Entre Virginie Calmels et Alain Rousset, le torchon brûle. Non, nous n’oserions pas parler pas de la sorte de Sud Ouest, honorable journal devenu la cible préférée de la candidate de droite aux élections régionales en Aquitaine/Limousin/Poitou-Charentes. Lors de son meeting à Limoges, mercredi, l’adjointe d’Alain Juppé a prétendu que le président sortant de la région Aquitaine, choisissait les photos titre de presse quotidienne régionale (PQR), déclenchant les lazzi des militants.
Le député socialiste a répliqué ce jeudi, estimant que sa rivale représente la « bollorisation » de la presse française – allusion au nouveau patron de Canal Plus, Vincent Bolloré, suspecté d’avoir censuré plusieurs reportages ces derniers temps. Alain Rousset a par ailleurs indiqué avoir saisi le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel) à propos de l’inégalité de traitement entre lui et Virginie Calmels sur les médias nationaux.
Alain Rousset bientôt chez Yann Barthès ?
Après de récents passages aux Grandes Gueules de RMC, à BFM TV, après une interview « complaisante » (selon le député PS Gilles Savary) dans les Echos, l’ex-directrice générale adjointe de Canal Plus était en effet ce jeudi soir l’invité du « Petit journal », remerciant Yann Barthès de l’aider ainsi à combler son déficit de notoriété. Dans cette émission, il n’a évidemment pas été question des TER Bordeaux-Périgueux ou de la formation professionnelle dans la Creuse, mais pas non plus des attaques répétées de Virginie Calmels contre Sud Ouest.
Celles-ci se sont pourtant accentuées ces derniers jours. Vendredi dernier, les porte-paroles du groupe Les Républicains au Conseil régional d’Aquitaine, Jérôme Peyrat et Nicolas Florian, ont dénoncé un « parti pris flagrant » du quotidien en faveur du socialiste Alain Rousset, au détriment de leur championne, victime, selon eux, d’une « inégalité de traitement ».
Les Républicains à cheval sur la pagi
Dans un communiqué de presse, ils reprochaient pêle-mêle au journal d’avoir fait « une simple brève » de la désignation comme N°2 en Gironde de l’ancien champion d’équitation Pierre Durand, et ce le surlendemain de cette annonce. Ou encore d’avoir traité la présentation de ses 12 têtes de listes départementales « en un quart de page et sans une photo complète des 12 (édition du 5 septembre 2015) », quand pour l’annonce équivalente, le candidat socialiste « a bénéficié de la Une, d’une double page et d’une photo des 12 non tronquée (édition du 17 juillet 2015) ».
Pour Les Républicains, le prêt de 900000 euros accordé à Sud Ouest par la région Aquitaine à trois mois de l’élection autorise ces théories du complot.
[Les électeurs jugeront …] #AvecCalmels http://t.co/JMKVsSeBJt pic.twitter.com/WhKHIAcGwy
— Avec Calmels (@AvecCalmels) 11 Octobre 2015
« Je sais combien les journalistes sont attachés à leur indépendance et je la respecte pleinement. Cela étant, tout le monde connaît l’interventionnisme de mon opposant socialiste qui ne se gêne pas pour appeler les rédactions », a estimé le 13 octobre l’adjointe d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux.
Elle a décidé dans la foulée d’annuler sa participation aux débats organisés exclusivement par le journal dans le cadre de la campagne des régionales.
Malheureuses marionnettes
Ce jeudi, la Société civile des journalistes professionnels de Sud Ouest, actionnaire minoritaire du Groupe Sud Ouest, a déploré dans un communiqué « l’attitude d’hostilité générale de Virginie Calmels, qui boycotte les débats de notre titre mais, surtout, met en cause, sans relâche depuis une semaine, la probité de notre rédaction ».
Elle a appelé « Mme Calmels à accorder aux journalistes de Sud Ouest la considération qu’ils méritent et à cesser de les assimiler à de malheureuses marionnettes qu’un homme politique (ou une femme) pourrait téléguider ».
La Société des journalistes a d’ailleurs rappelé qu’au conseil d’administration elle avait elle-même « voté contre ce prêt », « jugeant que le timing choisi, à l’orée de la campagne électorale, aurait les effets dévastateurs ».
« Pas un enjeu de campagne »
Directeur de publication de Sud Ouest, Patrick Venries est également monté au créneau ce jeudi, signalant que « depuis sa déclaration de candidature, le 11 avril dernier, Mme Calmels a été citée 146 fois au sujet des Régionales (papier et numérique). M. Rousset a été cité à 179 reprises. Ce différentiel s’explique par le fait que, jusqu’à mercredi, Mme Calmels n’avait pas tenu de meeting interrégional et n’a pas encore présenté ses listes départementales ».
« Les journalistes de la rédaction de Sud Ouest réfutent tout soupçon de partialité à l’égard de tel ou tel candidat, poursuit Patrick Venries, et traiteront l’actualité de la campagne électorale dans le respect de l’indépendance et du pluralisme, valeurs professionnelles communes qui figurent dans l’introduction de notre Charte déontologique. Nous (…) considérons que notre titre ne peut être un enjeu de campagne. Notre fonction est de faire vivre le débat démocratique, pas de s’y substituer. »
Cette offensive contre un titre de presse n’est pas isolée. Dans la région Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon, la couverture de la campagne des régionales par La Dépêche du Midi (propriété de Jean-Michel Baylet, le président du Parti des Radicaux de Gauche) est très critiquée par Dominique Reynié, le candidat Les Républicains.
« Éviter de perdre des budgets »
Pour le spécialiste des médias Jean-Marie Charon, la situation des deux journaux n’est toutefois pas comparable :
« Sud Ouest appartient à une catégorie de grands quotidiens régionaux globalement plutôt proche des élites et conservateur, comme Ouest France, sans être très virulent dans leur conservatisme. En même temps, et c’est ce qui leur a permis de garder leur public, ils ont la capacité d’être vigilants et de ne pas être trop liés à un seul courant politique. »
Même si les difficultés économiques de la presse compliquent les choses, poursuit le sociologue :
« Dans la presse régionale, la proximité des élus avec les journalistes ne facilite pas l’indépendance par rapport aux pouvoirs locaux. Mais la PQR échappait un peu plus que les autres médias à cette question de la dépendance financière. Aujourd’hui, la baisse des ressources publicitaires et du nombre de lecteurs peut la rendre plus prudente pour éviter de perdre certains budget de communication institutionnelles, voire certaines subventions, notamment pour les télés locales ».
A l’école Sarkozy
Par ailleurs, le sociologue observe une « ambivalence » grandissante chez les hommes et les femmes politiques :
« D’un côté ils n’ont jamais été autant préoccupés de leur image et de la manière dont les médias les traitent, car ils investissent énormément dans la communication, en s’entourant de conseillers, souvent d’anciens journalistes. De l’autre, ils attendent des médias qu’ils soient proches de leur façon de voir les choses et n’hésitent pas à tenir des discours extrêmement virulents à leur égard, souvent plutôt off. Nicolas Sarkozy est très habitué à ce genre de discours. C’est une façon de surfer sur la crise de confiance à l’égard des médias, et de s’appuyer sur une forme d’opinion publique pour mettre en cause le travail des journalistes et de faire pression sur eux. »
Mercredi à Limoges, Nicolas Sarkozy était venu soutenir Virginie Calmels. Voici l’ancienne dirigeante d’Endemol, dont Alain Juppé est pourtant l’idole, à bonne école.
Chargement des commentaires…