En ce moment, c’est la foire aux vins. Vous ne pouvez pas la louper, elle s’affiche sur les abribus, en panonceaux au centre-ville et en quatre par trois sur les voies rapides. On ne vous dira pas, ici, si vous ferez de meilleures affaires à Leclerc, à Lidl ou à Super U. Profitons plutôt de l’occasion pour pousser la porte des cavistes de Bordeaux.
Et ça tombe bien : il y en a de plus en plus. A l’échelle nationale, on constate une évolution de 10% sur la dernière décennie. A Bordeaux, selon la Chambre de Commerce et d’industrie, c’est près de 60% d’augmentation du nombre de cavistes depuis 2008 – 97 actuellement, contre 61 il y a 7 ans. Le métier attire et crée des vocations, il est temps de savoir pourquoi. Voici donc quatre raisons d’acheter chez eux plutôt qu’à l’hyper du coin.
1 – Parce qu’ils aiment le vin
Une spécificité propre à l’activité des cavistes bordelais est la faiblesse relative de chaines nationales et de réseaux de franchisés de type Nicolas. Alors que ce type de commerces représente, à l’échelon national, plus de 20% de l’offre, ils ne constituent que 7,2% en Gironde, selon une étude réalisée par la société d’intelligence économique Equonoxe, spécialisée dans le commerce de détails en vins et spiritueux. Les cavistes, particulièrement à Bordeaux, sont des indépendants passionnés.
Ils parlent en effet volontiers de leur activité professionnelle comme d’un « métier-passion », d’un « projet d’épanouissement personnel », ou encore d’une « passion pour le vin qui a grandi ». Nathalie Viet, d’Equonoxe, résume ainsi le profil type de ces nouveaux cavistes : « Des gens qui cherchent un épanouissement personnel après avoir atteint leurs objectifs de salaire en première partie de carrière. »
Le portrait robot : un homme d’environ 45 ans, issu du monde de la restauration (29%) ou ex-commercial (26%). Tous ont en commun le fait d’avoir tout plaqué pour se lancer dans le vin.
Un métier qui nourrit son caviste
Les cavistes que nous avons rencontré semblent correspondre à cet état des lieux statistiques. Antoine Pujol-Dorey, 42 ans, a d’abord travaillé à Londres, dans la restauration, avant d’être envoyé à Dubaï pour monter un restaurant dans un méga hôtel de l’émirat. Expérience décevante mais qui lui a permis de mûrir son projet : rentré à Bordeaux, il a depuis ouvert deux points de vente, l’un en 2010 à Bordeaux, à côté de la gare, l’autre l’année suivante à Bègles, cours Victor Hugo.
Thierry Stéphane, 53 ans, a quant à lui travaillé 25 ans dans l’œnotourisme avant d’ouvrir la cave Millésimes, à Caudéran, il y a trois ans.
Symboles de la féminisation du métier, Angélique Marvier, 38 ans, a ouvert La caisse de 12 barrière Saint-Médard il y a cinq ans. Avant, elle était juriste, puis a tout plaqué pour partir pour Londres, où elle s’est formé au métier de sommelier avec le caviste Odd Bins.
Floriane Dulubac, 28 ans, est caviste depuis quatre mois rue du Palais-Gallien à Bordeaux. Elle était auparavant acheteuse dans l’industrie ferroviaire.
Et pour ceux qui se demanderaient si caviste, ça rapporte, la réponse paraît positive. Pour Antoine, « ça marche », et, de toutes façons, il reste dans une dimension de petit commerçant : « Si ça n’avait pas été le cas, je ne serais pas tombé de très haut. »
Angélique, confie qu’elle ne gagne pas aussi bien que pendant sa vie antérieure de juriste, mais que, après cinq ans, son affaire tourne. Selon Nathalie Viet, s’il y a parfois de l’amateurisme chez certains cavistes, le turn-over dans la profession se situe exactement au même niveau que chez les autres commerçants de détails.
Passionnés, mais pas non plus inconscients, donc.
2 – Parce que vous boirez autre chose que du Bordeaux
Pour Antoine, le chauvinisme dans la consommation de vins à Bordeaux est encore palpable :
« Il y a certaines personnes qui ne vont jamais sortir de Bordeaux en termes de vins. Si je leur propose un Languedoc, ils s’imaginent que je vais leur vendre une bouteille en plastique ! »
Mais les choses changent. En témoigne la part de vins de Bordeaux dans le catalogue de chez certains cavistes bordelais: un quart chez Antoine ; 20% chez Floriane, rue du Palais Gallien ; 10% chez Thierry, qui a ouvert sa cave Millésimes avec « un concept : ne pas avoir de Bordeaux ».
« J’avais la volonté de vendre autre chose que du Bordeaux à Bordeaux », confie également Antoine. Et ce pour des raisons économiques : un caviste ne survit pas à Bordeaux s’il ne vend que du Bordeaux. La concurrence de la vente directe chez les producteurs s’ajoute en effet à celle des grandes surfaces.
Antoine se souvient de ses années étudiantes, à Bordeaux, au début des années quatre-vingt dix :
« Les bars à vin qui ouvraient les uns après les autres ne vendaient que du Bordeaux. Ils ont tous fermé les uns après les autres. Il n’y avait pas de recherche. »
Aller voir d’autres terroirs
Car lorsque les cavistes dénichent des pépites, la clientèle suit, selon Antoine :
« On voit des clients qui rentrent parce qu’ils recherchent quelque chose de différent que ce à quoi ils sont habitués, et c’est là où nous, cavistes, pouvons faire la différence. »
Caviste à Bordeaux, paradoxalement, reviendrait à vendre autre chose que du Bordeaux ?
« La clé de voûte de l’offre du caviste, confirme Nathalie Viet, c’est le petit vigneron qu’on ne trouve nulle part ailleurs, c’est d’avoir une offre différenciante. »
Aller voir d’autres terroirs permet de faire la différence dans une ville comme Bordeaux, saturée par l’offre en grands crus classés. Et pas seulement, comme le signale Pierre Paillardon, sommelier, dirigeant de diverses maisons de négoce à Bordeaux et acheteur de grands vins de Bordeaux pour l’entreprise américaine Wineaccess :
« On me demande de plus en plus de vins d’ailleurs que Bordeaux. Car le marché français est dominé par la grande distribution, qui formate la qualité des vins, y compris à Bordeaux. De l’autre côté, la restauration vend ses vins beaucoup, beaucoup trop cher. »
Les cavistes ont donc tout à gagner à se différencier des uns et des autres en allant chercher des goûts auxquels les consommateurs ne sont pas habitués. Si vous ne saviez pas qu’il y avait des crus classés en Languedoc, que l’Autriche produit du très bon vin et que le Cahors revient grâce ces dernières années, vous savez désormais où vous faire conseiller.
3 – Parce que vous pouvez discuter (et vous en jeter un derrière la cravate à l’occasion)
Quelle est la requête la plus fréquente d’un client chez un cavistes ? Réponse unanime des ces derniers : « Voilà je mange ceci, qu’est-ce que je bois avec ? »
« Je suis très surpris par le nombre de clients qui entrent, et qui s’adressent directement à moi pour me demander un conseil sur un accord met-vin, sans prendre la peine de flâner dans la boutique » confie Antoine.
Thierry, de la cave Millésimes, confirme :
« Ma première cliente m’a demandé un vin à servir durant un repas où le gratin du négoce vinicole bordelais serait là. Je lui ai vendu un Bourgogne de 2011, elle est devenue une de mes meilleures clientes. »
Des conseillers qui ont de la bouteille
Le caviste est donc celui chez qui on va parce qu’on a besoin de conseil.
« La valeur ajoutée d’un caviste, c’est lui-même » ajoute Nathalie Viet, de l’entreprise Equonoxe, une société de conseils spécialisée cavistes.
Selon Pierre Paillardon, négociant à Bordeaux, l’origine de ce besoin viendrait de la faiblesse du discours médiatique sur le vin en France :
« Les consommateurs ont besoin d’avis, et la presse française spécialisée n’a pas la force de la presse aux Etats-Unis [où le critique et œnologue Robert M. Parker a mis en place un système de notation supposé indépendant qui permet aux consommateurs de faire leur choix, NDLR] par exemple. Du coup ils sont en attente d’une opinion avisée au moment de leur achat, ce qui peut expliquer l’importance du rôle des cavistes. »
Viens boire un p’tit coup au magasin
Pour Nathalie Viet, l’engouement pour l’achat du vin en cave viendrait également de l’animation que l’on peut y trouver :
« Les cavistes les plus efficaces ont fait une mue complète de la façon dont ils abordent le client. Ils vont au delà du discours d’experts, qui n’est pas la meilleure clé d’entrée pour les nouvelles générations. Les nouvelles caves, c’est de plus en plus des lieux chaleureux et agréables où faire ses courses devient un plaisir. »
C’est aussi un lieu où on peut essayer avant de boire. La jeune chaine de franchisés V and B, pour Vins and Bières, l’a bien compris, et propose un concept « 50% cave, 50% bar » pour faire venir les clients dans ses magasins. Thierry Stéphane, le caviste de Caudéran est également de cet avis :
« Obtenir une licence restauration était indispensable pour faire découvrir les vins. On peut venir ici et boire un verre sans problème. »
La cave de Flo propose aussi régulièrement des dégustations gratuites, parfois en présence des vignerons. Goûter le vin avant de l’acheter, c’est moins dans le rayon de la grande distribution…
4 – Parce que vous soutenez des réseaux alternatifs
« Il y a beaucoup de rêveurs dans le métier », estime Pierre Paillardon. S’il ne croit pas aux vins naturels (« un phénomène de modes chez les cavistes bobo »), il mise sur le potentiel de la biodynamie.
Pour ceux du fond qui sont un peu largués entre les diverses certifications, sachez qu’il y a une gradation dans le vin dit biologique. Un vin estampillé AB vous garantit que le raisin dont il est issu a été traité par les méthodes de l’agriculture biologique, et qu’un nombre limité d’intrants y a été utilisé. La biodynamie en viticulture va un peu plus loin, et ne permet pas du tout l’utilisation d’intrants. La vinification naturelle, enfin, interdit l’ajout d’intrants lors de la fermentation du vin, notamment de souffre.
Sans entrer dans la controverse pour ou contre le vin naturel, il est intéressant de noter que le bio occupe une part largement majoritaire chez la plupart des cavistes que nous avons rencontré.
« La grande distribution tue les producteurs »
Floriane Dulubac, qui a ouvert sa cave rue du Palais Gallien en 2015, se targue de ne vendre que du vin bio, ou biodynamique, ou naturel. Même son de cloche chez Thierry Stéphane, qui affirme avoir 100% de son catalogue en bio. Pour eux, le vin bio c’est avant tout une démarche environnementale et sociale, qui permet de retrouver le sens du terroir, de la proximité et des circuits courts.
Pour vendre un vin, il faut connaître l’homme derrière le terroir, être sûr qu’il « travaille de manière propre » souffle Floriane. « J’ai une relation amicale avec la plupart des vignerons avec qui je travaille », rajoute Thierry.
Julien Magniez, fondateur de la société B+vins, qui réalise de l’import-export de vin entre la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, part régulièrement à la rencontre de ces vignerons européens.
Pour Floriane, il ne s’agit pas seulement de mieux boire grâce au vin bio, mais de proposer quelque chose de vraiment alternatif à la grande distribution « parce que c’est nul, que ça tue les producteurs ».
Entre 7 et 13% de parts de marché
Quand on lui demande si elle est en concurrence avec les grandes enseignes de la distribution, elle hausse les épaules :
« Il y a beaucoup de vignerons, surtout dans la démarche bio, qui ne veulent pas être représentés en grande distribution. On n’est donc plus vraiment sur les mêmes produits. »
Avec des parts de marchés assez faibles, entre 7 et 13%, par rapport à la grande distribution qui s’arroge quasiment tout le reste, les cavistes font vivre des circuits d’agriculture un peu différents, moins tournés vers la productivité. Cela ne fait aucun doute pour Nathalie Viet :
« Sans cavistes, la diversité de l’offre vinicole française en prend un sacré coup. »
Raison de plus pour vous rendre chez votre caviste de quartier discuter vin rouge et terroirs.
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