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Virginie Calmels : n’est pas Angela Merkel qui veut !

Avec une campagne qui a tardé à investir le terrain, qui a affiché des positions ambiguës, et qui n’a pas su fédérer les durs et les modérés, Virginie Calmels n’a pas conduit son camp au pouvoir lors des élections régionales. De « façon intuitive », Hubert Bonin analyse les erreurs de « la dame de faire ».

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Virginie Calmels : n’est pas Angela Merkel qui veut !

Virginie Calmels le soir de sa défaite aux Régionales (XR/Rue89 Bordeaux)
Virginie Calmels le soir de sa défaite aux Régionales (XR/Rue89 Bordeaux)

Droite et centre réunis n’ont finalement obtenu que 48 sièges au Conseil de la grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, aux côtés des 29 conquis par un Front national qui effectue un retour en force, et face aux 107 sièges de la gauche (90) et des écologistes (17). Sans mobiliser la science des politistes, voici, de façon intuitive, quelques réflexions sur le devenir de la droite en Gironde et à Bordeaux même.

1- Une cible facile

Virginie Calmels aura subi tout d’abord les camouflets qui sont le lot de tout perdant en politique. Les tirs de mortier ont été d’autant plus rudoyants qu’elle ne disposait pas de l’excuse dont aurait pu jouer Dominique Reynié en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, qui a pu passer comme un gentil professeur d’université et chercheur allant se jeter dans la fosse aux lions, comme le politiste dévoré par les politiciens.

Elle s’était proclamée elle-même « la dame du faire » et mobilisait ainsi explicitement l’image de la « dame de fer » qu’a été Margaret Thatcher. Aussi les sarcasmes n’ont pas manqué dès les résultats connus, par le biais des propos des vainqueurs et de commentateurs dans la presse écrite. Les expressions alors employées auront manqué de classe, auront rejoint l’estrade d’un machisme de mauvais aloi et même, irais-je jusqu’à dire, auraient mérité d’être fustigées par le comité du genre de Sciences Po Bordeaux, fort vigilant sur ce registre, croyez-moi…

Une campagne loin du terrain

Il est vrai que Virginie Calmels aura mené une campagne fort ambiguë, et les critiques auraient mieux fait d’éviter la facilité et de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire la rationalité de cet échec. Une première remarque porte sur le rythme de la campagne ; en effet, les observateurs auront noté la relative lenteur avec laquelle la candidate s’est lancée dans le militantisme de base.

Dès mai-juin 2015, par exemple, Valérie Pécresse sillonnait les communes d’Île de France, se mettait en scène avec habileté et intensité, en un bon modèle d’activisme politique ; elle passait alors pour la challengeuse d’une gauche bien en place, et se montrait physiquement combative, donc « sur le terrain ». Comme l’a enseigné Jacques Chirac, un homme politique doit « user la semelle de ses souliers » !

Or Virginie Calmels n’aura pas eu à fréquenter son cordonnier avant l’automne, par manque de punch ou de sens tactique. Xavier Bertrand avait fait de même avec une multiplication de rencontres avec « les gens » dans ses départements nordistes. Un politiste studieux devrait recenser le calendrier des réunions et parcours de Virginie Calmels pour confirmer ou infirmer mon opinion.

2- Une image floue

On peut ensuite passer au tamis son programme. Prétendre qu’il faut promouvoir « la société civile » n’est pas dans une tradition de droite, assise plutôt sur des notables de tout âge. Le renouvellement des candidats au sommet des listes ne passe pas nécessairement par l’appel à des cadres d’entreprise, car il peut aussi recourir à un renouvellement générationnel imposant, comme l’avait réussi Jean-Luc Gleyze pour les Départementales.

On ne peut pas prétendre vouloir incarner un changement de mode de promotion des élites politiques tout en se faisant soutenir par toute l’armada politique, de Jean-Pierre Raffarin à Alain Juppé et François Bayrou, mais aussi, plus surprenant encore, par Nicolas Sarkozy lui-même. Ou alors, on risque d’apparaître comme un « alibi » et révéler, volens nolens, un manque de hauts cadres dans le vivier de la droite du grand Sud-Ouest, ce que je serais plus enclin à penser d’ailleurs.

Bref, on a mal perçu la différenciation que voulait représenter Virginie Calmels : était-elle une simple « parachutée » pilotée par un Alain Juppé faisant un « coup politique » ? ou symbolisait-elle un type de responsable politique glissant de la société civile et apportant à la Région un capital d’expérience et de compétences apte à changer la conduite du pouvoir ? Elle l’a prétendu en affirmant qu’elle gérerait mieux l’institution, qu’elle taillerait dans les dépenses de fonctionnement : mais est-ce une telle perspective qui pouvait mobiliser les foules d’électeurs ? Il aurait fallu plus d’imagination, faire plus vibrer l’électorat, comme l’a réussi d’ailleurs Valérie Pécresse, qui a affiché un programme d’action tourné vers les investissements avec beaucoup plus d’audace, de précision, de force de conviction.

Bien plus que savoir « compter les palombes »

« Parachuter » une Parisienne dans la région constituait un risque énorme, non pas, comme l’affirme mon collègue de Sciences Po Bordeaux, parce qu’elle ne saurait pas « compter les palombes » – quel argument !!! –, mais surtout parce qu’elle n’avait aucune idée des difficultés auxquelles sont confrontés « les gens ». Pour ce qui concerne les attributions de la Région, il aurait fallu beaucoup plus insister sur les transports de proximité, aller dans chaque gare-relais et annoncer ce qui allait changer pour les TER et la multimodalité ; se différencier du discours un peu « plat » d’Alain Rousset sur l’éducation en prouvant chiffres et calendrier en mains en quoi la droite allait pouvoir faire évoluer fortement l’enseignement professionnel et technologique de la région ; et en quoi la droite pouvait contribuer à faire progresser les énergies renouvelables de façon beaucoup plus sensible que le Conseil régional sortant.

Au-delà des fameuses palombes, il fallait faire voler des escadrilles de projets concrets, propres à convaincre d’une bonne connaissance du terrain et de la possibilité de « changer la vie des gens », puisque c’est une préoccupation clé dans la vie politique actuelle – loin des rêves du « changer la vie » de 1981.

3- Une victime de la crise des droites

Cela dit, mon analyse personnalisée resterait superficielle si l’on ne prenait pas en compte la crise des droites dans le grand Sud-Ouest, au-delà de la crise de l’opposition en général au niveau national. Quand les droites et centres réunis obtiennent un tiers des voix dans les trois régions (34,06%) face aux 44,31% de la gauche, ils ne peuvent que frémir d’angoisse sur leur sort futur. Ils ont perdu la majorité dans des bastions (Talence), des communes gagnées aux Municipales (Pessac) et même sur Bordeaux. La gauche a su gagner treize points entre les deux tours, alors que Virginie Calmels n’a guère progressé.

En Gironde, la gauche domine si fortement (266 009 voix et 46,77%) que la droite paraît chétive (187 710 voix et 33%). Bien sûr, le Front national a dévoré 115 065 électeurs (20,23%) et donc gelé un gros bloc de voix originaires d’une « droite dure » qui auraient pu s’orienter sur Virginie Calmels, ainsi victime d’une situation générale à laquelle elle ne pouvait rien – sauf à éviter que Nicolas Sarkozy vienne polluer l’un de ses meetings en assurant qu’il n’y avait rien d’immoral à voter pour l’extrême droite. Elle n’a pesé que quelque 200 000 voix sur 580 000 au total : sa force d’attraction aura manqué de magnétisme, y compris sur Bordeaux où elle ne glane que 41,51% face aux 48,7% de la gauche, sans l’excuse d’un Front national réduit à 9,78%, tout comme à Mérignac (31,65%) ou même, je l’ai dit, à Pessac (29,67%) ou à Talence (32,39%).

Être plurielle en ayant des convictions

Si l’on entre dans les jeux d’influence au sein des droites et des centres, chacun pourrait penser que l’échec de Virginie Calmels est celui d’Alain Juppé : fédérer des durs et des modérés ne serait plus possible. Pourtant, Valérie Pécresse y est bel et bien parvenue, en mêlant des partisans de la Manif pour tous et des UDI réformateurs : on retrouverait alors le manque d’habileté rhétorique de Virginie Calmels, car la vie d’un candidat à de hautes fonctions est bien celle d’un « Raminagrobis » capable de faire avancer plusieurs courants en même temps sous sa patte fédératrice, par un art illusionniste qui permet d’envisager la victoire. Il faut donc que les leaders de la droite girondine retournent à l’école de la politique et ainsi relisent Machiavel…

On avait notamment découvert toute l’habileté de Michèle Delaunay dans ses campagnes contre Alain Juppé en 2007. Il faut acquérir plus de « polyvalence », non pas apprendre à compter les palombes, mais l’art d’être plurielle tout en ayant des convictions, en un équilibre subtil. C’est le mot subtilité qui doit devenir la clé d’un redémarrage de Virginie Calmels.

La droite n’a pas su se vendre

Mais cela ne résout pas le problème stratégique de la droite en Gironde : comment résister à l’enracinement de la gauche départementale ? enrayer la force d’attraction des grands notables comme Alain Rousset ?

Je crois qu’il aurait fallu faire monter au créneau les nouveaux élus aux dernières Municipales, en effectuant une sorte de bilan provisoire de leur action : qu’avons-nous entrepris ? qu’est-ce qui commence à changer ? Et il aurait fallu faire de même au niveau de Bordeaux, en mettant beaucoup plus en valeur l’action rénovatrice engagée depuis l’élection de 2014, en montrant en quoi Alain Juppé et son équipe gèrent différemment de la gauche. Bref, les droites n’ont pas su « se vendre » et ont trop accaparé des enjeux nationaux, dont les électeurs, finalement, n’ont rien à faire dans le grand Sud-Ouest, où la menace du Front national était faible.

Il aurait fallu démontrer en quoi une droite pragmatique et réunie agit efficacement ; or la campagne n’a pas tiré parti du « trésor » de ces acquis en autant d’outils de persuasion. Un renouveau au sommet, un dynamisme en parole, ne remplacent pas l’apport des « preuves ». Même le Front national, dans le Midi, l’a fait en disant : « voici ce qu’on a fait dans les communes qu’on a conquises ».

Les citoyens se sont persuadés (pour un gros tiers à l’échelle nationale) que le ni la gauche ni la droite n’a réussi à gérer le pays entre 2007 et 2015. Il faut donc prouver le contraire. Alain Rousset a pu arguer de son capital d’expérience ; or Virginie Calmels n’a pu faire que des promesses, sans puiser dans les acquis des droites et centres déjà au pouvoir, et sans pouvoir, comme Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, s’appuyer sur leur action à la tête de ministères.

Apprendre de ses échecs

Au fond, la crise d’identité commune aux droites et aux centres doit être surmontée par la définition de programmes d’action beaucoup plus concrets, touchant à « la vie des gens », des « habitants de ce pays » – deux expressions courantes aujourd’hui –, loin des mots creux et surtout des incantations auxquelles plus personne ne croit guère, pas plus qu’aux « gesticulations » politiciennes.

En Gironde, il va falloir, pour les présidentielles et les législatives qui suivront, reconquérir une à une chacune des voix ayant nourri le cinquième des votants obtenu par le Front national et grignoter un peu du centre-gauche qui s’est rallié à Alain Rousset au second tour. On mesurera la difficulté de la tâche ! Mais Virginie Calmels devrait partir en Allemagne quelques mois et accompagner Angela Merkel, qui a su à plusieurs reprises regagner les dizaines ou centaines de milliers de voix nécessaires par des campagnes de terrain laborieuses mais efficaces.

Elle devrait aussi se rassurer pour la prochaine fois ; en effet, même le « modèle » qu’a été Jacques Chaban Delmas a connu des déboires – poussée de la droite dure en 1953-1955 autour d’Adrien Marquet et des Pinaysiens ; perte de la Région au profit de la gauche à deux reprises ; et Valérie Pécresse avait échoué en 2010 à gagner l’Île-de-France : les historiens savent bien que c’est dans l’échec qu’on gagne encore en maturité et en discernement.


#Alain Rousset

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