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Bacalan, « zone de non-droit » fantasmée

Bacalan a bien souvent mauvaise presse, dans les médias et dans les discours politiques : trafics, délinquance, et parfois même zone de non-droit sont les attributs associés au quartier. En fait, le nombre de délits y est faible et stable, inversement proportionnel au sentiment d’insécurité. Reportage.

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Bacalan, « zone de non-droit » fantasmée

Vue de Bacalan depuis le pont d'Aquitaine (SuperCar-RoadTrip.fr/flickr/CC)
Vue de Bacalan depuis le pont d’Aquitaine (SuperCar-RoadTrip.fr/flickr/CC)

Quand Bacalan s’affiche aujourd’hui dans la presse, c’est presque toujours sous un mauvais jour. Rodéos, trafic de stupéfiants, coups de feux, ou, dernier exemple en date, un article de Sud-Ouest en juillet dernier évoquant un « quartier en passe de devenir une zone de non-droit », Bacalan semble abonné aux pages faits-divers.

« Quel quartier n’a pas de problème ? Oui, il y a des jeunes ici qui font les fous avec leurs voitures, ça fait du bruit, ça sent les pneus brûlés… Mais je n’ai pas peur. J’appelle la police. »

Du haut de ses quatre-vingt-dix ans, Odette (les prénoms suivis d’une * ont été modifiés) a la langue bien pendue. Et la mauvaise image qui colle à la peau de son quartier – et plus particulièrement au secteur où elle habite depuis des décennies, à savoir à quelques pas du Pont d’Aquitaine, un des coins réputés pour être le plus « mal famé » de Bacalan –, l’agace prodigieusement.

« On vit très bien ici », poursuit la nonagénaire.

Vu de l’intérieur

Une proche voisine, qui préfère garder l’anonymat, approuve. Certes, le soir, quelques jeunes font du bruit. Quand les décibels atteignent un niveau trop gênant, elle n’hésite pas à s’adresser directement aux parents des trouble-fêtes pour leur demander de remettre leur marmaille dans le droit chemin. Quant à des phénomènes d’agression ou de violences, elle n’en a pas connaissance.

« D’ailleurs, si le quartier était vraiment chaud, on verrait davantage les policiers, non ? Or, depuis la rentrée, on ne les voit vraiment pas beaucoup », souffle-t-elle.

Du côté de la résidence du Port de la Lune, un autre des points jugés problématiques à Bacalan, les habitants interrogés semblent unanimes :

« Oui, c’est un coin bruyant. Oui, il y a des jeunes qui se regroupent, tard le soir, qui jettent leurs cannettes et des détritus dans la rue. Mais, au final, ils sont davantage mal élevés que dangereux. »

Combats de coqs et voleurs de poules

Ici, personne ne stigmatise une catégorie de jeunes en particulier, notamment ceux de la communauté gitane, souvent associés hors de Bacalan à la mauvaise image du quartier. Une série d’articles parus en février 2015, l’ont ainsi présenté comme une zone à éviter où se tiennent des combats de coq et de chiens (sans vérification aucune), entretenant le racisme envers les gitans sédentarisés qui y habitent.

Jamais directement nommée, mais clairement visée dans ces reportages, la communauté gitane se montre depuis particulièrement rétive à la présence de journalistes dans le secteur…

« Ce sont des jeunes de tous origines qui font le bazar, insiste Geneviève (*) qui habite dans le secteur depuis plus de dix ans. D’ailleurs, il suffit d’aller au festival Nomades, continue l’octogénaire, pour voir que ce que font les gitans est vraiment super. Il faut arrêter avec cette focalisation, il n’y a vraiment pas qu’eux comme mauvais sujets ! »

Un avis que partage Luis Diez, président de l’association de défense du quartier de Bacalan :

« Ici nous n’avons affaire qu’à des problèmes d’éducation et de misère, pas à des problèmes d’origines, martèle-t-il, Les Gitans sont installés à Bacalan depuis plus de soixante ans et la mauvaise réputation du quartier date de bien avant. »

Graffiti à Bacalan (Thierry Llansades/flickr/CC)
Graffiti à Bacalan (Thierry Llansades/flickr/CC)

Une vieille histoire

« Quand j’étais jeune et que je disais à mes parents que j’avais rencontré un garçon de Bacalan,  ils me disaient toujours de ne pas m’y frotter ! », se remémore Geneviève, qui depuis en a pourtant épousé un !

Conseiller départemental de la Gironde élu sur le canton de Bacalan où il vit depuis toujours et où vivait déjà son grand-père, Philippe Dorthe résume ainsi les origines de cette mauvaise réputation :

« Le bourgeois bordelais a toujours confondu le malfrat et l’ouvrier. Et sans faire dans le bisounours, ici ce n’est pas le Bronx. »

Pourtant, il a été un des premiers, avec sa camarade Sandrine Doucet, députée de la première circonscription de Gironde, à interpeller les pouvoirs publics et notamment le ministère de l’Intérieur au sujet de Bacalan, réclamant par exemple la réouverture d’un commissariat de proximité dans ce quartier…

Une attitude paradoxale très révélatrice d’une évolution actuelle : en politique la question de la sécurité occupe depuis quelques années, et notamment depuis l’élection présidentielle de 2002, une place considérable dans le débat public.

D’ailleurs, Philippe Dorthe le reconnaît, « les problèmes à Bacalan se concentrent sur 0,01% du quartier, à savoir autour de l’avenue Labarde, vers le pont d’Aquitaine ». Mais pour lui, « ne rien dire et ne rien faire équivaut à laisser ces foyers, où se cumulent incivilités, trafics et attroupements, prendre de l’importance ».

Fantasmes et réalité

Mais au fait, que disent les chiffres de la délinquance pour Bacalan ? Ils restent « faibles » et « ne sont pas en augmentation », révèle Simon Bertoux, le directeur de cabinet du préfet de la région Aquitaine (sans toutefois souhaiter donner de chiffres quartier par quartier, afin de ne pas les stigmatiser) :

« Si on s’en tenait uniquement à l’exploitation des chiffres, Bacalan ne devrait pas être une priorité, poursuit-il, mais le problème réside dans la montée d’un fort sentiment d’insécurité ressenti par de nombreux habitants de ce quartier. »

Un sentiment évalué, comme il l’explique, par les « antennes présentes sur place », à savoir les RG.

« Les problèmes rencontrés à Bacalan sont surtout de l’ordre de l’incivilité au quotidien, incivilité qui amène un sentiment d’insécurité, renchérit Nathalie Delattre, maire adjointe du quartier Bordeaux-Maritime. Les riverains n’en peuvent plus, ils expriment un vrai ras-le-bol et réclament la tranquillité publique. »

« Le centre ville plus victime de vols »

Un hiatus entre criminalité réelle et sentiment d’insécurité que la convention territoriale du contrat de ville 2015-2020 de Bordeaux résume ainsi :

« La délinquance constatée par les services de Police est en baisse régulière depuis 15 ans avec une moyenne de 27900 faits par an (24900 faits constatés en 2013 par exemple). Si la délinquance est en recul ainsi que les “violences urbaines”, les phénomènes d’incivisme ont quant à eux connu une ampleur significative. L’insécurité tendrait donc à se définir à présent davantage comme ce qui altère la qualité de vie que comme un danger pour soi, ses proches ou ses biens. »

Concernant particulièrement les quartiers prioritaires de la ville de Bordeaux, la convention territoriale, votée lors du dernier conseil municipal, dresse un constat édifiant :

« Force est de constater, contrairement a certaines idées reçues, que ce n’est pas sur ces sites que la délinquance est la plus importante. Le centre ville et les quartiers pavillonnaires sont bien plus victimes de vols du fait des opportunités qui s’y trouvent. »

Obsession insécuritaire ?

Pourtant, Bacalan a les honneurs de la mairie de Bordeaux dès qu’il s’agit de sécurité.

En 2014, le maire de Bordeaux est ainsi intervenu auprès du préfet et du directeur départemental de la sécurité publique pour demander la création d’une zone de sécurité prioritaire (ZSP) à Bacalan. En vain.

A défaut, un comité de liaison police-population a vu le jour en décembre 2014. Objectifs : faire remonter plus facilement les informations en matière de trouble aux autorités compétentes et mettre en place une présence policière renforcée et visible « pour déranger ceux qui dérangent ».

En février 2015, le conseil local de la sécurité réuni à Bordeaux pour discuter de « l’après Charlie Hebdo » avait également spécifiquement évoqué le « cas Bacalan » un quartier jugée par la mairie « sous-tensions ».

Et depuis septembre la mise en place du premier Groupement local de traitement de la délinquance (GLTD) bordelais, centré sur ce quartier, mais aussi sur les Aubiers et Grand Parc, semble confirmer le caractère prioritaire de la question.

Prévenir ou forcer la dérive ?

Au nord du Pont Tournant, la mise en place d’un tel dispositif agace et beaucoup y voit un « gadget » ou une « étiquette » qui ne servira qu’à renforcer la mauvaise image de leur quartier.

« Ça serait bien de parler de Bacalan autrement qu’au travers des problèmes de délinquance, au fond il n’y en a pas plus qu’ailleurs », soupire un éducateur de rue qui travaille dans le quartier. « Encore un truc bidon », proteste un riverain. « Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage ! », conclut Odette.

Luis Diez, de l’association de défense de Bacalan, martèle que les problèmes « sont avant tout sociaux » :

« Ici, nous avons un tissu associatif très important, la plus vieille amicale laïque de France, tout ça nous permet de gérer les difficultés. Agiter ainsi la question de l’insécurité n’est pas une bonne chose, ce n’est pas une question à laisser aux mains des citoyens, il y a un risque de dérive populiste. Preuve en est, tout récemment, une pétition réclamant l’évacuation d’un squat occupé par des Bulgares a fini sur le bureau du Front national local. »


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