Limiter le stress, prévenir le burn-out, booster la créativité, assurer le bien-être des salariés et assainir les rapports au sein de l’entreprise… Voici des objectifs que ne cherchent même plus à atteindre bon nombre de sociétés.
Pourtant, via la pratique de la méditation « laïque » en pleine conscience, salariés et dirigeants ont la possibilité de se créer de meilleures conditions de travail. Se reconnecter au corps, aux émotions, prendre du recul sur les informations et les sollicitations quotidiennes qui nous submergent.
Le lotus en bleu de travail
Une lubie ? Une mode ? Une prise en considération du bien-être des salariés ? Une potentielle révolution dans le monde du travail ? Orange, Axa, Google, Thalès, mais aussi des PME locales se prêtent au jeu et des études scientifiques confirment l’impact de la méditation.
La pleine conscience est un type de méditation laïque – la plus accessible de toutes – dont la pratique s’acquiert par l’apprentissage grâce à des exercices simples. Il ne s’agit pas de se mettre en position du lotus et de réciter des mantras. Cette méditation peut se pratiquer au bureau, devant l’ordinateur, dans la voiture… Elle permet d’isoler ses pensées et de se recentrer sur soi-même en s’ouvrant aux autres.
Lors d’exercices de respiration, la méditation booste le cerveau qui, en alerte, dompte le vagabondage cérébral et ramène l’attention sur l’objet de la concentration, la respiration en l’occurrence. Elle libère de l’agitation mentale et permet de se reconnecter à soi-même.
« La pleine conscience permet de se réinitialiser »
« Aujourd’hui, l’attachement au monde du travail est important, mais il peut mener à l’épuisement, au burn-out, explique Stéphane Faure est l’un des cent instructeurs français Mindfulness based stress reduction (MBSR) (ou réduction du stress basée sur la pleine conscience). Grâce à des exercices simples, la pleine conscience permet de se réinitialiser et d’obtenir une qualité d’attention hors contexte ».
Formé au Center for mindfulness in medicine health care and society (CFM) de l’Université du Massachusetts (Etats-Unis), Stéphane Faure enseigne la méditation dans les entreprises et au sein du Social Club Bordeaux, un nouvel espace de travail collaboratif dédié à la pleine conscience (lire encadré).
Ce programme de huit semaines consacré à l’apprentissage de la méditation, a été élaboré dans les années 1970 par l’université de médecine du Massachusetts. Après 14 ans passés en retraite et en méditation, cet ancien juriste devenu moine bouddhiste a découvert le MBSR, dont les valeurs sont proches du bouddhisme, mais dans une démarche collaborative et laïque.
« En s’écoutant soi-même, on a une écoute de l’autre plus empathique, plus factuelle et plus intuitive, on change de perspective », explique Stéphane Faure.
Quand les patrons méditent
Des propos qui pourraient paraître aujourd’hui au mieux niais, au pire complètement illuminés. Pourtant, des patrons se sont laissés séduire par cette nouvelle approche.
Le club des jeunes dirigeants (CJD) du Pays Basque rencontrait des responsables de PME proches de l’épuisement. Ses membres se sont questionnés sur le sens donné au travail, les valeurs et surtout sur la prévention du burn-out ; ils ont alors décidé de participer au programme pleine conscience et leadership de Stéphane Faure. C’est d’ailleurs à la suite d’un burn-out en 2009 qu’Iker Aguirre, patron de plusieurs sociétés en Aquitaine, adhérents au CJD Pays Basque et délégué national du bien-être du dirigeant au CJD, s’est intéressé à la pleine conscience.
« J’étais déconnecté de mon corps, je ne l’écoutais plus, témoigne ce dernier. Avec la pleine conscience j’ai découvert un nouveau rapport à moi-même : je peux créer un espace d’observation entre moi et mes émotions. Je les vois et elles ne m’affectent pas. »
« Souffler ses émotions par la fenêtre »
Il a également perçu que la pratique quotidienne de cette méditation lui offrait une facilité de dialogue, une fraîcheur d’esprit et lui permettait de mieux accompagner une personne vers ses objectifs. Sa présence dans l’entreprise s’est imposée.
« Le contexte économique est tellement compliqué que le courant de l’humain est devenu plus important, une PME est obligée d’être proche de l’humain. Aujourd’hui, en réunion quand cela part dans tous les sens, nous avons des moments de recentrage ou quand la situation est compliquée avec un collaborateur, je l’invite à souffler ses émotions par le fenêtre », témoigne Iker Aguirre.
Une scène presque comique, mais qui n’a eu aucun mal à trouver sa place au sein du fonctionnement de ses sociétés. « Mes salariés m’ont connu avant et après le burn-out, ils voient le résultat. »
Apprendre à s’écouter
A Santé service, structure d’hospitalisation à domicile, à Bayonne, les syndicats revotent chaque année, depuis trois ans, les séances de pleine conscience, inscrites au plan de formation.
« Cela nous permet d’être moins distrait par ce bavardage mental incessant et d’être vraiment avec le patient, de manière plus efficace », commente Anne Coustets, médecin directeur du site.
En quelques séances, les dirigeants et salariés expérimentent la pleine conscience, apprennent à s’écouter, s’intéressent à leur bien-être et à leur rapport aux autres et travaillent leur écoute durant un dialogue. Ils sont ainsi capables de constater quand ils sont en pilotage automatique et s’intéressent à leurs émotions.
« On s’en occupe rarement dans les entreprises, alors qu’il est déterminant, on devrait apprendre à nommer l’émotion et à ne pas être dans le cérébral », commente Stéphane Faure.
« Cela m’aide à revenir à moi, commente Magali Villenave, directrice du développement chez Exco fiduciaire du Sud Ouest à Bayonne, qui l’expérimente depuis deux ans, quand j’ai une information qui arrive, cela m’autorise à me demander ce qui est bon pour moi. Parfois, il faut s’arrêter pour laisser remonter l’intuition. »
« Quand j’en prends conscience, l’anxiété disparait »
Convaincue par l’intérêt de cette pratique en entreprise, Magali Villenave souhaite transformer le mode de management de sa société. « C’est à travailler, surtout pour les leaders, cela leur permet d’apporter les conditions favorables pour le travail de leurs équipes. »
Elle relate son expérience :
« J’ai beaucoup de responsabilités au travail, des enfants en bas âge… J’avais le sentiment de ne pas avoir assez de place. J’ai fait le MBSR et j’ai appris à percevoir les anxiétés, à y faire attention sans pour autant me laisser embarquer. Quand j’en prends conscience, l’anxiété disparaît. J’ai des prises de paroles à faire et cela m’angoissait beaucoup. Aujourd’hui, je me recentre avant, je parle plus avec mon cœur et moins avec le mental et cela se passe mieux. J’ai le sentiment de capter la confiance que j’ai en moi, de retrouver mon gouvernail intérieur. C’est très libérateur. »
Chaque jour, Magali s’accorde un temps de méditation, parfois à son bureau, elle respire, met la tête entre ses jambes. Même chose avant le retour à la maison. « Je reviens à moi pour être totalement avec mes enfants. »
Elle a entraîné certains de ses collaborateurs dans son sillage.
« Nous accompagnons des chefs d’entreprise, explique-t-elle, et nous sommes parfois atteints par leur stress. La pleine conscience permet d’observer comment les choses extérieures peuvent m’atteindre et de les gérer, car il s’agit de l’émotion de l’autre », explique-t-elle.
Clients convertis
Christelle Truet, une de ses collaboratrices expert comptable chez Exco a senti « des verrous se décoincer » grâce à la méditation :
« Quand il y a une émotion, je l’identifie, j’ai conscience de ce qui se passe, c’est une ressource. Et j’ai eu envie de partager cette expérience avec des clients car ils commencent à prendre conscience de leur stress et beaucoup souhaitent être dans l’écoute d’eux-mêmes. »
Selon elle, l’écoute que suppose la pleine conscience est intéressante dans le monde du travail.
« Elle prend toute son importance pour ceux qui ont un rôle de facilitateur. Dans le cadre de l’animation d’un groupe, on apprend à mettre la lumière sur le groupe et pas sur soi », commente Christelle Truet.
Valeurs saines
Attention cependant, « la pleine conscience n’est pas un outil, mais une expérience », prévient une Stéphane Faure. Elle doit appartenir à la culture de l’entreprise et son but n’est pas de booster la rentabilité des salariés, mais leur bien-être.
« Cela ramène l’entreprise à des valeurs saines, explique Emmanuelle Roques, fondatrice du Social club Bordeaux, il s’agit d’être au rythme de l’humain et plus à celui de l’argent. »
Un changement de cap que de nombreuses sociétés ne sont pas prêtes à faire et auquel des salariés hyperactifs ne prendront pas le temps d’accéder. S’écouter avec attention n’est pas si facile.
La méditation fait du bien, c’est la science qui le dit
Si la pratique de la pleine conscience a besoin d’être expérimentée pour être comprise, son impact sur le stress et donc sur la santé n’est plus discutable. Récemment, une étude américaine menée par l’université californienne de Davis basée sur l’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a prouvé que la matière grise du cerveau des personnes qui méditaient était moins altérée que celle des autres.
La méditation agirait sur le stress, délétère pour les cellules, et affecterait de manière positive les enzymes essentielles à la protection contre le vieillissement cellulaire. Les auteurs de l’étude se sont également aperçus que trois mois de méditation donnent déjà des résultats. Les médecins y ont également recours, dans le cadre de thérapies cognitives, notamment.
« Quand on parle de méditation, on imagine des gens zens, mais la pleine conscience ce n’est pas ça. C’est accepter ses émotions et adapter son comportement, se poser les bonnes questions. Il ne s’agit pas de devenir cool », précise la psychiatre bordelaise Isabelle Gibeau-Muller, qui utilise la pleine conscience avec ses patients anxieux ou dépressifs.
Des effets sur la réussite scolaire ?
Elle permet également de développer l’altruisme et la compassion comme l‘expliquait la directrice de l’Institut Max-Planck de neurologie et des sciences cognitives de Leipzig au forum social de Davos en début d’année.
Cette méditation trouve également sa place à l’école pour créer les conditions indispensables à l’apprentissage et au bien-être et réduire l’impact de la dispersion, des excès de stimulation ou d’individualisme. L’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Bordeaux vient d’ailleurs de lancer une étude sur plus de 200 enfants belges et français afin d’évaluer ses effets sur la réussite scolaire.
Le social club, rencontre du 3e type
La découverte du Social Clus de Bordeaux, espace de travail collaboratif et lieu de méditation, correspond à la découverte d’un monde parallèle. Il s’agit d’un grand appartement niché dans une impasse. Baigné de lumière, à la décoration sobre agrémentée de touches de couleur, il s’ouvre sur une grande pièce de travail où se déroulent les ateliers et dispose d’une salle de méditation, installée dans une alcôve sous une verrière. C’est une communauté au sein de laquelle on discute de ses projets (collaboratifs et sociaux), où l’on médite et où l’on pratique des activités.
Ici, tout semble feutré et doux. Déjà, on ne vient pas sans rendez-vous pour préserver la tranquillité du lieu. A l’entrée on enlève ses chaussures, on découvre des messages qui nous invitent au bonheur un peu partout.
Ici, tout n’est que bienveillance et cela ferait presque peur : la fondatrice des lieux tout d’abord, Emmanuelle Roques, dont la voix douce et calme vous donne envie de vous installer pour méditer aussitôt, avant même de savoir en quoi consiste la pleine conscience. Les activités pratiquées ici sont aussi bienveillantes : la conversation anglaise, la couture, le yoga, l’art thérapie, la méditation pour enfants, la cuisine… Un petit coup d’œil à la bibliothèque finit de donner une idée de l’esprit des lieux : « Pour une vie réussie », « Notre corps aime la vérité », « Un corps pour me soigner, une âme pour me guérir ».
Claire, une adhérente, a découvert le lieu grâce aux ateliers de cuisine mindfulness. « Je suis intolérante au gluten, aux œufs et au lactose », explique-t-elle. Adepte de la méditation audio guidée, elle a eu envie d’essayer avec un « coach » et vient régulièrement au Social Club pour une séance de méditation avec Emmanuelle, « comme j’irais à un cours de gym ». Après six séances, « je me sens posée, je parviens à me centrer et à laisser passer les choses, je suis moins tendue. Je veux apprendre à le faire seule dans la journée, car c’est très efficace. »
Vous pouvez vous inscrire à l’atelier découverte gratuit, organisé chaque mois.
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