« Et donc votre logiciel, il vous a fait venir ici, aux Aubiers !? Ahh l’bâtaaaard ! »
Jamel, sourire un peu ironique, a mine de rien assez bien résumé notre pensée initiale. Reprenons.
Les Aubiers, ou Los Aubios comme aiment l’appeler les jeunes du quartier, c’est d’après un long article de l’Humanité « une erreur d’urbanisme faite de barres denses et compactes, occupées par la misère ».
En vrai, ce sont plus de 4 000 habitants répartis dans des barres de 17 étages, du côté de Bordeaux Lac, dans un quartier très longtemps isolé du reste de la ville. Construit sans permis au début des années 1970, ce quartier a connu une évolution similaire à celle de tant d’autres qui défrayent la chronique.
Comme quoi là bas « ça craint »
En 2006 le pont de Cracovie est tombé, le tramway est arrivé, mais il n’en demeure pas moins que la cité se débarrasse mal de sa mauvaise réputation qui lui colle au bitume. Il y a eu bien sur l’affaire Larbi (elle n’est pas joyeuse alors on vous laisse vous renseigner vous-mêmes si vous ne connaissez pas), quelques épisodes de violences urbaines à l’occasion, mais surtout un discours volontiers partagé par une grande majorité de Bordelais comme quoi là bas « ça craint », tout simplement, et peu de personnes extérieures ont déjà mis ne serait-ce qu’un demi-orteil dans la cité.
Vinjo et Pim, eux, n’ont guère eu le choix puisque Excel a choisi de les emmener Cours des Aubiers, à savoir l’artère centrale du quartier. Nous avons donc loué un fourgon blindé, acheté quelques AK47, et sommes partis sans arrière-pensée aucune à la rencontre des gens du quartier.
En cette fin du mois de septembre 2013, le tram est encore interrompu au nord de la Place Ravezies pour cause de travaux. Pour aller vers les Aubiers, il faut prendre un bus ou marcher, option que nous avons choisie.
On ne peut pas venir aux Aubiers par hasard, il faut le vouloir
Rama lui aussi a préféré marcher. Gaillard d’origine congolaise, il vit aux Aubiers depuis huit ans. Au fur et à mesure de la conversation, les barres se font de plus en plus massives, dressées derrière de grands terrains vagues. Suite à nos questions naïves, Rama se montre sage et rassurant :
« Si tu es gentil avec les gens, les gens sont gentils avec toi. Mais si tu es méchant, alors là ils sont méchants, c’est tout. »
Rama arrive à sa barre d’immeubles, sous laquelle nous devons passer pour trouver le Cours des Aubiers, notre but du jour. En effet, ce qui est frappant pour les visiteurs extérieurs que nous sommes, c’est de voir comme le quartier est refermé sur lui-même au sens physique du terme. Contrairement au Grand Parc que nous avions visité deux mois plus tôt, on ne peut pas venir aux Aubiers par hasard, il faut le vouloir.
Le Cours des Aubiers est donc devant nous, enfermé entre les barres d’immeubles. Il constitue le cœur d’animation du quartier, puisqu’on y trouve pêle-mêle une pharmacie, une poste, un centre social, un commissariat, une boulangerie, une boucherie, une supérette, etc. Pas de stigmate visible d’abandon hormis des rideaux de fer tagués qui s’avéreront être ceux du marchand de journaux, parti à la retraite et non remplacé pour le moment. Au fond quelques gravats, témoins d’une démolition récente visant justement à aérer la rue dans le cadre d’un projet de réhabilitation.
« Y a même des Chinois ici ! »
On entre « Chez Fafa », le café du Cours des Aubiers. Un attroupement de jeunes devant, des hommes qui devisent en mâtinant le Français avec quelques mots d’Arabe, et Jamel, sourire jusqu’aux oreilles. « Comment ça va les gars ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? » Pas de bière, Bordeaux 2066 n’est pas dogmatique et prend un café.
Vivant entre Valenciennes et les Aubiers, Jamel est toujours content de passer du temps dans la cité bordelaise, il y est heureux. Ce qu’il préfère ici, nous dit-il, c’est la grande convivialité et mixité ethnique, qui fait qu’en bas des tours tout le monde se retrouve :
« Les Noirs, les Blancs, les Arabes, y a même des Chinois ici ! »
Cette convivialité est confirmée par les deux hommes plus âgés de la table d’à côté. Tous ne comprennent pas pourquoi on dit que les Aubiers ça craint, alors que franchement… « Chicago c’est pas ici, c’est à La Benauge », douce rivalité entre quartiers.
Il y a de belles rencontres à faire aux Aubiers
Jamel, intéressé par notre démarche, s’improvise comme notre attaché de presse :
« Je vais vous appeler des gars du quartier, ils vont venir vous parler. »
Quelques minutes plus tard, un interlocuteur du cru arrive mais repart aussitôt : son bracelet électronique lui impose des pointages réguliers au commissariat. La justice française a privé cet homme d’un café avec Vinjo et Pim, gageons que cela lui fera passer l’envie de récidive.
C’est donc avec Jamel que nous terminons la conversation. Il est visiblement content qu’on soit là :
« C’est courageux de venir, d’aller au-delà des clichés. Tu regardes la télé, ils montrent que des Arabes qui foutent la merde… nous-mêmes au bout d’un moment on en devient racistes, t’imagines !? »
Au final, la courte visite du Cours des Aubiers ne nous permettra pas d’avoir un avis définitif et complet sur le quartier, dont le nom continuera certainement quelques temps à marquer l’imaginaire local. Aubiers d’ailleurs, kézako ? Stricto sensu l’aubier est la partie tendre entre l’écorce et le cœur de l’arbre. De la tendresse, du cœur… Bordeaux 2066 ne vire pas bisounours, mais une chose est sure : sous la dure écorce des clichés, il y a de belles rencontres à faire aux Aubiers.
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