
Mardi soir après avoir regardé Cash Investigation France 2, Philippe, viticulteur de l’Entre-deux-Mers, a eu une nuit agitée, et en a fait part sur Facebook. Rue89 Bordeaux a recueilli son témoignage, qu’il a souhaité garder anonyme.
Je suis vigneron depuis 14 ans et mon père l’a été 30 ans de plus avant moi. Je sais que les produits utilisés polluent, malgré la réduction de dose que je m’impose, malgré le recours le plus possible aux produits homologués bio. Je me contamine, je contamine mes ouvriers et mes voisins.
Je suis en colère et victime car, en 2006, j’ai perdu ma mère à 51 ans d’une leucémie. Elle était en permanence dans les vignes et hier soir (mardi, NDLR) il a été démontré que la leucémie était une maladie courante pour notre population. Victime, car étant dans une AOC (appellation d’origine contrôlée) avec une concurrence tellement forte, je n’arrive pas à augmenter mon prix de vente susceptible de me garantir une rentabilité autrement que par ce mode de production. Et là je parle de la masse !
Il faut qu’on aille plus loin. Notre population agricole est vieillissante (plus de 50% de nos agriculteurs ont plus de 50 ans) et elle aimerait arriver à la retraite sans qu’on les emmerde encore une fois ! Alors on fait quoi ?
Nos chers élus doivent imposer des conditionnalités d’aide et de vrais coups de pouce pour une culture plus raisonnable. A mon sens, 90 % des viticulteurs font de la lutte raisonnée. On doit aider à hauteur de 80% l’achat de pulvérisateur anti-dérive qui permet de réduire de 60 % les résidus dans l’atmosphère. Comment se fait-il qu’un pulvérisateur classique coûtant 12 à 15000 euros revient à 30000 euros une fois que le constructeur a mis des panneaux en plastique autour du rang ? On aide ce type d’achat, mais comme pour les panneaux photovoltaïque, les constructeurs se gavent de l’autre côté et empêchent la vulgarisation de ces machines.
Ces députés qui participent à l’omerta
Les vignerons sont prêts, mais pas à être des bêtes de somme. Je veux bien travailler 70 h par semaine pour un Smic alors que les autres sont à 35h et partent le week-end en me faisant coucou depuis leur voiture. Mon père, né en 1955, a vu son père se tuer à la tâche. J’ai failli ne pas faire ce métier car j’ai vu mon père se tuer à la tâche. Les vignerons seront prêt à y aller si leur qualité de vie ne diminue pas.
Est-ce qu’on est prêt à payer le vin plus cher car une année a été plus compliquée et qu’il nous faut de la trésorerie pour tenir ? Pour que je puisse faire du bio, il me faudrait 400000 euros en banque, en protection, en placement, pour assurer mes arrières.
Le plus gênant, ce sont les députés et sénateurs à table avec le gars de Syngenta et qui sont les plus virulents pour virer Madame Lucet de la pièce. Ils participent à l’omerta.
Comment se fait-il que des préparateur de purin et autre produits dit de substitution n’arrivent pas à avoir d’homologation dans des temps corrects pour que nous puissions arrêter le Folpel (un pesticide cancérigène, NDLR) ? Comment se fait-il que l’on favorise aujourd’hui l’agrandissement de propriétés (…) et que nos petites structures souffrent alors que nous, petit agriculteurs, sommes les plus à même de maintenir haies, petites parcelles et biodiversité ?
Plus de formation à la bio
Pour ne plus impacter l’environnement, on a investi dans une station d’épuration pour mes produits œnologiques, 12000 à 20000 euros pour mettre aux normes les produits phytosanitaires, et 30000 euros pour un pulvérisateur. Avec les aides, j’aurai encore 25000 euros à débourser.
Les aides existent pour les pulvérisateurs mais les prix sont exorbitants, aussi chers que les atomiseurs classiques mais en plus contraignants. Il faudrait au moins 80% d’aide sur ces appareils là. Mais il faut surtout obliger les industries de produits phytosanitaires à nous offrir des produits plus sains car sinon ce sera encore le contribuable qui paiera par le biais des aides !
Toute la formation pour les actuels ou futurs ouvriers n’intègre rien ou presque sur l’agriculture biologique. ça commence par là. Moi, si j’utilise peu de produits biologiques, c’est parce que je ne les connais pas tous et je ne suis pas sûr de savoir bien les utiliser.
Bouc émissaire, on est aussi coupable
Pendant 30 ou 40 ans, on nous a formé pour vinifier et travailler avec nos produits actuels. Pour faire marche arrière, il va falloir 30 ans. Un sol qui ne vit pas, qui n’a pas son écosystème en place – la vigne n’étant pas autosuffisante – perd la moitié de son rendement. Ça doit repartir du sol. Alors petit à petit, on refait des semis, on met de l’engrais vert. C’est un travail avec un objectif sur dix ans. Une reconversion d’une parcelle sur trois ans, je n’y crois pas forcément.
Aujourd’hui, je pense que beaucoup d’entre-nous sont prêts à changer, mais pas contre notre qualité de vie. Nous ne sommes pas prêts à payer à la place de ces grands groupes. Toujours est-il que l’on s’empoisonne et que l’on empoisonne nos voisins et nos enfants et que les vignerons susceptibles de changer ça ne sont pas incités, contrairement aux années 1970 où on les a poussés vers le tout chimique !
On est en première ligne. Boucs émissaires, on est aussi coupables. On fait l’autruche mine de rien. J’ai appelé un ou deux copains pour savoir s’ils ont regardé l’émission mais ils ont préféré ne pas regarder en disant : « On sait qu’on va encore dire que nous sommes les vilains. » Il faut mettre tout le monde autour de la table sans accuser personne sauf le vrai responsable : les producteurs des produits phytosanitaires.
Aller plus loin
Sur Rue89 Bordeaux
alors peut être aurions-nous là les ingrédients pour secouer l'agrosystème français, nécro-sociétal, et mettre en place un outil efficace pour venir au secours de la profession et lui permettre d'amorcer immédiatement une véritable transition...
"beaucoup d’entre-nous sont prêts à changer, mais pas contre notre qualité de vie"
"On fait l’autruche mine de rien"
Que l’on doive payer de la vie de nos enfants les bénéfices des grands propriétaires viticoles, ou le mode de vie abruti des petits exploitants aliénés à leurs caves coopératives, c’est une honte absolu. La haine ne peut que prendre de plus en plus le dessus.
(Oui je peux voir des vignes depuis ma fenêtre. Oui j'ai perdu ma belle-mère d'une tumeur au cerveau. Oui mon père a la maladie d'Alzheimer. Si jamais un de mes petits à une leucémie il fera pas bon que je croise un viticulteur.)
J'espère juste que vous consommez en totale adéquation avec votre haine.
Qui de l'oeuf ou la poule ? C'est bien vous, moi et nous qui avons le pouvoir.
Quant à choisir ces coupables, les choses me paraissent bien claire. Dans la chaîne du cynisme qui s'impose à vous, même si vous croyez faire votre refuge bio, il y a le petit qui n'avait pas et n'aura jamais les moyens, puis le chef de service, et plus gros, le chef de département, enfin les huiles, voire avec un peu de chance, le gros bonnet. Comme ça c'est déjà vu et ça se voit encore dans les tribunaux internationaux pacifiés ou avec les drones en Syrie, hé bien, on prend le premier qui passe, celui qu'on peut. Quand les hommes créent des machines hiérarchiques folles qui massacrent l'homme on n'a pas d'autres solutions que de les arrêter, à moment donné, par tous les moyens.
Cet argumentaire est usant, et usé. Trop simple de se réfugier derrière un aspect économique qui n'est plus vrai : ne vous en déplaise, c'est moins cher à l'AMAP du coin.
Le confort guide nos choix de consommation : on bourre le caddie une fois par semaine, à coups de points Auchan. C'est pratique et ça laisse davantage de temps pour poster la photo du chien sur Facebook.
Au final : je suis simplement d'accord avec vous sur la conclusion, il faut stopper la machine destructrice. Mais le moulin s'arrête de tourner quand on lui enlève le vent, pas quand on lui retire une ou deux ailes.
Quand je parlais des "petits qui n'avaient pas les moyens et ne les auront jamais", je pointais ceux comme Laurent G plus bas qui n'ont pas les moyens de la conversion, et qui coincés par leur situation peuvent faire sourde oreille agressive au changement, d'autant que nombreux sont chasseurs et donc armés. (Je suis moi-même au bout de l'entre-deux-mers et vois comment les petits producteurs en conventionnel sont devenus les serfs de caves coopératives et de tout un système où ils se tuent à la tâche sans voir ni comment s'en sortir ni mieux faire avec une conversion)
Ne voir un changement que par le biais du boycot, de la faveur de la demande sur l'offre dans le marché, est une vision d'action partielle. Si elle ne se joint d'aucune action politique d'envergure, cela revient à cette vision de droite libérale qui dit toujours que le marché fait loi.
Si actuellement, il n'y a pas de volonté politique de rupture et de changement global du modèle agricole, quelques soient les niveaux de relais institutionnels de l'État, vos choix de consommation en bio ne pourront rien par exemple pour les "petits" de toute la filière d'élevage qui est en train de rentrer dans une lutte désespérée et ne pourront pas d'eux-même investir dans un autre modèle.
Autrement dit, même si je suis pour un rapport de force qui ne craint pas une certaine violence, je tiens compte en ne mettant pas de côté la politisation du problème, de tous ceux qui sont au bord de la faillite et pourraient cependant vouloir bien faire.
Toutes les forces sont nécessaires, on ne peut pas se protéger égoïstement derrière l'arme de son porte-monnaie, même petit.
Sur ce sujet encore le consommateur a les clés en main. Je m'explique : nous, cavistes indépendants, sommes beaucoup à privilégier de plus en plus, et même dans la quasi-totalité de nos choix, les vins bios, pour des raisons qu'il n'est plus utile d'énumérer. Nous acceptons les tarifs des vignerons quels qu'ils soient, sans les mettre en concurrence pour tirer les prix vers le bas. Après : le consommateur est là, c'est lui qui choisit dans quelle boutique il rentre, quel prix il est prêt à payer.
Dans la cave où je travaille nous restreignons presque à 100% les Bordeaux au bio. C'est pas sympa pour les vignerons conventionnels qui triment, et veuillez nous en excuser. Mais quand la clientèle désertera les pseudo-caves de la grande distribution, les foires aux vins et autres opérations dictées par Lurton, Castel, le CIVB, bref la viticulture gangrénée par le lobby chimique, il y aura de la place pour vous. Et il est possible que ce moment arrive relativement vite. Dès la prochaine génération de consommateurs, oserais-je pronostiquer. Alors ne traînez pas ! et tant pis pour votre "protection" ! Si une année ça tourne mal, et la nature vous menace d'une production ridicule, alors les cavistes et autres clients "éthiques" ne vous laisseront pas tomber comme la GD ou le négoce !
Le consommateur a un rôle majeur à jouer! Il doit se rendre compte que quand il achète ses vins dans la grande distribution il achète forcément un vin chimique, banal, sans vie, presque artificiel, et qu'en plus il participe à la ruine des vignerons. *
Professionnel du vin, je n'achète JAMAIS de vin en grande surface!
Le consommateur doit retourner chez son caviste!!!
Et je précise que je ne suis pas caviste!
Le consommateur français doit également apprendre à déguster pour pouvoir réellement apprécier ces vrai vins vivants, représentatifs de leur terroir, que proposent ces cavistes. Il ne sait plus le faire, habitué qu'il est à boire les vins morts de la grande distribution et du négoce!
Heureusement votre caviste est là pour ça!
* même un vin bio s'il est acheté en supermarché a de forte chance d'etre finalement assez banal: il sera probablement issu du négoce, donc produit avec des rendements rarement compatibles avec la qualité, vinifié avec de nombreux intrants "bio" (levures, nutriments, enzymes, tannins, presque tout est autorisé!), ce sera rarement un vrai vin de terroir qui procurent des émotions
Attention aux racourcis et amalgames !
Je suis atterré de lire autant d'inepties , mêmes si quelques éléments factuels apparaissent dans ton commentaire (notamment sur les nombreux intrants autorisés en vinification bio)
Pour rétablir un peu ce qui se passe vraiment, voici donc quelques points qui ne relèvent pas vraiment du détail :
Les vins bios vendus chez les cavistes ne sont absolument pas "plus bio" que ceux vendus en GD (Grande Distribution) ou GMS (Grande et Moyenne Surface!
Ce sont même parfois les mêmes, bien que les producteurs préfèrent en général segmenter leur offre avec des étiquettes ou des produits différents selon le circuit de distribution.
Et s'il est vrai que bon nombre de "petits" viticulteurs bio préfèrent ne pas aller en GD (et on peut les comprendre !), les contraintes du marché ou de leur trésorerie peuvent aussi les amener à multiplier les solutions de distribution (via le négoce, notamment) ce qui peut au final aussi conduire à retrouver certains de leurs vins en GD...
Par ailleurs, il serait bon de rappeler que le client qui achète sur le territoire national ne représente pas forcément la majeure partie des ventes ! (il n'est pas rare de trouver des exploitations bio ou pas qui exportent 70% de leur production...)
Pour conclure : chez les cavistes on trouvera des vins bios (ou pas) correspondant plus facilement à des volumes par cru plus confidentiels (mais pas systematiquement) et en GD des vins pas bio (majoritaires) ou bios (minoritaires) qui autorisent des volumes plus adaptés à la distribution de masse (mais pas systématiquement : exemple une bouteille de Coulée de Serrant de chez Nicolas Joly achetée 45 € il y a quelques années à LECLERC ST MEDARD EN JALLES, et imbuvable par ailleurs car bouchonnée, mais c'est une autre histoire...)
Signé : un oenologue qui s'intéresse à tous les vins et à ceux qui peuvent en vivre, directement ou indirectement...
Il se trouve que Cahors, avec des sols aux calcaires drainant, et d'une humidité de l'air dont la moyenne annuelle est très en dessous de la région Bordelaise, bénéficie de certains avantage pour réussir une conversion bio a moindre coût qu'à Libourne ou Blaye par exemple...
Donc vive les vins bio de toutes nation et de toutes regions, oui, bien sûr, mais chapeau bas aussi à tous ceux qui y parviennent malgré des conditions naturelles climatiques ou de cépages qui ne sont pas les plus favorisantes, et qui génèrent souvent (au moins lors des 5 à 6 premières années post-conversion) des qualités ou des chiffres d'affaire pas forcément a la hauteur de leurs espoirs...