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Les croisières nous pompent-elles l’air ?

Selon une étude de France nature environnement à Marseille, la pollution aux particules fines est 20 fois supérieure près des paquebots de croisière. Le port de Bordeaux commence à se saisir de ce problème, sur lequel les écologistes viennent d’interpeller la mairie.

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Les croisières nous pompent-elles l’air ?

Le Prinsendam, en escale à Bordeaux, peut accueillir 740 passagers avec un équipage de 420 membres (WS/Rue89 Bordeaux)
Le Prinsendam, en escale à Bordeaux, peut accueillir 740 passagers avec un équipage de 420 membres (WS/Rue89 Bordeaux)

« La croisière abuse », estime l’ONG France nature environnement (FNE) à l’issue de mesures sur la pollution de l’air par les paquebots accostés à Marseille, dévoilées jeudi 23 juillet : un navire à l’arrêt polluerait autant qu’un million de voitures, en termes d’émission de particules ultra fines (PUF) et de dioxyde d’azote.

Leurs moteurs continuent en effet de tourner pour alimenter en électricité les cuisines, les restaurants, les salles de loisirs ou l’air conditionné nécessaires au bon plaisir des milliers de croisiéristes à bord – l’Allure of the seas, le plus grand paquebot du monde récemment passé dans la cité phocéenne peut en transporter 6400.

Or ces machines ne carburent pas à l’huile de colza, mais au fioul lourd, qui possède une teneur en soufre plus de 3 500 fois supérieure à celle du diesel des voitures, selon FNE.

Tropiques ou cancer

Quant à la teneur en particules ultra fines de l’air, elle est au terminal de croisière marseillais 20 fois supérieure à celle mesurée en centre ville – 60000 par centimètre cube contre 3000 près du Vieux Port, d’après les mesures conduites par l’ONG allemande Nabu, partenaire de FNE.

Ces PUF sont des plus nocives pour la santé : classées comme cancérogènes par l’OMS (organisation mondiale de la santé), jusqu’à 1000 fois plus fines qu’un cheveu, elles peuvent s’accumuler dans les poumons, passer dans le sang et dans le cerveau, et augmenteraient les risques de maladies cardiovasculaires et de Parkinson.

Des effets non mesurés à Bordeaux

Qu’en est-il de l’impact des croisières au port de la Lune ? Avec 496 escales de navires de croisière en 2014 et 1,315 million de passagers, Marseille est très, très loin devant Bordeaux – 35400 passagers, 39 escales. Et selon l’Airaq, association agréée par l’Etat pour la surveillance de la qualité de l’air en Aquitaine, les effets du trafic ne sont pour l’heure pas notables :

« Nous essayons de quantifier dans nos inventaires d’émissions les polluants émis par différents secteurs, signale Pierre-Yves Guernion, responsable des études à l’Airaq.  En se fondant sur le nombre de bateaux, la vitesse d’approche ou encore le temps passé à quai, la part du transport maritime est assez faible comparée à la route ou aux feux de cheminée, à l’exception du dioxyde de soufre (SO2) que l’on trouve en quantité plus importante à Bassens. Quant à nos mesures effectuées par nos stations, nous n’avons rien détecté de particulier en rapport avec la présence des paquebots de croisière. »

Il faut toutefois préciser que les stations de mesure de l’Airaq sont installées à Bassens et à Bastide, donc assez loin des quais de la rive gauche où accostent les grands paquebots. Pour une évaluation exhaustive des émissions réelles sur l’ensemble du territoire, Pierre-Yves Guernion donne rendez-vous à la fin de l’année, lorsque sera achevée la prochaine cartographie de l’air de l’agglomération, avec un nombre démultiplié de points de mesure. Les derniers travaux de ce genre remontent en effet à 2010, avant l’essor de l’industrie des croisières à Bordeaux.

SOS Alain Juppé

Cependant, les écologistes bordelais s’en inquiètent : dans une lettre à Alain Juppé, le groupe local EELV demande au maire « de bien vouloir prendre des mesures au niveau qui est le sien, à l’heure où la Métropole s’apprête à répondre à l’appel à projet du ministère de l’écologie “villes respirables en 5 ans” ».

Ils rappellent que le Grand port maritime de Marseille et la compagnie de croisières La Méridionale prévoient d’installer cette année un dispositif d’alimentation électrique, d’un coût d’envoiron 4 millions d’euros, ce qui éviterait de faire tourner les moteurs des navires à l’arrêt. Les écologistes souhaitent que la ville de Bordeaux « encourage la mise en place de ce même type de dispositif, voire encourage l’innovation en étudiant l’implantation d’un dispositif alimenté en énergies renouvelables ».

Villes flottantes

Cela tombe bien : le Grand Port Maritime de Bordeaux vient de lancer le projet PÉÉPOS (Port à Énergie et à Économie POSitives). Décliné pendant la période 2014-2020, il doit permettre d’agir en faveur de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables ou encore du développement de nouvelles activités sur ses terminaux. Mais son financement (800 000 euros, la moitié venant de l’Union européenne), va surtout permettre de payer des études.

« Nous terminons le diagnostic pour dégager un premier plan d’action d’ici la fin de l’année, indique Michel Le Van Kiem chef du département innovation du port de Bordeaux. Nous planchons avec ERDF (qui gère le réseau électrique d’EDF) sur la faisabilité technique, pour savoir comment fournir aux navires à quai un mix énergétique plus propre. Les navires pourraient déjà s’équiper de scrubbers (sortes de pots catalytiques) remplacer le fioul par du gasoil, mais cela ne résout pas la question des particules fines.

 

Il y a aussi la solution du gaz naturel liquide (GNL), qu ne rejette plus que du CO2. Enfin, l’option électrique est complexe, du fait de la puissance phénoménale des bateaux qui arrivent à Bordeaux. Ce sont de véritables villes flottantes, nécessitant jusqu’à 1 mégawatt, ce qui nécessiterait pour les alimenter un hectare de panneaux solaires et des câbles haute tension. Nous pourrions expérimenter cela avec des paquebots fluviaux ou des porte-conteneurs présents toute l’année à Bordeaux. »

Bref, ce n’est pas gagné. Pourtant, le temps presse : la France doit rapidement appliquer la directive européenne sur les émissions de soufre des navires, déjà en vigueur dans les ports d’Europe du nord. Cette réglementation doit prohiber à terme les carburants émettant du dioxyde d’azote et du sulfure.

Des compagnies prudentes

Problème : les croisiéristes ne sont guère poussés à virer de bord, au profit de technologies plus vertes.

« Les compagnies sont très prudentes, euphémise Michel Le Van Kiem. Elles attendent des signaux du marché, qui ne sont actuellement pas très bons. En raison des bas prix du pétrole, le gaz naturel liquéfié est par exemple au même prix que le gasoil, cela n’incite pas à des changements de motorisation. »

Pas demain la veille donc que, malgré quelques projets illuminés, des paquebots fendant l’écume à l’énergie solaire débarqueront au port de la Lune.


#Airaq

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