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La pollution de l’air, un serial killer pris à la légère ?

La pollution de l’air inquiète 78% des Aquitains, et plus d’un sur trois auraient consulté un médecin à cause d’elle, révèle un sondage de l’Airaq. Alors que se déroule ce vendredi la première journée nationale de la qualité de l’air, Bordeaux Métropole veut davantage restreindre la circulation automobile.

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La pollution de l’air, un serial killer pris à la légère ?

Ce poteau au milieu de la photo n'est pas un feu rouge, mais une station de mesure de la qualité de l'air (SB/Rue89 Bordeaux)
Ce poteau au milieu de la photo n’est pas un feu rouge, mais une station de mesure de la qualité de l’air (SB/Rue89 Bordeaux)

Plus de 150 morts seraient différées chaque année si l’agglomération bordelaise réduisait la quantité de polluants dans l’air (PM10, particules de diamètre inférieur à 10 microns, PM2,5 et dioxydes d’azote, principalement) aux niveaux recommandés par l’OMS (organisation mondiale de la santé). La réduction des frais sanitaires (dont des centaines d’hospitalisation pour troubles respiratoires ou cardio-vasculaires…) permettrait d’économiser chaque année près de 350 millions d’euros à l’échelle de la métropole. Selon un récent rapport du Sénat, la pollution atmosphérique coûte chaque année plus de 100 milliards d’euros à la France.

Les données s’accumulent contre ce serial killer qu’est la mauvaise qualité de l’air, et la prise de conscience s’accélère. La fraude massive de Volkswagen ne fait que mettre plein phares la duplicité de certains responsables – il est de notoriété publique que les tests d’émissions de polluants de voitures par les constructeurs présentent des résultats jusqu’à 40% inférieurs à la réalité.

Des Aquitains inquiets pour leur santé

Le diesel, auquel roule 79% du parc automobile de la métropole bordelaise est particulièrement sur la sellette : dans l’agglomération, le trafic routier est responsable de 66% des émissions d’oxyde, de 47% des particules PM10 et de 44% des émissions de PM2,5.

« Nous avons en Aquitaine deux problématiques : d’abord le trafic auto, puis le chauffage, indique Patrick Bourquin, directeur d’Airaq. Les polluants mesurés sont les oxydes d’azote et les particules fines en suspension. A ne pas confondre avec les poussières grossières, qui sont filtrées par le système respiratoire : les PM10 et PM2,5, déjà pas terrible en soi, servent de vecteurs à des molécules cancérigènes, mutagènes et irritante, comme le benzène. Elles peuvent franchir les barrières pulmonaires, et atteindre le cerveau ou le fœtus chez les femmes enceintes. »

Il est donc a priori logique que 78% des Aquitains se disent préoccupés par la pollution de l’air, et que 65% d’entre eux accusent les gaz d’échappement des véhicules (et 65% les pesticides), selon un sondage réalisé par Ipsos auprès de 800 personnes pour l’Airaq, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Aquitaine. Même si – et ce n’est pas le seul paradoxe de cette enquête d’opinion présentée ce jeudi au Club de la presse de Bordeaux –, 80% estiment que la qualité de l’air est bonne dans la région (la proportion chutant à 47% pour leur perception de la qualité de l’air en France)…

« L’enquête nous donne des tendances qu’on n’avait jamais mesuré sur la préoccupation sanitaire des Aquitains, signale Sylvanie Chamaillard, responsable communication de l’Airaq. 42% déclarent souffrir d’une affection liée à la pollution de l’air, et 9 sur 10 d’entre eux auraient déjà consulté un médecin pour des troubles liés à la pollution. »

Décalage avec la réalité

Pourtant, la vision des Aquitains est « en décalage avec la réalité », affirme l’Airaq. Ainsi, les ¾ des sondés estiment que la qualité de l’air s’est dégradée ou stagne depuis 10 ans, alors que « la plupart des polluants suivis par l’Airaq, ont diminué » (notamment de -29% pour les PM2,5 et de -76% pour le dioxyde de soufre, le SO2) . Une évolution positive liée selon l’organisme aux évolutions technologiques des moteurs, au renouvellement des parcs de voitures et de chauffage, ou encore, plus localement, à la baisse de 30% de la circulation auto dans l’hyper centre de Bordeaux. Mais cette tendance, nuance Patrick Bourquin, est « contrecarrée par l’augmentation globale du trafic dans la métropole », une des plus embouteillées de France.

La rocade au niveau du lac (SB/Rue89 Bordeaux)
La rocade au niveau du lac (SB/Rue89 Bordeaux)

Toujours au rayon « idées reçues », selon l’Airaq, 60% des personnes interrogées incriminent les rejets des usines, alors que leur part dans la pollution de l’air est mineure dans la région (environ 10%). Ils minimisent au contraire l’impact de la pollution de l’air intérieur, qui tue davantage que celle de l’atmosphère, ou celui des feux de cheminées : seuls 12% des sondés les identifient comme une source de pollution, alors que ces flambées peuvent émettre jusqu’à 70% des particules mesurées certaines journées de grand froid.

« La pollution est mobile, et celle aux particules provoquée par les feux de bois touche l’agglomération, alors qu’elle compte relativement peu (autour de 20%) de ménages disposant d’appareils de chauffage au bois, poursuit Patrick Bourquin. Nous n’avons rien contre ce mode de chauffage, au contraire : en utilisant une ressource renouvelable, il permet de limiter les émissions de gaz à effet de serre. A condition toutefois que ce ne soient pas des foyers ouverts, mais des poêles à bois aux normes, ou des inserts de cheminée. »

Passer la surmultipliée

Un autre enseignement important du sondage de l’Airaq, c’est qu’il est difficile de faire évoluer les comportements. Si les Aquitains interrogés sont 73% à vouloir davantage d’informations sur la qualité de l’air, seulement 12% en recherchent activement, et seulement la moitié ont adopté les éco-gestes. Aérer son logement 10 minutes par jour ou baisser le thermostat du chauffage, sont devenus des réflexes pour la majorité des habitants de la région. En revanche, seulement 35% d’entre eux utilisent les transports en commun ou le vélo (45% en Gironde), et 20% le covoiturage.

Les Aquitains considèrent à tort que la pollution de l’air est un problème global sur lequel ils n’ont pas de prise. Au delà de la communication nécessaire sur les bonnes pratiques, il est nécessaire de passer à la vitesse supérieure.

« La question du diesel nous paraît secondaire, estime carrément Patrick Bourquin. La question plus générale, c’est : “Est-ce qu’un moteur thermique a explosion a sa place dans un centre urbain ?” La réponse est non. On doit tout changer dans l’organisation de la ville et pour l’amélioration des transports en commun. »

Les Zapa zappées

Or les réponses politiques sont encore timorées. Sous le coup de sanctions judiciaires de l’Union européenne pour dépassements excessifs des seuils de pollution, les agglomérations françaises ont en 2012 dit niet à la création des Zapa (zone d’actions prioritaires pour l’air). Sur les 8 métropoles françaises concernées, la Communauté urbaine de Bordeaux (à l’époque) avait même renoncé à élaborer un scénario prospectif « ZAPA », intégrant une restriction de circulation des véhicules les plus polluants. La CUB estimait alors que le développement de son réseau de transport en commun, notamment, entrainerait une réduction du trafic auto.

Aujourd’hui, ce n’est pas du rétropédalage, mais ça y ressemble : candidate à l’appel à projet du ministère de l’écologie « Ville respirable à 5 ans », dont les résultats seront divulgués ce vendredi, journée nationale de la qualité de l’air, Bordeaux Métropole « va réfléchir à des mesures de restriction de circulation pour les véhicules polluants », a annoncé au Club de la presse Anne Walryck, vice-présidente en charge du Développement durable.

Pourrait elle comme Paris, seule grande ville sur les rangs, expérimenter l’écopastille voulue par Ségolène Royal, mais qui ne se mettra en place que dans les agglomérations volontaires ? Ce système permettra, dès le 1er janvier 2016, en fonction de la couleur de la pastille, d’identifier l’impact sur la qualité de l’air de chaque véhicule. Sept couleurs détermineront  autant de conditions particulières de stationnement et de circulation. Anne Walryck reste prudente quant à une application du dispositif à Bordeaux :

« Nous avons été l’une des rares villes à être volontaire pour la pastille verte en 2008. Aujourd’hui nos réflexions sur son extension portent sur les délais et le zonage Il faut que cela se fasse de façon concertée, que cela ne soit pas au détriment de certaines catégories de population. On ne va pas faire du jour au lendemain des zones de circulation restreinte. »

Leur création, ainsi que la multiplication des zones 30, pourraient figurer dans le nouveau PLU 3.1, actuellement en discussion.

Carotte et bâton

Bordeaux Métropole compte aussi sur les financements promis par l’appel à projet pour tester des « mesures innovantes » comme le déploiement de bornes de recharge de voitures électriques sur l’ensemble de l’agglomération. Voila pour la carotte. Quand au bâton, il pourrait venir de l’Europe, poursuit la vice présidente en charge du développement durable :

« Bordeaux n’a plus de risque de contentieux avec l’Union européenne sur les dépassements de seuil de PM10. Par contre les risques sont toujours avérés sur les dioxydes d’azote. L’UE a rabaissé les seuils pour les différents polluants, et c’est plutôt une bonne chose car cela nous oblige à être plus vigilants. »

Il serait dommage que Bruxelles voit rouge contre Bordeaux.


#Airaq

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