La Marmaille Improvise, la compagnie d’improvisation théâtrale chargée des ateliers aux collèges Auguste Blanqui et Aliénor d’Aquitaine à Bordeaux et Georges Lapierre et Montaigne à Lormont, ne veut pas en rester là : elle cherche des financements pour instaurer cette pratique dans toutes les villes de la CUB. Elle partage le rêve de la fondation Culture & Diversité, qui favorise l’accès des jeunes issus de l’éducation prioritaire aux arts et à la culture : intégrer l’impro au programme scolaire.
Au collège Auguste Blanqui, situé à Bacalan, une petite dizaine d’élèves s’agitent dans une salle, après les cours. Ils poussent bureaux et chaises pour créer un espace d’expression et de création. Le leur.
Autour de Cédric Bonneau, comédien et directeur artistique de la Marmaille Improvise, ils s’échauffent, se connectent entre eux. « Grande gueules » et petits timides prennent leur place dans le cercle, gentiment tancés par un animateur railleur. Si l’atelier se passe dans une ambiance détendue, les messages véhiculés sont sérieux : l’écoute, le respect des autres et le partage.
« On leur apprend à appliquer les codes et techniques du théâtre d’improvisation pour créer une histoire pour cela, la base c’est l’écoute, le lâcher-prise et la concentration », explique Cédric Bonneau.
Bref, rien d’évident pour des collégiens entre 12 et 15 ans, perçus pour les uns comme des perturbateurs, et pour les autres comme des introvertis. Pourtant l’alchimie fonctionne.
Des élèves réconciliés avec le collège
Après les exercices et quelques recadrages, place à l’impro. Les équipes s’affrontent sur le thème « chéri, où sont mes clés ? » Un bref caucus (moment de concertation entre les joueurs avant le début de l’impro) dans le calme et les joueurs se lancent. Contrairement à ce qu’il se passe en cours, ils sont volontaires pour commencer. La magie opère…
Térésa tente d’impressionner – enfin surtout de faire rire – l’assemblée en employant le mot « péripétie ». « T’as vu ? J’ai révisé mon français », lance-t-elle à Cédric, avec ironie.
Les plus timides Roman et Victor sont les premiers à attaquer et ils entraînent leurs camarades dans leurs histoires.
Jugée très scolaire, Mathilde parvient à ne pas se laisser désarçonner par l’imagination débordante de Victor et le suit dans son histoire en mimant un plongeon dans une piscine pour aller chercher des clés.
Et ceux qui utilisaient un langage familier en début de séance, s’expriment tout à coup très bien. Les élèves sont motivés par la finale du trophée d’impro qui en attend certains au théâtre Comedia à Paris le 18 mai 2015.
L’atelier se termine. Pour Cédric, l’objectif est atteint puisqu’il a entendu un élève dire « on s’écoute ». « Généralement, ce sont des élèves qui n’écoutent personne », sourit-il. L’intérêt des ateliers d’impro réside aussi dans cette petite phrase.
« Il garde les bénéfices des ateliers jusque dans les cours, constate Véronique Le Halpere, professeure de français à Blanqui qui assiste chaque semaine aux cours d’impro, ils apprennent à écouter, à approcher l’autre »
Soif d’occupation
Et par extension, ces élèves se réconcilient avec le collège. C’est d’ailleurs l’objectif de l’accompagnement éducatif, la mesure qui englobe tous les ateliers non scolaires dispensés au sein des établissements.
« Cela permet à des jeunes de ne pas décrocher du système scolaire, ces ateliers font partie des à-côtés du collège, ce sont des lieux de vie. Peut-être que l’élève est content de venir uniquement pour les matchs d’impro. Sans cet accompagnement éducatif – qui suppose une implication pédagogique des animateurs – certains ne seraient pas en mesure de faire leurs devoirs », indique Marie-Pierre Robin, principale de Blanqui.
Même constat pour Guillaume Ciret, son homologue de Georges Lapierre, à Lormont, où 100 des 550 élèves participent à des ateliers après 16h30. « Il y a une grosse demande, ces élèves ont soif d’occupation ».
« Avec le théâtre d’improvisation, on les voit s’épanouir, prendre confiance en eux. On gagne quelques années, grâce à l’impro. J’ai vu un élève au bord du conseil de discipline changer de comportement, percevoir les adultes différemment et comprendre qu’ils n’étaient pas là pour l’écraser. Et cela leur permet de s’exprimer à l’oral. Ils n’ont pas de cours pour ça. »
S’imposer par la sympathie
Les élèves sont d’ailleurs les premiers à le reconnaître. A Auguste Blanqui, ils témoignent à la volée :
« J’étais timide et aujourd’hui, je me sens moins impressionnée quand je parle à un prof » ; « Maintenant, c’est plus facile avec les autres » ; « Ça me donne la possibilité de m’exprimer » ; « Ça m’aide à surmonter ma peur de parler aux autres ».
Et dans ce lieu, où l’image est essentielle, ils peuvent s’en forger une nouvelle.
« Ces élèves n’ont pas l’habitude d’être ensemble, je suis sûr que certains ne se prennent plus de claques dans la cour, alors qu’avant ils devaient s’en prendre… Les plus effacés n’ont pas les moyens de s’imposer par la force, ils vont pouvoir le faire par la sympathie », estime Cédric Bonneau.
5000 € par an pour un atelier
Le souhait de la fondation Culture et Diversité est d’intégrer cette pratique au programme scolaire, au même titre que le dessin ou le sport. Un doux rêve pour Guillaume Ciret – « si tous les collèges situés en ZEP pouvaient proposer des ateliers, ce serait déjà bien » – et une banalisation qui serait dommageable pour Véronique Le Halpere – « ça ne doit pas être contraignant, on en perdrait la substantifique moelle ».
Pour l’heure, la Marmaille Improvise tente d’essaimer à travers la CUB, mais à la rentrée prochaine, un seul collège supplémentaire accueillera les ateliers de la Marmaille, à Floirac. Peu d’établissements ont les moyens de s’offrir cet atelier. Son coût avoisine les 5 000 € par an, contre 500 € pour des activités plus classiques.
« Sans argent, pas de théâtre d’improvisation », reconnaît Guillaume Ciret qui bénéfice d’un financement municipal.
Attachée à son souhait d’aller à la rencontre de plus de collégiens, la Marmaille s’attaque à la recherche de fonds avec le soutien de la mairie de Bordeaux. Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la cohésion sociale et territoriale s’est montrée intéressée par le projet et réfléchit aux possibilités de financement.
« L’improvisation facilite l’émergence d’une parole, d’un talent. On essaie de soutenir des activités artistiques dans les quartiers prioritaires de la ville, reconnaît Alexandra Siarri. On pourrait trouver cela superflu pour des gens en difficultés, mais non, il en va de l’accès à la culture ».
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