans mes travaux “un narcissisme moderne”. »

Contre ce « narcissisme moderne », Jacques Domergue, chirurgien et homme politique UMP, a alerté François Fillon en 2010, alors Premier ministre, sur « les nouvelles pratiques de nutrition issues de la mouvance “new age”. Ces régimes restrictifs associés à des thérapies alternatives peuvent mettre en danger la santé des individus. Derrière les techniques alimentaires, se profilerait un corpus idéologique et spirituel à tendance sectaire ».

Le gouvernement a alors pris position et annoncé qu’il était « particulièrement vigilant face aux incidences des dérives sectaires sur la santé publique, notamment au regard de la multiplication de propositions d’ordre thérapeutique dans le domaine du bien-être et de l’alimentation (…). Si certaines ne posent aucune difficulté, sur le plan de la santé ou des dérives sectaires, d’autres en revanche proposent un régime très carencé (…). Elles peuvent être regardées dans certains cas comme un élément constitutif des techniques propres à altérer le jugement afin d’abuser de la faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique, faits qui sont réprimés par l’article 223-15-2 du code pénal. »

Ce que ni le chirurgien, ni le gouvernement, n’avaient précisé, c’est la nature des régimes incriminés. Un rapport du Sénat sur les dérives thérapeutiques, rendu l’an dernier, faisait état de deux affaires de condamnations par la justice de parents suite aux décès de leurs bébé pour cause de carences alimentaires : en 2011, un couple de végétaliens à écopé de cinq ans d’emprisonnement par la Cour d’assises de la Somme. A Quimper, ce sont des parents adeptes de la kinésiologie et des lois biologiques du docteur Hamer, qui ont causé la mort de leur enfant par un régime alimentaire excluant protéines animales et vitamines.

Inversement, Pierre Dukan a été radié de l’Ordre de Médecins. Son régime hyper protéiné était sur la sellette : pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), l’alimentation trop riche en calcium, sel, fer et protéines peut entrainer carences et déséquilibres, des risques physio-pathologiques (pour les reins, notamment), voire des cancers.

Thierry Casasnovas continue à prétendre guérir du crabe par le tout cru.


#Bivouac

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