« Quand je vous écoute j’ai l’impression d’entendre Marguerite : vous chantez faux. Votre entreprise de démolition systématique, les gens n’y croient pas. »
Pour ce conseil municipal de rentrée, Alain Juppé n’a pas trop apprécié la petite musique jouée par ses opposants socialistes, qui ont attaqué le maire à la truelle sur leurs angles d’attaque favoris, les équipements de proximité selon eux délaissés, et les nouvelles construction à Bordeaux.
Profitant d’une délibération sur Ginko (l’acquisition par la Ville, à titre gratuit, d’une parcelle de 32000 m2 pour le Parc Bühler, entre l’écoquartier et les Aubiers), Michèle Delaunay commence par déplorer la qualité des logements – remise en question, selon les socialistes, par l’effondrement d’un balcon cet été –, espérant « être toujours fière de Bordeaux dans 20 ans ».
« Tout le monde sait que Bordeaux s’est redoutablement dégradé depuis 20 ans », ironise Alain Juppé, taxant au passage de « dramatisation ridicule » la demande du conseiller départemental Philippe Dorthe (PS) d’un moratoire sur les constructions neuves.
« On ne va pas arrêter la réalisation de 3000 logements par an à Bordeaux, dont 1000 de logements sociaux » suite à un incident « spectaculaire mais isolé et sans dommage corporel ».
Dumping social
En préambule du conseil municipal, Alain Juppé a rappelé qu’une enquête est en cours pour déterminer les causes exactes de ce décrochage, et qu’il avait écrit au président de Bouygues Immobilier, reconnaissant qu’il fallait « être plus attentifs à la qualité de l’offre » :
« C’est vrai aussi que nous demandons aux promoteurs constructeurs de tirer les prix vers le bas, mais cela ne doit pas se faire aux dépens de la sécurité. Je note que le manque de formation et de qualification des salariés est un vrai problème pour les professionnels de ce secteur. »
L’ex Premier ministre y voit une cause : le système des travailleurs détachés, permettant à des travailleurs étrangers d’être payés aux conditions salariales du pays hôtes, mais avec les niveaux de charges sociales du pays d’origine. « Du dumping social pas tolérable », juge Alain Juppé, qui souhaite que l’Union européenne réforme le système de détachement selon deux principes : « A travail égal, salaire égal, et perception des cotisations dans le pays de résidence et de travail. »
Coiffeur
Les prix de sortie des logements font une brève irruption en séance :
« Des appartements qui ont coûté 2200 euros le m2 tout compris, et qui sont revendus 5300, je n’appelle pas ça tirer les prix vers le bas », estime Michèle Delaunay.
« Apportez moi les documents qui vous permettent de dire cela », s’emporte une première fois le maire. Il accuse ses opposants socialistes d’être déconnectés de la réalité, et de passer leur temps « sur Twitter et Rue89 » (le conseiller municipal PS Matthieu Rouveyre vient alors de citer le témoignage d’un recruteur au forum emploi, peu amène envers un élu local, dont le nom n’est pas mentionné dans le texte).
Plus tard, Alain Juppé appuie son propos, et fait marrer la salle, en citant la boutade, postée en direct du conseil municipal sur Twitter par Michèle Delaunay (les coupes de cheveux des adjoints Virginie Calmels et Nicolas Florian prouveraient qu’ils auraient le même coiffeur ; l’ancienne ministre délégué aux personnes âgées a depuis supprimé ce tweet).
« Quartier abandonné »
Mais peu de temps après, fini de rigoler. Le débat porte alors sur la convention territoriale du contrat de ville de Bordeaux, c’est à dire l’aide aux quartiers prioritaires. La conseillère municipale socialiste Emmanuelle Ajon brosse un tableau quasi apocalyptique de la Benauge – « quartier abandonné qui entraine la fuite de ses habitants (…) enclavé faute de station de tram, de V3 ou de liane de bus », où la réouverture de la piscine Galin a été repoussée à 2019, et où « l’école à l’abandon ne sera pas rénovée avant 2017 », indique l’élue PS en montrant des photos sur sa tablette, et en dénonçant une politique de remplacement des classes sociales.
« Assez de misérabilisme, s’énerve Alain Juppé. Vous exploitez de façon démagogique une situation que nous connaissons. Cela vous laisse quelques os à ronger, mais nous avons entendu votre message et un programme de rénovation est en cours » (10 classes auraient été rénovées à hauteur de 165000 euros et 6 millions seront consacrés à l’école à partir de la fin 2016, précise son adjointe Emmanuelle Cuny).
Réplique de Matthieu Rouveyre, qui venait de dénoncer les projets promis mais enterrés ou repoussés (crèche flottante aux Bassins à flot, Maison des danses à Ginko…) :
« Encore heureux qu’il y ait quelques rénovations, comme celle de la Halle des Douves, dans la ville parmi les plus fiscalisées de France, avec selon Le Figaro une augmentation de 10,32% de la taxe d’habitation pour les Bordelais qui ont reçu leur feuille il y a 15 jours. »
En fait la hausse de la taxe n’est que de 3,7%, mais le taux est porté à 32,35%, quand la moyenne nationale est elle de 10,32%. L’erreur, corrigée depuis, vient de l’infographie du journal, mais Alain Juppé voit rouge. Il suspend la séance, et vient souffler dans les bronches de ses opposants. Quelques minutes plus tard, le conseil reprend.
« Spectacle lamentable »
« Nous donnons un spectacle lamentable, déplore le maire. Je n’ai jamais vu une telle agressivité systématique venant d’un parti d’opposition. Ce travail de démolition est mené dans un double objectif, nous énerver et essayer de masquer la réalité des problèmes. C’est le désengagement massif de l’Etat qui (…) nous contraint à augmenter les impôts. »
Le candidat à la primaire à droite accuse François Hollande de promettre, lui des baisses d’impôts, sans financements garantis. Car qui va devoir se serrer la ceinture à l’arrivée ?
Pour Alexandra Siarri, adjointe au maire en charge de la cohésion sociale, « l’ensemble des acteurs de la politique de la ville sont désespérés car ils n’ont aucun éclairage sur l’enveloppe que l’Etat va leur assigner. Trois quartiers sortent de la géographie prioritaire (Saint-jean, Belcier, Chartrons Nord). L’Etat abandonne ainsi 23000 personnes en dessous du seuil de pauvreté », à cause des arbitrages « de vos amis » du gouvernement socialiste.
Vincent Feltesse, conseiller municipal et conseiller du président de la République, s’étrangle :
« La baisse des crédits pour la politique de la ville en Gironde c’est 5%, quand ils ont baissé de 40% entre 2007 et 2012, lorsque M. Juppé était n°2 du gouvernement. »
Les jets de pierre risquent de continuer encore longtemps.
Chargement des commentaires…