Dominique Boudou, « Dans la durée des oiseaux », éditions du Cygne.
Dominique Boudou est bordelais ; il a exercé le beau et dur métier d’instituteur. Il a déjà, derrière lui, une œuvre – des poèmes, des romans. « Les boîtes noires », roman publié chez Gallimard, a reçu, en 1999, le prix Charles-Brisset décerné par l’Association française de psychiatrie.
« Dans la durée des oiseaux » est un recueil d’une centaine de textes de 3 à 15 lignes dont la mise en volume dessine un poème plein de réserve et de pudeur. Les blancs y occupent une place prépondérante comme le silence contre lequel ces textes s’efforcent de lutter. Les mots sont le dernier refuge, l’ultime rempart d’un couple d’amants qui lutte contre la mort, les souvenirs trop lourds, la solitude, les rêves qui collent à la conscience comme les rides ou les taches à la peau. Fragile barrière contre les forces mauvaises, contre le vieillissement et cette lassitude partout présente.
La poésie réussit ce miracle, à l’aide de mots très simples, d’images récurrentes à peine esquissées comme dans une peinture japonaise – un bol bleu ébréché, les oiseaux, présages heureux ou malheureux – de maintenir un monde qui se délite et risque à chaque instant de s’estomper. La poésie est encore volonté de durer en dépit de tout ce qui annonce la mort.
« Des poèmes d’eau et de vent naissent à l’infini sous nos doigts. Nous nous dressons en eux contre les faux murs de la langue. Ils accablent d’éternité nos anciennes fatigues. Dans la même illusion d’être.
Garder les traces qui doivent être gardées. Tu as écrit cela dans le poème que tu apprivoises depuis ta naissance. Flocons de neige ou grains de sable c’est pareil. Ils couvriraient d’oubli le chemin si tu ne savais les enchanter.
Tu ne reviendrais au bol bleu s’il était à ta portée. Il s’éloigne dans un temps introuvable. Tu manques encore de fatigue pour chercher ce qui est parti, en son creux. »
Ces mots sont à la fois tristes, nostalgiques et chargés d’une vie qui résiste à la tristesse et à la nostalgie, signe de l’héroïsme qu’il y a à continuer d’écrire quand le poème se clôt sur un secret qui demeure ineffable.
Eric Audinet, « Bande-annonce », édition du Centre international de poésie Marseille
Eric Audinet dirige, depuis 20 ans, les éditions Confluences qui ont publié un certain nombre de bons auteurs. Mais il a dû, pour cela, tenir en sommeil ses talents d’écrivain qu’il ne réveille que de temps à autre pour mieux faire regretter à ses lecteurs qu’il ne s’y consacre pas à plein temps.
« Bande-annonce » est un texte écrit au cours d’une résidence à Tanger. Prélude à un texte à venir. Comme pour un film, il s’agit de livrer quelques thèmes forts, quelques images que ne relie pas une narration suivie qui sera l’œuvre elle-même, et qui mettent l’eau à la bouche et aiguisent la curiosité. Exercice périlleux s’il en est, puisqu’il faut que le texte par lui-même soit convaincant et pourtant qu’il s’efface devant ce qui va venir.
A la fois continuité et succession heurtée de courts chapitres – suggérée par l’absence de point à la fin de chaque séquence qui laisse la phrase en suspens et par l’absence de pagination qui vise à faire passer cette succession de fragments pour une seule et même entité.
Le personnage principal est Tom (mot ? suggère l’auteur). Comme souvent, dans les textes d’Audinet, il est entraîné dans des pérégrinations, dans le temps et l’espace, dont on ne sait trop s’ils sont imaginaires ou réels. Au cours de ces voyages, il vit des aventures dont ne nous est donné qu’un nombre restreint d’éléments.
Passent des silhouettes dont certaines sont celles de familiers de l’auteur ; d’autres appartiennent à son imaginaire d’enfant (les vignettes des timbres, par exemple, qui représentent René Caillié – qui se souvient de cet explorateur qui fut le premier à entrer dans Tombouctou, en 1828 ?).
Les changements de ton, de niveau de langue, les ruptures de construction, les retours en arrière, les sauts en avant peuvent surprendre celui qui n’aurait pas assimilé les règles du jeu, mais rien ne l’empêchera de jouir des trouvailles d’Eric Audinet.
Par exemple le combat avec le lion de l’Atlas :
« Le fauve au galop n’est plus qu’à une cinquantaine de mètres. Tom a saisi dans sa main droite l’opinel, ouvert, qu’il a toujours dans sa poche, qui lui sert à peu près de tout – couper son pain, se tailler des cure-dents, prélever des champignons dans les bois, ouvrir les bouteilles et les boîtes de conserve, tuer les rats, dépecer les chevreuils, forcer les portes fermées à clef, se couper les ongles, etc. – et veille à bien aiguiser régulièrement. Moitié dans l’eau moitié sur le sable, immobile, Tom attend le choc. »
Ou la quête par Tom de la table idéale :
« Il finit par trouver sa table, dans un dépotoir, en bordure de la route vers l’Espagne. Grâce à quelques gars du pays qu’il soudoie, la table est transportée, déposée, enfoncée de quelques centimètres dans le sable, face au paysage. Puis couverte d’objets, de racines et de coquillages. Les jours de pluie, elle brille et le ciel s’y reflète. La présence de la table devant la cabane finit par attirer les hommes. Ils se tiennent autour, sur de vieilles chaises en plastique. Paola [qui est donc cette Paola qui entre ainsi dans l’histoire ?] prépare une cataplana, coquillages, crevettes et légumes, dans un récipient du même nom. Ils boivent du vinho verde, les chiens sont couchés à l’ombre. »
On attend la suite.
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