Des souris chez soi, une mauvaise nouvelle ? Certes, ces bestioles peuvent faire des dégâts et véhiculer des maladies : rongeuses compulsives, car leurs dents poussent en permanence, elles grignotent indifféremment votre isolation, vos meubles, vos câbles électriques… Porteuses de virus (hantavirus) et de bactéries (leptospires, salmonelles), elles peuvent les transmettre à l’homme, notamment en infectant les aliments qu’elles auront attaqués dans le garde-manger.
Mais bonne nouvelle : elles sont quand même plus faciles à déloger que des fantômes. Charlotte, Bordelaise de longue date, a posté l’autre jour sur son mur Facebook : « J’héberge, je nourris, je vide la caisse du chat croqueur de souris que vous voudrez bien me prêter 8 jours. » Contactée quelques temps plus tard, elle nous apprend qu’elle n’a pas eu besoin de chat, finalement :
« J’ai profité d’une semaine seule à la maison pour mettre du poison un peu partout, derrière le frigo, le long des murs, et je n’ai pas revu la souris depuis. »
Le petit mammifère avait pris ses aises, n’hésitant pas à traverser le salon tandis qu’elle se reposait sur son canapé. Une chance pour Charlotte, elle n’est pas phobique :
« Je trouve ça un peu sale dans l’absolu, mais plutôt mignon finalement. J’ai toujours eu des souris à Bordeaux, peut-être un peu plus à l’époque où j’habitais sur les quais qu’aujourd’hui, mais la preuve est qu’il y en a même à deux pas de la mairie. Tant que ce n’est pas l’invasion, c’est tout à fait gérable. »
Souriez, voilà la 3D
Charlotte a acheté son souricide au supermarché, mais elle aurait pu en récupérer auprès du service hygiène de la mairie de Bordeaux qui en distribue gratuitement derrière la gare, 3 rue de Saïgon, où loge l’unité 3D – pour désinfection, désinsectisation, dératisation. Le chef de ce service, Didier Blasquez, prévient toutefois que ces appâts empoisonnés ne seront plus remis aux particuliers après le 31 mars, pour cause d’évolution de la législation européenne qui cherche à harmoniser et encadrer plus strictement la mise à disposition sur le marché des produits biocides.
Spécialiste de la lutte contre les nuisibles, sur lesquels il passe beaucoup de temps à se documenter, il nous explique le b.a.-ba de la souris :
« Elle vit sur un tout petit territoire et circule par des ouvertures de seulement 0,5 centimètre de haut : le premier des réflexes est donc de boucher autant que possible ces voies d’accès. La souris n’a pas besoin de point d’eau, elle en trouve suffisamment au sein même de sa nourriture, qu’elle prélève à différentes sources, il faut donc répartir les appâts tout au long de son trajet pour qu’elle ingère la quantité suffisante de poison. Les tapettes et les pièges à glu fonctionnent de façon plus aléatoire. Quant au chat, il est rarement efficace, et les machines qui diffusent des ultrasons ne le sont, elles, pas du tout. »
Le rat, comme un poisson dans l’eau usée
Vous n’avez que des souris ? Réjouissez-vous, certains ont vu des rats se pointer chez eux ! Quand ils contactent Benoît Cottin, de l’entreprise béglaise LGH, ils sont beaucoup plus nerveux que ceux qui cohabitent avec des souris…
« Un rat dégage une odeur affreuse liée à son passage dans les égouts et aux phéromones qu’il produit. C’est un premier indice de sa présence dans une maison, avec ses crottes bien sûr, qui sont beaucoup plus grosses que celles des souris. »
Dans le métier depuis 12 ans, ce trentenaire formé en entomologie s’amuse du côté « jeu de piste » de la dératisation :
« Un bon technicien prend le temps de tout observer pour comprendre le comportement du rat, savoir où il niche, connaître son trajet en repérant les traces de suint (dépôt graisseux) laissées par ses vibrisses le long des murs – les rongeurs ont une très mauvaise vision, ils se repèrent donc avec leur « moustache ». Ensuite, si on ne parvient pas à l’attraper, il faut évaluer la dose de poison nécessaire, le disposer au bon endroit et assurer un suivi, trois jours après. »
Les téméraires arrivent sur le trône
Dans son véhicule, Benoît transporte aussi un peu de matériel de maçonnerie, car les rats proviennent quasiment toujours d’un défaut structurel de l’habitation, connectée à un égout mal isolé, une canalisation abîmée, ou dotée d’une cave sans soupirail grillagé, d’une gouttière sans crapaudine. Tant que ce problème ne sera pas résolu, l’habitation ne sera pas « étanche ». Les rats se glissent dans des interstices d’un centimètre.
Plus problématique, les aventuriers qui remontent… par les toilettes. Ce n’est malheureusement pas une légende urbaine, confirme Benoît, intervenu sur ce type de cas chez un particulier près du cours de l’Yser il y a quelques mois : il suffit qu’un rat un peu téméraire, en quête d’un nouveau territoire, se lance le long du tuyau d’évacuation et ne rencontre pas de clapet anti-retour – dont peu d’habitations anciennes sont dotées – pour se retrouver dans la cuvette. Excellent nageur, il aura franchi le siphon sans problème. Et pourra ensuite sauter par terre si le couvercle des toilettes n’est pas rabattu.
En sous-sol, éviter la prolifération
« On n’éradiquera jamais les rats des villes, constate Didier Blasquez, de la Mairie de Bordeaux. Le but, c’est de les maintenir à un niveau acceptable pour la population. »
Son service n’intervient qu’exceptionnellement chez les particuliers, pour ne pas faire concurrence aux entreprises spécialisées, mais délivre des conseils par téléphone. L’essentiel de sa mission anti-rongeurs porte sur le patrimoine municipal, les espaces publics et les locaux de restauration des crèches, écoles et autres résidences pour personnes âgées.
C’est donc une lutte réduite, en surface, sachant que les rats évoluent « à 90% dans les égouts », rappelle Didier Blasquez. Un territoire dont la responsabilité incombe, sur l’agglomération bordelaise, à la Lyonnaise des Eaux. Et dont la dératisation n’est pas sans rappeler le mythe de Sisyphe.
Comme l’explique Sylvie Faye, responsable du pôle réseaux de l’assainissement de Bordeaux Métropole, son entreprise, la SGAC (filiale de la Lyonnaise des Eaux) a pour obligation contractuelle de mener deux campagnes de dératisation par an, l’une au printemps, l’autre en automne. Elle intervient aussi de façon ponctuelle sur différents sites, en général à la demande des municipalités dans le cadre de travaux d’aménagement urbain. Ces derniers dérangent en effet les populations de rats qui ont alors tendance à migrer et à faire surface.
3500 regards traités sur 125 000
Auparavant, la SGAC sous-traitait le problème. Depuis l’an dernier, elle a formé une équipe de quatre personnes qui s’en occupent avec, semble-t-il, beaucoup de bonne volonté mais des moyens qui paraissent hors de proportion face à l’ampleur d’un réseau de 4400 km de tuyaux.
Les techniciens interviennent sur les « regards », ces ouvertures qui se situent au-dessus des canalisations, en soulevant le tampon en fonte qui les protège, accrochent un fil de fer sur lequel sont disposés trois appâts empoisonnés et les laissent pendre à une hauteur qui leur semble favorable à ce qu’un rat puisse les grignoter sans qu’ils soient lessivés par les eaux usées. Puis ils passent à un autre regard.
La SGAC traite ainsi plus de 3500 regards par an, comme le prévoit le contrat de délégation de Bordeaux Métropole. Mais l’agglomération en compte au total… 125 000. Le traitement touche donc annuellement moins de 3% de ces voies d’accès aux collecteurs d’eaux usées. Une goutte d’eau dans l’océan. Sans compter que ce sont en général les individus les plus faibles qui boulottent les appâts, précise Benoît Cottin.
« Les rats sont omnivores mais ils se méfient d’une nourriture qu’ils ne connaissent pas. Les dominants se servent donc des individus les plus fragiles comme de goûteurs : s’il n’y a pas assez d’appâts, ou s’ils ne sont pas renouvelés au bout de quelques jours, les dominants n’y auront pas touché et seuls les plus faibles seront éliminés. »
Une lutte empirique à base d’anticoagulants
C’est d’ailleurs en raison de ce fonctionnement que les poisons utilisés – des anticoagulants qui provoquent chez le rat une hémorragie interne – agissent seulement au bout de deux ou trois jours, histoire de ne pas attirer les soupçons du reste de la population. Utilisés chez les particuliers, ils ont aussi l’avantage d’avoir des antidotes en cas d’ingestion accidentelle par un animal domestique ou un être humain.
Le plus sûr moyen de ne pas croiser un rat près de chez soi reste sans conteste le bon sens citoyen : ne pas renverser de poubelles par terre, laisser les bouchons de vidange au fond des containers, garder sa cour ou son jardin bien tenus (les rats n’aiment pas circuler à découvert), signaler à sa mairie une éventuelle affluence de rongeurs dans son quartier. Expliquer à la mamie qui nourrit les pigeons à côté de chez soi que ses graines attirent aussi les rats.
En cas de problème à domicile, il semble difficile de s’en débarrasser sans l’intervention d’un professionnel : le poison doit en effet être utilisé avec prudence et stratégie. On peut vérifier que l’entreprise contactée dispose bien du certificat individuel phytosanitaire, qu’en cas de traitement elle assurera un suivi au bout de quelques jours, qu’elle va rechercher le défaut structurel ayant permis au rat d’accéder à l’habitation.
On aura intérêt à faire jouer la concurrence (les plus chers n’étant pas forcément les plus habiles) et à s’assurer, tout simplement, que le professionnel connaît et aime réellement son métier. Car par temps de crise et en l’absence de formation diplômante, le secteur de la dératisation attire, malheureusement, toutes sortes de pseudo-spécialistes persuadés d’avoir trouvé la poule aux œufs d’or.
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