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La causette des peuples à Bordeaux

Quand Bordeaux se fait Babel : pour pratiquer des langues étrangères dans une ambiance conviviale, des bars, associations, instituts et entreprise, proposent à des apéros, soirées voire speed dating accessibles à tous niveaux. Tour d’horizon.

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La causette des peuples à Bordeaux

L'Apéro Langues à l'heure espagnole au Melting Pub (OD/ Rue89 Bordeaux)
L’Apéro Langues à l’heure espagnole au Melting Pub (OD/ Rue89 Bordeaux)

Dans un jeu d’association d’idées, à la Pyramide, aux propositions « diversité culturelle » et « immigration », les participants seraient tentés d’y assimiler « discrimination » ou d’autres termes péjoratifs. A Bordeaux, certains préfèrent y puiser la richesse et la partager. Dans les bars, instituts culturels ou restaurants, ils s’initient à la langue, découvrent des artistes et les bons plans d’un pays totalement étrangers à notre culture. Et ils adorent ça.

Mercredi soir au Melting Pub (11 rue Huguerie), Alejando Zapata est concentré sur ses tapas. Dans quelques minutes, cet artiste mexicain accueille les participants de l’hebdomadaire Apéro langues dont il est responsable depuis trois mois. Vers 20h30, ils seront une petite dizaine à évoquer la gastronomie, leurs occupations du week-end ou leurs projets « en español » ou « in english ».

« Durant deux heures, les gens parlent espagnol ou anglais, mais l’intérêt de ces rencontres dépasse la seule pratique des langues, explique Alejandro Zapata, les gens qui viennent ont prévu de partir en voyage et veulent s’informer, d’autres souhaitent découvrir les adresses bordelaises pour manger et danser, d’autres encore sont des étudiants qui viennent s’entraîner avant des oraux. »

Un apprentissage « moins académique »

Tous peuvent se retrouver chaque mercredi dans un lieu typique anglo-saxon ou latino-américain. Et ce mercredi, c’est une petite quinzaine de personnes qui vient discuter. La volubile trentenaire Annabella vient nourrir sa passion pour la culture hispanique et latino-américaine, et se remettre à niveau afin de profiter pleinement de son futur voyage à Cuba.

« Ici je n’ai pas peur de me lancer, c’est comme ça que j’ai appris le portugais, j’aime la spontanéité de cette formule : on parle la langue, on découvre des recettes… »

Deux étudiants en école de commerce font leur entrée, Charly et Roxane. C’est un prof qui leur a fait connaître ses rencontres et ils les optimisent car ils passent une heure à chaque table.

« A l’école, nous n’avons pas des cours de qualité, on cherchait quelque chose de moins académique », sans pour autant aller dans les bars où les communautés se retrouvent. En raison du bruit.

Quand le guacamole prend

Ici la formule est parfaite : l’ambiance est celle d’un bar, la table de conversation est à l’écart du match de foot et tout le monde est écouté et invité à parler, quel que soit son niveau.

C’est plus convivial et surtout moins cher que les cours, car pour 10 €, les participants ont une boisson, des tapas et deux heures de conversation encadrée par des animateurs. Et la mayonnaise – ou le guacamole en l’occurrence – prend.

A la table espagnole, on parle de la piètre qualité d’une marque de nourriture mexicaine vendue en France et on s’échange les adresses de boutiques où trouver les vrais produits.

Plus loin, côté anglais, l’ambiance est plus feutrée et formelle. L’étudiante californienne chargée de l’animation questionne ses convives sur leur week-end, le shopping… Valérie, en pleine reconversion professionnelle, s’efforce de ne rien laisser échapper. Elle n’hésite pas à s’exprimer, malgré un anglais approximatif, et à aller au bout de ses idées sous l’œil bienveillant et attentif des autres participants, malgré l’animation autour du match de foot diffusé ce soir-là.

« Je prends des cours d’anglais depuis octobre. A chaque fois que je viens à Bordeaux pour mes cours, je participe le soir même à des tables de conversation. Aujourd’hui, j’arrive à ne plus décrocher », reconnaît-elle fièrement.

Prendre langue en speed dating

Pour faciliter la démarche aux timides, Steven Annonziata, fondateur de la société parisienne Franglish, a instauré il y a un an à Bordeaux les conversations en tête-à-tête à l’image du speed dating. Chaque mercredi soir au Break (23 rue Candale), les binômes anglo-français discutent 7 minutes dans chaque langue. Une formule gratuite qui réunirait près de 50 personnes chaque semaine.

A l’extrême opposé de ces rendez-vous formels, les Afterwork in english organisés par Newdeal Institute au Trendy Place (4 rue du Palais Gallien) sont beaucoup moins cadrés. Chaque premier mardi du mois à partir de 19h, on franchit le seuil de la porte du Trendy et on change de langue. Immersion totale durant cette soirée english only.

Valérie, notre experte des tables de conversation a testé et n’a pas apprécié le concept – peut-être est-il nécessaire d’avoir un niveau d’anglais permettant de suivre une conversation plus spontanée.

Elle préfère les apéros multilingues de la maison de l’Europe Bordeaux-Aquitaine (1 place Jean Jaurès) : chaque mois pour 1 €, il est possible de s’attabler pour parler français, espagnol, anglais, italien ou allemand.

Une soirée Franglish au Trendy place (photo DR)
Une soirée Franglish au Trendy place (DR)

Prétexte pour découvrir une culture

Pour Fernanda, jeune étudiante Mexicaine rencontrée au Mellting Pub, ces rencontres ont aussi un intérêt pour les étrangers :

« J’aime partager ma culture. Je suis arrivée à Bordeaux en janvier, c’était la première fois que je partais loin de chez moi et au début c’était dur car les Français ne venaient pas forcément vers moi. Sauf ceux qui s’intéressaient à ma culture. »

Elle accompagne donc ses amis français aux Apéro Langues et partage son expérience. Elle en profite aussi pour faire un tour à la table d’anglais.

Pour Florence Laurent, présidente de l’association Réseau d’échanges interculturels, c’est cet esprit qu’elle tente de transmettre les premier et troisième mardi du mois en période scolaire au bistrot associatif, le Zinc Pierre (4, rue du Mulet) :

« Il ne s’agit pas uniquement de parler une langue étrangère, mais de prendre conscience du cadre de l’autre et de ses références. Une langue ne peut s’appréhender que dans son contexte culturel et humain. »

Bordeaux, ville ouverte

Son association compte 70 adhérents et les participants sont majoritairement des couples mixtes ou des gens qui baignent dans plusieurs cultures. Si les langues les plus parlées au Zinc Pierre sont l’anglais, le français, l’espagnol et l’italien, il arrive que des conversations en coréen ou en persan démarrent également.

« Il nous est arrivé d’avoir un Vietnamien qui nous expliquait pourquoi il y a plusieurs façons de dire “je” dans sa langue ou de faire des soirées où chacun amenait une spécialité de son pays. C’est une manière très positive d’aborder la diversité. Généralement quand on en parle c’est surtout pour évoquer la discrimination », témoigne Florence Laurent.

Bordeaux est-elle une ville ouverte aux autres cultures ?

« Quand je suis arrivé ici, témoigne Alejandro Zapata, j’ai découvert “Dansons sur les quais”, ça c’est une ouverture, on peut également assister à des concerts en tout genre, je connais des bars dominicain, argentin, un restaurant mexicain… Et le Musée d’Aquitaine a organisé l’an dernier l’exposition Chicano Dream, cela montre l’ouverture de Bordeaux sur cette culture. »

L’institut Cervantès de Bordeaux évoque également une exposition des artistes latino-américains qui vivent en Aquitaine, « c’est une autre vision de l’immigration », se réjouit-il.

Vers une culture européenne

Les instituts culturels étrangers souhaitent d’ailleurs aller plus loin. « Nous mettons en valeur ce que nous avons de commun », explique Juan Pedro de Basterrechea, directeur de l’Institut Cervantes et président de European Union National Institutes of Culture (Eunic) qui réunit son site, l’Alliance Française, le Goethe-Institut (Allemagne), la Società Dante Alighieri (Italie) et l’Institut Camões (Portugal).

« Nous organisons des évènements autour du vin produit dans les monastères dans tous les pays d’Europe ou sur l’avenir des jeunes générations. »

La culture est un bon vecteur pour créer une identité européenne. Mais le grand mix ne coule pas toujours de source, comme en témoigne la chanteuse d’origine chilienne Ninoska :

« Les différentes cultures ne se mélangent pas, regrette-t-elle, quand je chante dans un pub anglais, il me faut impérativement un répertoire jazz. »

Et quand le jazz est là, la cueca s’en va.


#institut cervantes

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