Encore, diront les grincheux. Nous, nous ne nous plaindrons pas. Le livre de Claude Froidmont, Chez Mauriac à Malagar, est un roman étrange dont le personnage principal est une demeure vide, mais peuplée des fantômes et des souvenirs qui y ont été laissés par ceux qui y ont vécu – François Mauriac, au premier chef, mais aussi Gide, l’hôte de passage, Claude Mauriac, le fils…
Malagar et l’œuvre de François Mauriac
Un jeune homme belge y débarque, grâce à une série de médiations bienveillantes (Henri Guillemin d’abord, Jacques Monférier ensuite, qui fut président du Centre François-Mauriac de Malagar), pour y rédiger un mémoire. Il s’installe dans cette maison, s’y promène jour et nuit, y apprivoise les ombres et les lumières ; il découvre des paysages, un mode de vie bien différents de ceux qu’il vient de quitter – il y est aidé par le gardien et sa femme, un couple riche d’humanité et plein de sympathie pour ce garçon qui n’a pas encore à vivre « sud-ouest ».
Il tombe littéralement sous le charme de Malagar et c’est par son intermédiaire qu’il entre dans l’œuvre de Mauriac. Il lui faut, en contrepartie du gîte qui lui est offert, jouer les guides pour les touristes, ceux qui viennent en pèlerinage, ceux qui « font » Malagar, étape obligée d’ un circuit « culturel » – il y a, sur ce thème, des pages pleines d’un humour cruel –, et tout savoir de l’homme et de l’œuvre.
Une expérience fondatrice
On ne vit pas sans dommage dans l’intimité d’un grand écrivain, fût-il déjà mort. La fascination qu’exerce Mauriac sur le narrateur pourrait avoir pour conséquence qu’il perde toute autonomie, tout sens critique et jusqu’à son identité même, s’il ne parvenait à retrouver sa propre histoire, sa propre généalogie. L’évocation de son grand-père mineur, de ses parents, militants socialistes et solidement athées, lui permettra de prendre un peu de recul par rapport à l’hôte de ces lieux.
Mais il aura appris de Mauriac le dur désir d’écrire et si ses premiers essais ne sont pas couronnés de succès, le lecteur devine qu’il ne le quittera plus :
« Avoir écrit mon premier livre ainsi, sans faiblir, avec l’obsession des hommes, dans la maison d’un géant, m’avait donné l’illusion, peut-être même la certitude, de m’être mis à faire une œuvre », écrit l’auteur p. 219.
Les années ont passé et le narrateur peut revenir sur cette expérience fondatrice :
« Je n’ai plus honte, aujourd’hui, d’avoir tant admiré des maîtres, de m’être gorgé d’eux, de m’être enthousiasmé pour tant d’œuvres au point d’en être paralysé. »
Chez Mauriac à Malagar est un bel exercice d’admiration, et cela est assez rare à notre époque ; c’est aussi la preuve que son auteur est sorti de l’état de sidération où l’avait plongé la grandeur de ses maîtres et l’on ne peut que s’en réjouir.
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