Enquêtes et actualités gavé locales

Un homme nommé Zemmour ou le désir de réacs

Si Rue89 Bordeaux n’a pas pu assister à la conférence d’Eric Zemmour à l’Athénée municipal, le blog Chroniques d’une Bordelaise a bien voulu partager un témoignage spontané sur celui qui « nous donne l’explication sur comment nous en sommes arrivés là ».

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Bordeaux, abonnez-vous.

Un homme nommé Zemmour ou le désir de réacs

Eric Zemmour à l'Athénée municipal (photo Chroniques d'une Bordelaise)
Eric Zemmour à l’Athénée municipal (photo Chroniques d’une Bordelaise)

Ce mardi 5 mai, Eric Zemmour est invité à l’Athénée municipal de Bordeaux, à l’initiative de l’association Amitiés françaises, rendez-vous qui peut enfin avoir lieu après 2 reports pour salle indisponible. Et visiblement, l’homme est attendu au vu de la queue déjà constituée une demie-heure avant le début de la conférence.

Cette queue est intéressante de par sa non diversité, tant par ses représentants que par les conversations qu’elle offre : un homme parlant de sa maison du Cap Ferret, une femme de son séjour parisien au défilé du 1er mai, une autre de sa nouvelle Mini dont elle est très contente, d’autres font les présentations “voici ma petite fille, elle est en école de journalisme, elle est donc doublement intéressée par cette rencontre” (heurt pour mes idéaux journalistiques).

Soudain, des applaudissement retentissent, le petit homme est venu saluer la foule avec son garde du corps, tiens, un seul ? Non, une vingtaine de policiers sont sur la place.

Patte blanche pour sombres paroles

La file d’attente avance enfin et je comprends désormais pourquoi ce fut si long, il faut montrer patte blanche pour écouter ces sombres paroles : fouille du sac, passage par un détecteur de métaux. Une fois les étapes franchies avec succès, les portes s’ouvrent sur une salle comble et comblée à l’arrivée de l’orateur, certains entreprennent même une standing ovation.

Pendant que le représentant de l’association présente la soirée et rappelle le nombre de ventes du « Suicide français » tout en soulignant que « c’est le livre qui nous manquait », des bruits retentissent de l’extérieur, des gens pas contents de n’avoir pu entrer, faute de place.

Un discours relativement bien construit, des touches d’humour, des rappels historiques, et c’est ça le problème. Avec lui, vous avez tout compris et vous vous battez contre cet endoctrinement imposé par les idées gauchistes de 68. Il joue sur la nostalgie, c’était tellement mieux avant, quand un homme était un homme, une femme était une femme au foyer, un français était d’origine française, le souverain était Napoléon…

Francis Cabrel, ce militant gauchiste

Je me mets alors à écouter avec attention ce qui va suivre puisqu’Eric Zemmour est présenté comme un phénomène qui « nous donne l’explication sur comment nous en sommes arrivés là ». Pour le lancer, une question vaste : de quoi donc cherche-t-il à nous faire prendre conscience à nous, pauvres Français en dérive dans cette France qui ne nous appartient plus ?

Le voilà qui nous explique qu’il ne cherche pas à faire prendre conscience puisque les gens ont déjà conscience que « leur pays leur file entre les doigts », ils seraient dépossédés d’eux-mêmes, se sentiraient étrangers dans leur propre pays et ne comprennent pas pourquoi. Ce livre répond alors à cette demande.

Et ce mal qui nous hante vient donc des soixante-huitards, ces affreux qui sont passés par la culture pour nous endoctriner, d’ailleurs tous les artistes des années 1970 étaient des militants d’extrême gauche, exemple de Francis Cabrel à l’appui !

Endoctrinement, endoctriné, ces mots sonnent comme un refrain dans son discours. Mais quel est-il cet endoctrinement ? La déconstruction, ces affreux gauchistes ont repris cette idéologie constructiviste disant que rien n’est naturel, tout est produit du social et d’un rapport de force toujours au profit des privilégiés, cette idéologie de Mai 68 a d’ailleurs été largement mise en avant par Coluche. Et oui, Coluche nous a endoctriné, Coluche est le gourou du XXIe siècle, le maître de la déconstruction. Cette déconstruction qui tente de nous expliquer que même une femme n’est pas réellement une femme, elle est une femme car on lui a dit qu’elle était une femme, que la société a fait d’elle une femme.

Applaudissements.

Zemmour voit tout en 3D

Pensée pour Simone de Beauvoir qui doit se retourner dans sa tombe. Et attention, comble de la déconstruction, lu dans Libération, New-York chercherait à mettre en place une loi permettant à chaque individu de choisir son genre et de le faire figurer officiellement sur l’état civil. Vous vous rendez compte, les gens pourraient être libres d’être ce qu’ils veulent être, c’est terrible.

Et cette déconstruction a comme stratégie la dérision pour amener à la destruction, c’est ce qu’il appelle les « 3 D », et cette dérision, traditionnelle en France a pour principal outil Canal+ : « Aujourd’hui c’est la religion dominante avec son Eglise, Canal+ ».

Applaudissements.

Les comiques, qui d’ailleurs ne font plus rire personne selon lui, sont « les officiers du politiquement correct », alors qu’avant ils représentaient le contre-pouvoir, ils sont aujourd’hui l’armée du pouvoir, là pour vous ramener à la raison. Mais bon, monsieur Zemmour est un fervent soldat de l’opposition et n’hésite pas à braver tous les dangers médiatiques avec ses discours transgressifs pour combattre cette dérision, devenue « une arme de contrôle social ».

Récapitulatif : années 1970 déconstruction avec les soixante-huitards et les artistes gauchos, années 1980 dérision au pouvoir avec l’arrivée de Canal+, chaîne inventée pour conforter la gauche issue de l’idéologie de 68.

C’est là qu’il a osé

Et c’est là qu’il a osé : les attentats contre Charlie Hebdo sont le parfait exemple du problème. Ces gauchistes déconstruisaient le sacré de leur pays (la religion, la famille…) et se sont fait tuer par des gens qui pensent leur propre sacré supérieur, ces mêmes gens qu’ils ne veulent pas renvoyer chez eux !

« Je suis content que mon livre soit sorti avant l’affaire Charlie Hebdo, car c’est la signature de tout ça. »

Applaudissements.

Rage en moi. Mon carnet subit mes coups de stylo frénétiques.

Ovation faite, changeons de sujet, parlons désormais Union Européenne dont la France n’est plus qu’une simple région. En effet, nous ne votons plus pour notre souverain car le pouvoir est à Bruxelles, il n’est alors qu’une apparence du pouvoir :

« Vous n’êtes pas sous la domination du président français, vous ne savez plus sous quelle domination vous êtes. »

Et c’est là que le terme de « communautarisme » fut prononcé par l’un des animateurs, ce à quoi l’écrivain rétorqua :

« Quand on dit communautarisme, c’est que l’on ne veut pas dire islam. »

La phrase est posée et applaudie. Moi elle me débecte. Mais ce n’est que le début. Il poursuit et fait le lien entre explosion démographique, guerre et colonisation. Après tout, c’est ce qui s’est passé au XXe siècle avec les Allemands : trop nombreux ils ont voulu étendre leur territoire et ont fait la guerre pour coloniser et « c’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui, sauf que les indiens, c’est nous ».

Applaudissements.

Un bon imposteur

En effet, nous, pauvres Français, nous ne pouvons même plus vivre en banlieue, fief de l’immigration, obligés de nous retourner vers le péri-urbain. Je vous épargne tout son exposé sur la révolution de l’islam, juste une phrase qui fait saigner mes oreilles :

« Les mosquées de France sont prises par les salafistes. »

La démonstration est terminée, l’homme est acclamé. C’est un bon orateur qui appuie ses idées par des comparaisons historiques et des références culturelles, c’est un bon imposteur.

Parole à la salle, étant donné l’accueil réservé à l’invité, on peut oublier les questions réfractaires. Et en effet, le premier à prendre la parole, un homme d’une soixantaine d’année, commence par le remercier pour cette « présentation extrêmement brillante ». Il reprend la métaphore du suicide en demandant quel psy viendra sauver cette pauvre France en perdition ?

« Ce n’est pas un psy qu’il faut mais un sorcier », il n’oublie pas tout de même de rajouter qu’en écrivant ce livre il a essayé de faire ce psy, seulement on voit venir la catastrophe mais on ne sait pas comment l’arrêter, trop atteint par cette fameuse déconstruction, nous nous sommes auto-désarmés.

Genre humain

Un jeune homme prend alors la parole, revenant sur le fait que les journalistes lui posent toujours les mêmes questions sur « Le suicide français », or des livres, il en a écrit d’autres, pas moins intéressants. Occasion en or pour taper sur les journalistes, et sans parapluie, ces êtres pas machiavéliques mais paresseux, faisant preuve de bêtise, qui lui posent toujours les mêmes questions. Mais il n’oublie pas de rappeler qu’il faut bien passer par là pour toucher le grand public.

C’est alors qu’une femme lui demande de lui donner une lueur d’optimisme. Seulement il explique que s’il écoute sa raison, il ne voit aucun motif d’optimisme, et s’il écoute l’histoire de France qui a su se remettre des pires situations il peut y croire : le pauvre homme est sans cesse partagé entre ces deux pôles. Le cœur ou la raison, vieille question philosophique. Il voit alors son livre comme un outil de ce combat culturel qu’il nous invite à poursuivre avec lui, c’est d’ailleurs pour ça que la gauche lui a tant tapé dessus, ils savent que la guerre est culturelle :

« Il faut que des gens me relaient, on s’en sortira peut-être comme ça. »

Applaudissements.

Une jeune femme l’interroge ensuite sur le transhumanisme, sujet qu’il avoue ne pas maîtriser à tel point qu’il vient à parler de « théorie du genre » (rappel : le genre n’est PAS une théorie, c’est un concept, une notion, le terme « théorie » ne vient nullement des scientifiques mais bien des détracteurs de cette notion, appeler ça théorie permet de délégitimer le concept). Il dit se battre contre cette « théorie du genre », d’ailleurs il s’est fait une nouvelle amie, Najat Vallaud-Belkacem.

Applaudissements.

Robert Ménard n’a fait que se renseigner

Lorsqu’on lui demande si les médias sont prêts à faire cette révolution culturelle eux qui pour l’instant participent à l’endoctrinement des masses – masses dont nous, chers lecteurs de Zemmour, nous ne faisons pas partie, car nous, nous avons compris –, celui-ci n’y croit pas, mais cite un média qui essaye tout de même, en effet au Figaro des prises de conscience ont eu lieu.

Un homme pose alors la dernière question et revient sur le titre du livre dont il faudrait remplacer le mot suicide par génocide, définition de Raphael Lemkin à l’appui, la manière de nous sauver ne serait-elle pas de dire aux gens la vérité, que ce que nous vivons est criminel et que nous avons le droit de nous y opposer ? L’homme poursuit sa démonstration en défendant un fait d’actualité, après tout Robert Ménard n’a fait que se renseigner et mettre à jour une réalité de sa commune. Zemmour rétorque que lui essaye de faire prendre conscience collectivement.

Alors que la séance s’achève un homme se lève, parle de sa campagne dont les arbres se sont relevés après la tempête, « la nature est plus forte que toutes les perfidies humaines ». Monsieur a 13 enfants et 57 petits-enfants, il est fier de voir ces êtres s’insérer dans la vie avec raison. Larges applaudissements de l’assistance. C’est donc ça l’explosion démographique amenant guerre et colonisation ?

Je ne suis donc qu’une ignorante endoctrinée par ces artistes gauchistes, pire, je participe à cette déconstruction du monde ! Et que vaut une jeune femme naïve d’optimisme face à un vieil homme, incarnation même du terme « réactionnaire » ?


#Athénée Municipal

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options