Mardi 7 juin, les Bordelais ont assisté à un bien étrange spectacle devant la préfecture de Gironde. Un homme en costume-cravate déroule un long tapis rouge devant l’entrée de la préfecture. Il s’agit de Pierre Coulon, président du groupe local de la Cimade.
« Dans sa mission de défense des droits des étrangers en centre de rétention administrative, la Cimade constate régulièrement des pratiques illégales d’expulsion et d’enfermement des personnes étrangères », explique-t-il. « Pour dénoncer ces pratiques, la Cimade organise ce matin une cérémonie factice de remise de prix aux préfectures s’étant particulièrement illustrées par ces pratiques illégales et abusives. »
Une jeune membre de la Cimade, elle aussi sur son 31, prend alors la parole : « la préfecture de Gironde a été nominée pour le prix « 48 heures chrono » avec la préfecture de Seine-Saint-Denis et de Guyane ».
48H pour sauver sa peau
48 heures, c’est le temps accordé à un étranger pour saisir le tribunal administratif avant d’être placé en rétention ou expulsé. Quand ces deux jours tombent un week-end, il est quasiment impossible de faire les démarches nécessaires.
« Ce sont souvent des personnes seules, qui ne disposent d’aucun interprète au centre de rétention administratif. A cela s’ajoute le stress et l’angoisse de voir sa vie basculer en 48 heures », explique l’avocate Hélène Thouy. « De telles pratiques sont inacceptables dans un Etat de droit. Ce n’est pas tout de reconnaître des droits, il faut les appliquer… », se désole la présidente de l’Institut de Défense des Etrangers du Barreau de Bordeaux.
La cérémonie reprend : « le suspens est à son comble… La préfecture de la Gironde est déclarée gagnante du prix « 48 heures chrono »! ». Nuée d’applaudissement, le public feint des cris de joies. De nombreuses associations de soutien aux migrants sont en effet présentes pour cette action : la Ligue des droits de l’Homme, Egalité des droits, Réseau Education Sans Frontières, Médecins du Monde, Emmaüs… Au total, une trentaine de personnes sont au rendez-vous, dont une dizaine de représentants pour la Cimade.
C’est une représentante de l’Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés, Sylvie Bordenave, qui prend d’ailleurs la suite de la cérémonie.
« Je suis extrêmement émue de remettre ce prix, nous allons désormais l’offrir au préfet », clame-t-elle, un avion en plastique doré dans les mains.
Le collectif se dirige alors vers la préfecture, bien déterminé à offrir « L’Avion d’or » au préfet de Gironde, Pierre Dartout. En 2014, 256 personnes ont été enfermées dans le centre de rétention de Bordeaux, dont 51,5% ont été éloignées de France. Une nette augmentation par rapport à l’année précédente, où 182 personnes ont été détenues.
« A Bordeaux, les gens sont expulsés avant même d’avoir entamé une procédure judiciaire… », explique Mélanie Mauge, salariée de la Cimade Bordeaux.
La Gironde, gagnante sans trophée
Un argument qui ne convainc pas à l’accueil de la préfecture. « Je vous demande de sortir, vous n’avez pas demandé d’audience », assène un agent de police en poussant gentiment le collectif vers la sortie. « Ils veulent absolument remettre un prix au préfet, je ne sais pas quoi faire », se plaint au téléphone un standardiste.
Toute la troupe sera finalement mise dehors sans encombre, invitée à attendre une autorisation. « Oh, le préfet n’aura qu’à venir retirer son prix à la Cimade », rétorque l’association, peut encline à suivre une procédure lente et compliquée. La préfecture, contactée par la rédaction, n’a pas souhaité réagir à cette action.
« On est très déçus, réagit Pierre Coulon, mais on espère que le préfet prendra note et s’améliorera… ».
D’autant que ces « Charter Awards » ont lieu ce mardi 7 juin dans toute la France. La préfecture du Pas-de-Calais s’est vue remettre le prix « Tarzan, roi de la jungle » pour ses rafles, quand la préfecture de Haute-Garonne a remporté le prix « Maman, j’ai raté l’avion » pour la séparation des familles. Dix trophées sont ainsi décernés sur un ton humoristique.
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