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Calmels-Rousset : la modération aura-t-elle payé ?

Entre une gauche « sans frondeurs » et une droite du « renouveau », Hubert Bonin analyse la cristallisation des votes en faveur des partis ou alliances « classiques ». Ceux-ci ont pu constituer deux forts points d’ancrage pour le vote des Girondins au premier tour des élections régionales.

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Calmels-Rousset : la modération aura-t-elle payé ?

Panneaux électoraux à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)
Panneaux électoraux à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

1. En quête d’un clivage gauche-droite

Le paradoxe girondin aura été, pour ces élections régionales, non pas seulement la participation au phénomène d’érosion relative de la droite malgré la volonté de « renouveau » affichée par Virginie Calmels et le profil de rassembleurs des « juppéistes » alliés aux centres, mais bel et bien la cristallisation de pôles bien clivés entre droite et gauche.

C’est d’abord peut-être dû au léger recul de l’abstention et donc à un désir de mobilisation, voire d’engagement, parmi les électeurs habitués des partis classiques. C’est surtout, je crois, un effet de l’incarnation du rassemblement prôné, sinon incarné, par les deux candidats. Virginie Calmels et ses deux mentors Alain Juppé et François Bayrou auront réussi à fédérer presque tous les courants de droite (sauf celui de Debout la France) et des centres (UDI, Modem).

Une campagne socialiste sans division

Alain Rousset aura quant à lui réalisé un exploit moins tonitruant mais tout aussi efficace, celui de confédérer toutes les tendances d’un Parti socialiste profondément divisé à l’échelle nationale et donc au sein des parlementaires de la grande Région eux-mêmes. Les divisions se sont tues au nom de l’intérêt régional, sous l’égide d’une personnalité il est vrai peu clivante à gauche, et même les Landais d’Henri Emmanuelli, légèrement « frondeur », ne lui ont pas fait défaut.

Il est vrai également qu’Alain Rousset n’a pas cherché à affirmer une stratégie hégémonique vis-à-vis de ses confrères socialistes élus locaux : il n’a pas braqué les élus départementaux en mettant en avant la loi NoTRE qui, pourtant, va enlever aux Conseils départementaux la responsabilité de la gestion des transports scolaires ou pendulaires. Son habileté aura été de ne pas non plus paraître défendre par trop la cause du futur Siège de Bordeaux face aux « vieux » socialistes du Limousin, ancrés dans un siècle et demi d’histoire des combats de la gauche.

Enfin, indéniablement, il aura bénéficié pour ce premier tour de l’effritement national et régional des écologistes et de la gauche dite radicale, dont les électeurs ont peut-être séduits par l’affichage ses préoccupations « vertes » et par son engagement répété et concret en faveur des subventions à la recherche appliquée, aux investissements innovateurs, et donc aux PME censées contribuer au renouvellement du système productif aquitain et in fine de l’emploi, dès lors que l’enjeu du chômage n’a jamais été absent de son action.

Un bilan socialiste ancré dans la réalité des territoires

Certes, lors de son avant-dernier mandat, disons-le tout net, Alain Rousset avait manqué le coche des subventions du Fonds européen ; mais, durant le mandat écoulé, son équipe avait enfin acquis les compétences nécessaires et drainé vers l’Aquitaine les flux de cofinancements fort utiles. Il est donc un peu fallacieux de prétendre qu’il ne serait au fond qu’un « radical » ou « rad-soc » allégeant son image socialiste et insistant sur son art de la gestion.

Comme Philippe Madrelle à l’échelle de la Gironde, il aura pu tirer parti avec doigté, sans égocentrisme superfétatoire, d’un bilan somme toute ancré dans la réalité des territoires (des lycées, des liaisons de TER, des soutiens à des PME innovantes, notamment). Même si les cofinancements (État, Union européenne) ont été essentiels, bien sûr, la Région aura fini, en plusieurs années, à se doter des équipes, des procédures, du portefeuille de savoir-faire pour ne pas paraître seulement comme une entité de gestion des fameuses dépenses de fonctionnement tant dénoncées par l’extrême-droite et la droite. Il faudra désormais, après le second tout, gagner le pari de reconstruire un tel levier d’action à l’échelle tripolaire.

2. Le paradoxe de la « force tranquille » d’Alain Rousset

De façon étonnante, non seulement la gauche socialiste aura consolidé ses bastions, mais elle est parvenue à renverser la tendance exprimée lors des récentes élections municipales du printemps 2014, donc en l’espace d’un an et demi environ. On le note ainsi à Pessac, perdue par la gauche, où les électeurs sont revenus au bercail le temps de ce vote, avec le fort résultat de 45,82 % (face à 25,64 %) – mais c’est tout de même beaucoup moins qu’en 2010 (53,1 %).

En revanche, le pôle constitué par Saint-Médard-en-Jalles, Saint-Aubin-du-Médoc et Le Taillan-Médoc où la droite et le centre avaient bien progressé aux Municipales, a vu la gauche et la droite faire presque jeu égal (33,54 % face à 33,02 %). On peut supposer que des électeurs de gauche, face aux défis posés par l’extrême-droite, ont mis sous le tapis leurs divergences et déceptions et sont « allés au charbon » le temps des Régionales.

On le constate dans plusieurs recoins de banlieue : Mérignac conserve son profil de bastion de gauche (39,07 % face à 26,47 %, en recul toutefois par rapport aux 45,30 % de 2010), mais Talence, fief modéré, a vu la gauche surgir avec 38,43 % (face à seulement 27,33 %), bien que ce soit seulement l’équivalent du score de 2010 (39,64 %).

Résistance au rejet du hollandisme

Julien Lestage, dans Sud Ouest (9 décembre) note ainsi que les bourgades côtières de Carcans, Lacanau et Hourtin ont résisté à l’offensive frontiste qui les a encerclées, tout comme les cantons du Sud-Médoc et du Nord-Médoc, avec un léger gain net de voix sur les Départementales. Dans le même temps, des « points forts » sont confirmés eux aussi par les résultats, comme Libourne (33,8 %), Langon (37,3 %), tout comme le canton des Portes du Médoc unissant Blanquefort, Eysines et Parempuyre (36,8 % face à 25,2 %), points d’appui classiques d’une gauche ayant su s’y renouveler, tout comme dans le district industrieux unissant Le Teich, Mios et Marcheprime, ou le Val de l’Eyre (31 %). Des districts viticoles gardent leur propension à voter à gauche (dans les Graves, avec 34,62 % face à 27,07 % ; à Saint-André-de-Cubzac, avec 33,4 %).

Bref, sans même parler des traditions limousines ou charentaises, la gauche et le centre-gauche auront préservé leur patrimoine partisan, sans ample déperdition, en résistant au rejet du hollandisme. J’irais jusqu’à suggérer que le fait qu’Alain Rousset ait échoué à deux reprises à devenir ministre depuis 2012 aura servi sa cause de candidat à ces Régionales de 2015…

3. Virginie Calmels à la fois rassembleuse et décevante

Une chose est d’être sélectionnée et promue par un mentor aux Municipales, une autre en est de conduire une liste vers la victoire à l’échelle de trois régions en voie d’être réunies.

Malgré son punch verbal et physique, une campagne plutôt réussie – enrayée par la pause imposée par les tragédies parisiennes –, l’absence de divergences au sein de sa liste et des partis impliqués, Virginie Calmels n’est pas devenue « la star girondine » dont elle rêvait, car tous les scénarios de « prod » ne peuvent créer l’audience dominante. Pour autant, elle aura « tenu, sans connaître le sort miséreux du professeur ès-sciences politiques Dominique Reynié en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon… » Comme le note Bruno Béziat (Sud Ouest, 8 décembre), « Virginie Calmels séduit peu hors du cœur de Bordeaux et du Bassin ».

Les bastions de la droite confirmés

Virginie Calmels et Alain Juppé ont tout de même gagné le pari de maintenir Bordeaux sous la houlette des droites et centres, après tant de désillusions récurrentes depuis 2007, avec un score de 36,84 % face à 32,40 %, soit un point et demi que les 35,18 % de 2010 : 28,40 % pour la droite et 6,78 % pour le Modem). La cité n’a accordé qu’un dixième (11,76 %) de ses votes à l’extrême-droite (mais c’est plus que les 7,37 % de 2010).

Les couches bourgeoises de toutes sortes ne sont pas dispersées cette fois-ci ; l’insertion de Vincent Feltesse sur la liste de gauche n’aura pas réveillé l’esprit innovateur de sa gestion de la CUB et de sa campagne des Municipales, d’autant moins que son image de marque n’aura pas manqué de pâtir de son insertion au sommet de l’Élysée dans l’équipe hollandiste.

Cela dit, la gauche a persisté à donner des coups de boutoir à la droite bordelaise, en la devançant dans trois cantons (36,42 % contre 30,44 % dans le 1er ; 35,16 % contre 31,73 % dans le 4e ; 38,03 % contre 24,36 % dans le 5e), ce qui indique la verdeur du sentiment de gauche dans des quartiers à salariat ou jeunesse vivace. Mais, heureusement pour elle, Virginie Calmels a raflé 43,20 % et 47,05 % dans les deux autres.

Hors de Bordeaux, des pôles de droite ont été bien confirmés. Évidemment, le Bassin d’Arcachon flotte à droite, en particulier dans le Nord-Bassin (32,5 % face à 29,3 %, malgré des bourgades à gros salariat, comme Audenge et Biganos) et autour d’Arcachon-La Teste. La droite aura préservé son capital électoral dans la proche banlieue, évidemment sur Le Bouscat, mais aussi quasiment à Saint-Médard-en-Jalles, mais pas sur Pessac, Villenave-d’Ornon ou Talence, on l’a dit.

La droite bute sur « la Gironde profonde »

Sinon, il faudrait scruter les résultats commune par commune pour déterminer pourquoi Virginie Calmels n’a pas guère mieux réussi qu’Yves d’Amécourt aux dernières départementales à percer dans « la Gironde profonde ». L’explication en est fournie bien sûr par l’excellent score du rival Front national, voire par la résistance aux alliances modérées exprimée par les 2,45 % de Debout la France. Les droites et centres n’atteignent malgré tout que 30 % en Gironde. La « dame du faire » n’aura donc pas été « la dame de fer » venant éperonner une gauche qui s’est avérée plus mobile qu’on ne l’aurait imaginé au vu des pronostics.

On peut prétendre que, malgré ses déboires, la vitalité de pôles solides et l’inaltérabilité de cœurs de droite autour d’un cinquième à un quart des voix constituent autant de preuves que la défaite des Départementales n’a pas pour autant sapé l’assise des courants droitiers ou centristes. Le ralliement de ces derniers a pu d’ailleurs constituer un facteur positif dans les bourgades dites « modérées » et ce malgré la vivacité du centre-gauche.

Ce seront donc autant de relais pour la future campagne présidentielle, n’en doutons-pas, car celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur des militants engagés et relativement nombreux, sur des équipes locales – sans parler des élus au Conseil régional eux-mêmes, dont l’élection va permettre de recruter des attachés, des permanents, tous issus des Républicains ou des partis centristes, jouant un rôle de leviers pour un futur proche.

Pourtant, oser proclamer, comme Virginie Calmels (« Nous sommes au coude-à-coude », « On va transformer l’essai »), que la droite disposerait de grosses réserves pour le second tour – avec des abstentionnistes, Debout la France, voire des écologistes déçus par la gauche – paraît téméraire, même si des votants de gauche radicale ne s’empressent pas de voter Alain Rousset ou si lui aussi a fait le plein parmi les citoyens ayant fait le choix de voter et de voter à gauche tout à la fois.

Aller plus loin

Les analyses d’Hubert Bonin du premier tour des élections régionales :


#Alain Rousset

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