Difficile de ne pas ressortir le jeu de mot usé jusqu’à la corde. Le Premier ministre Manuel Valls, deux ministres, Stéphane Le Foll (agriculture) et Patrick Kanner (ville, jeunesse et sport), deux secrétaires d’Etat, plus Alain Rousset, Alain Juppé, le maire de Bassens, Jean-Pierre Turon… Cela en faisait, des huiles, pour inaugurer ce vendredi la nouvelle usine Lesieur, un investissement de 31 millions d’euros (dont 500000 euros de subventions de la métropole, et 1,1 million de la région Aquitaine)…
On peut même s’étonner de tant d’honneurs pour une simple chaine d’embouteillage d’huiles végétales (tournesol et colza), déménagée l’an dernier des Bassins à flot sans création d’emplois supplémentaires – 94 salariés travaillent chez Lesieur à Bassens, soit autant qu’à Bordeaux.
Mais en ces temps de vaches maigres, on ne coupe pas des rubans tous les quatre matins dans l’industrie française, a fortiori pour produire des matières grasses. Et surtout quand la cérémonie en question est assortie de la signature d’une charte « Entreprises & quartiers » : le groupe Avril, propriétaire de la marque Lesieur, s’y engage notamment à passer de 153 à 400 jeunes en alternance d’ici 2018, à accueillir en stage découverte des collégiens issus des quartiers de Bassens, et à respecter la loi sur le seuil de 6% de travailleurs handicapés…
Avril, 200 salariés à Bassens
Mais on ne plaisante pas avec une entreprise qui a réalisé l’an dernier 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et emploie en tout 200 personnes à Bassens. Sur cette commune qui abrite le port de Bordeaux, elle a investi plus de 150 millions dans ses usines, celles de Saipol (transformation des graines) et de Lesieur. Cette dernière a coûté 31 millions (dont des subventions publiques de 1,1 million côté région, et 500000 euros côté métropole).
Aussi, les élus ont rivalisé de louanges à l’endroit d’Avril, (ex Sofiproteol). Cette coopérative agricole géante (7200 salariés) intervient à tous les stades de la filière, de la production des semences à l’élevage des porcs, en passant par les grandes cultures céréalières, les huiles (Puget, Lesieur) ou les œufs (Matines). Son président n’est autre que Xavier Beulin, également patron de la FNSEA, le plus puissant syndicat agricole français.
« Avril est un groupe français d’excellence », selon le maire de Bordeaux, et « un exemple d’écologie positive ». « Vous avez ici la COP21 en marche », a même osé l’ancien Premier ministre, faisant référence à la chaufferie biomasse de l’usine Saipol (autre filiale d’Avril), alimentée par des coques issues du décorticage du tournesol, et au leadership européen d’Avril dans les agrocarburants.
Jusqu’à 10% de biodiesel
Car si le site de Bassens peut produire jusqu’à 110 millions de litres d’huiles destinées à l’alimentation humaine, il raffine également 250000 tonnes de biodiesel (ou Diester), incorporé ensuite au gazole, jusqu’à 8%.
S’il en était besoin, Manuel Valls a donc rassuré Xavier Beulin sur les intentions de son gouvernement en matière d’agrocarburants, selon lui « indispensables si on veut développer les énergies renouvelables dans les transports ».
« C’est pour cela qu’on a obtenu de l’Union européenne qu’elle ne baisse pas la part de biocarburants » autorisés dans le diesel à 5% comme il était un temps envisagé. La France pourra même incorporer dans le gazole jusqu’à 10% d’agrocarburants. En outre, depuis le 1er janvier 2016, le gazole non routier (fioul pour le chauffage ou moteurs fixes) doit incorporer 3,85% de biodiesel.
Manger ou conduire ?
Si l’Etat vient de mettre fin aux subventions directes, qui ont coûté 1,8 milliard d’euros pour le soutien au seul biodiesel, il reste ainsi aux petits oignons pour Avril. Quand bien même l’intérêt écologique des agrocarburant est vivement contesté : selon le Réseau Action Climat, il faudrait 1,2 litre de pétrole pour produire un litre de biodiesel, sans compter les effets sur la biodiversité et la pollution par les pesticides.
Jean-Baptiste Bachelerie, directeur général de Saipol, affirme pour sa part que le diester émet 50% de gaz à effet de serre en moins que le pétrole. Et il assure que les agrocarburants ne font actuellement pas concurrence aux cultures nécessaire à l’alimentation humaine, comme cela a pu être le cas en 2008, année des émeutes de la faim dans le monde :
« Les cours des matières premières sont actuellement complètement déprimés, et l’offre de commodités est largement supérieure à la demande. On a donc aucun problème à fournir les marchés alimentaires et énergétiques. »
Pour couper l’herbe sous le pied des grincheux, Romain Nouffert, directeur général de Lesieur, estime que les agrocarburants de 2e génération (qui utilisent toute la biomasse, pas seulement les graines) verront le jour d’ici 3 à 5 ans. De quoi fournir encore un peu de travail à Bassens.
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