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Pesticides en Gironde : les vignerons réagissent cash

Plus de trois millions de Français ont regardé mardi soir sur France 2 l’enquête de Cash Investigation. La Gironde, un des départements les plus utilisateurs de pesticides, y est pointé du doigt. Comment y remédier ? Le monde viticole réagit.

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Pesticides en Gironde : les vignerons réagissent cash

Propriété viticole dans le Médoc (Xavie Ridon/Rue89 Bordeaux)
Propriété viticole dans le Médoc (Xavie Ridon/Rue89 Bordeaux)

L’enquête de Cash Investigation a perturbé le sommeil de plus d’un en Gironde. Viticulteur dans l’Entre-deux-Mers, Philippe (prénom d’emprunt) l’avoue : sa nuit a été courte à force de penser aux pesticides trouvés dans les cheveux d’écoliers girondins, de voir la Gironde parmi les 4 départements où les pesticides dangereux sont les plus vendus, de savoir encore un peu mieux que sa profession en est majoritairement responsable.

La ministre de l’Écologie Ségolène Royal a rappelé ce mercredi matin sur France Inter que « le secteur du vin est le plus gravement utilisateur de pesticides ». Elle abonde ainsi dans le sens du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll qui dans l’enquête affirme être « parfaitement conscient que c’est une bombe à retardement, un danger pour la santé, pour l’environnement et peut-être même pour l’économie ».

Dans son témoignage, que publie Rue89 Bordeaux, Philippe avoue se sentir autant coupable que victime :

« Je pense que beaucoup d’entre-nous sont prêts à changer, mais pas contre notre qualité de vie. Et nous ne sommes pas prêts à payer à la place de ces grands groupes. Toujours est-il que l’on s’empoisonne, et que l’on empoisonne nos voisins et nos enfants, et que les vignerons susceptibles de changer n’y sont pas incités, contrairement aux années 1970 où on les a poussé vers le tout chimique ! »

« Merci de renvoyer au CIVB »

Déjà conscient du problème, il commence à utiliser des « pesticides bios », des engrais verts. Des petits gestes qu’il multiplie dans ses vignes, comme pour se rassurer. S’il parle sous couvert d’anonymat, c’est que le syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur lui a conseillé par courriel qu’ « en cas de sollicitation par des journalistes suite à l’émission “Cash Investigation” (…), merci de renvoyer à Christophe Château, CIVB » (le conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux).

On flirte avec la communication de crise pour les vins de Bordeaux. Le documentaire a, il est vrai, dévoilé au grand public quelques chiffres chocs : 65000 tonnes de pesticides dangereux vendus en France en moyenne, 1er consommateur d’Europe, dont 3320 tonnes en Gironde. Dans le département, selon Cash Investigation, s’écoulent des produits contenant trois cancérigènes avérés ou probables (le Folpel, le Glyphosate, le Metamsodium) et deux perturbateurs hormonaux et cancérigènes probables (le Mancozebe, le Metirame-zinc).

La Gironde est au coude à coude dans l'achat de pesticides avec l'Aube, la Marne et la Loire-Atlantique (capture d'écran Francetvinfo.fr)
Dans l’achat de pesticides, la Gironde joue serrée avec l’Aube, la Marne et la Loire-Atlantique (Francetvinfo.fr)

Les journalistes ont aussi tâché de vulgariser les études sur la dangerosité des produits phytosanitaires et leurs effets sur la santé (perturbateurs hormonaux, effets cocktails, hausse des diagnostics des cancers infantiles et de l’autisme). Christophe Château défend son syndicat et la profession :

« On n’a pas découvert ce sujet. On est la plus grande appellation contrôlée au monde. On a 115000 hectares de vignes en Gironde, donc si on nous dit que c’est en Gironde qu’on utilise le plus de produits c’est normal puisque c’est là qu’il y a le plus de vignes. On est conscient qu’il y a 20 à 30 ans, les pratiques n’étaient pas bonnes. Depuis, beaucoup de progrès ont été faits. Mais ce n’est pas suffisant et il faut encore travailler en ce sens là. Avec le système de management environnemental, on incite les propriétés à diminuer les doses et à avoir des produits les moins nocifs possibles. »

Plus de tisane aux pesticides

Selon lui, 45 % des territoires viticoles sont « engagés dans une démarche de développement durable » autrement dit des vignes en bio, biodynamie ou en « management environnemental ». Une affirmation qui fait sourire Dominique Marion, président de la fédération régionale de l’agriculture biologique (Frab) Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes :

« On peut toujours dire qu’on change, mais au total les chiffres augmentent. Si tout le monde change et tout le monde diminue, où vont les pesticides ? Certainement certains en mettent plus pour faire augmenter la moyenne… Je pense qu’une partie de la profession se fait avoir, une partie est malade et une partie se fout complètement de la société civile et des citoyens. Mais on est aussi un certain nombre à dire que ce n’est plus possible de boire de la tisane de pesticides. »

Concernant la part de malades chez les viticulteurs, Christophe Château balaie les soupçons d’un revers de la main :

« Je n’ai vu aucune étude disant que les produits avaient une répercussion sur la population. Les seules études de grande ampleur qui ont été montées sont celles de l’Agrican. Elles démontrent qu’il y a plutôt moins de maladies chez les agriculteurs et viticulteurs que dans la population normale. Les maladies les plus fréquentes chez les viticulteurs sont les troubles musculo-squelettiques mais en aucun cas les cancers. »

Cet argument est également développé par l’Union de l’industrie pour la protection des plantes (UIPP), qui réunit les principales firmes productrices des produits phytosanitaires. Ça tombe d’ailleurs plutôt bien puisque l’étude Agrican a été conduite par la Mutuelle de Santé des Agriculteurs (MSA) avec notamment le concours de… l’UIPP. L’étude a depuis été critiquée par l’association Générations Futures et l’Agence nationale de sécurité sanitaire a estimé qu’il manquait en 2014 des données claires sur l’exposition des agriculteurs.

« Document à charge »

L’UIPP, qui a refusé les demandes d’interviews des journalistes, estime au lendemain de la diffusion de Cash Investigation, qu’il s’agissait d’une « émission orientée » qui a « omis d’indiquer les avancées de la recherche, de l’innovation, et les progrès réalisées par l’ensemble des acteurs de la filière ». Et à la FDSEA Gironde, Jean-Louis Dubourg, le président de ce syndicat agricole, ne dit pas mieux :

« C’est un document à charge incomplet et bourré d’erreur. »

Dans l’émission, le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll rappelle l’objectif du plan Ecophyto II : réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2025. Un objectif qui provoque l’ire de l’agriculteur girondin :

« Mais de quoi on parle : des molécules, du poids total, du poids par hectare ? Vouloir baisser de 50% les quantités utilisés, ce n’est pas un plan ambitieux et ne rime à rien. Il vaut mieux se focaliser pour savoir comment utiliser des molécules nouvelles et plus performantes qui permettent d’éliminer les effets négatifs. »

Il affirme avoir plus l’impression d’être « manipulé par les journalistes » de l’émission que par les « grandes firmes qui se font toute concurrence. Ce sont des entreprises comme les autres. »

Autre syndicat, autre analyse. La confédération paysanne se réjouit de l’enquête menée par France 2 :

« Cette mise en lumière est salutaire et doit combattre l’emprise croissante des multinationales sur nos sociétés. »

Localement, le syndicat s’en prend au CIVB (accusé de « dissimulation organisée » et de « mensonge délibéré ») et souhaite la publication précise de la consommation des pesticides en Gironde entre 2011 et 2015. La Conf’ promeut au passage le bio, et ses produits garantis sans pesticides.

Ces châteaux qui passent en bio

Sur ce dernier point, la Fédération régionale de l’agriculture biologique assure que la roue tourne et, selon son président Dominique Marion, « le plus beau et le plus gros des changements que je vois en Gironde, c’est le nombre de domaines qui passent en bio et biodynamie. Il y a également des grands châteaux qui le font et ne le disent pas. »

Parmi eux, le Château Paloumey dans le Médoc a changé ses pratiques sur un quart de sa propriété. Pierre Cazeneuve s’en explique :

« On est à Ludon-Médoc, au Sud du Médoc, quasiment en zone urbaine. On a des maisons autour de nous et des environnements très sensibles. C’est aussi pour retrouver des arômes de nos terroirs. On passe en bio sur 10 ha [sur 40, NDLR] et ça nous fait un peu peur car c’est une autre façon de produire. Il va falloir qu’on s’adapte, mais on a les armes pour le faire. »

Beaucoup des viticulteurs interrogés par Rue89 Bordeaux se joignent d’ailleurs au propos de Paul François de l’association Phyto-Victimes. L’agriculteur charentais, qui a fait condamné Monsanto, rappelait lors de l’émission que le monde agricole a été formé pendant plus 30 ans au modèle de production actuel.

« Comme dans tous les balanciers, on a peut-être appuyé trop d’un côté, estime Pierre Cazeneuve. Il faut maintenant produire un peu différemment. La société nous demande autre chose, mais le temps de mettre à jour notre logiciel, ce n’est pas évident. »

Cuisine moléculaire

Le mauvais bilan du premier bilan Ecophyto montre même plus. Celui qui après le Grenelle de l’environnement devait réduire de moitié les pesticides entre 2008 et 2018, s’est soldé par un échec cuisant : les ventes sont finalement reparties à la hausse. Dominique Marion de la Frab reste toutefois optimiste, et veut croire notamment à l’effet Cash Investigation :

« Ça doit pouvoir faire prendre conscience et ouvrir des yeux qui sont souvent mis-clos. Par contre derrière, il ne faut pas se flageller. On a montré à nos collègues producteurs que c’est possible. Si dans 10 ans, la carte passe du noir au rouge foncé, on aura progressé. »

Lors de la rencontre du développement durable, le président du CIVB Bernard Farges a insisté sur le fait que l’omerta concernait surtout les actions positives menées par les viticulteurs. La lanceur d’alerte médocaine, Marie-Lys Bibeyran opine et tempère :

« Il y a du vrai et du faux. Du vrai, car ça arrive qu’un viticulteur me dise qu’il fait telle ou telle chose. Par exemple, Pascal Bosq à Listrac applique des produits homologués en bio pour ses parcelles près de l’école, du stade et de la salle socio-culturelle et il traite en dehors des heures de cours. Pourquoi ne le fait-il pas savoir ? J’aimerais me faire l’écho de ces bonnes pratiques ! Ce qui me fait rire jaune, c’est de voir planter des haies qui seront à hauteur suffisante dans 10 ans. »

L’ouvrière viticole sans concession a contacté 126 des 132 mairies où se trouvent des crèches, écoles, collèges ou lycées construites près de vignes. Elle anime aussi toujours sa pétition, aux 67000 signatures et lancée en septembre 2015 pour faire respecter cette charte qu’elle a lancé. Bonne surprise pour elle, ce mercredi matin, elle a appris que le préfet de région, se disant lui-même « très sensible » à cette question de santé publique, souhaite la rencontrer. « Je ne m’y attendais pas » ponctue-elle dans un rire. Tout arrive…


#agriculture biologique

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