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Deux parcours poétiques dans les langues avec Pierre Landete et Dominique Boudou

Les éditions Phaéton viennent de publier « Itinéraires » de Pierre Landete, et les éditions Tarmac « Mis pasos son mis versos – Mes pas sont mes vers » de Dominique Boudou. Deux parcours linguistiques et poétiques.

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Deux parcours poétiques dans les langues avec Pierre Landete et Dominique Boudou
Détail de la couverture « Mis pasos son mis versos – Mes pas sont mes vers » de Dominique Boudou

Itinéraires de Pierre Landete

C’est un beau livre que nous offre Pierre Landete, beau à tous les sens du terme. Il est, avant même qu’on l’ait lu, beau par sa mise en page et par ce mélange d’écritures – française, grecque, hébraïque, arabe. Beau par le mystère qu’il offre à nos yeux – des poèmes qui sont accessibles à ceux qui parlent arabe, hébreux, grec ou français ; une seule langue suffit mais quatre seraient mieux pour juger de la qualité de la traduction – puisque, on le devine aisément, il s’agit du même texte sous quatre graphies différentes.

A celui qui, comme moi, ne lit à peu près correctement que le français et qui se souvient d’avoir jadis tenté d’apprendre le grec pour pouvoir lire, loin de toute poésie, le livre 4 de la Physique d’Aristote, il reste à s’enchanter du plaisir ressenti à la beauté de l’entrelacement mystérieux d’autres signes.

Ces poèmes sont méditerranéens, écrits par Pierre Landete, en français donc, sous le soleil de la Grèce et l’on pourrait croire qu’ils seraient sortis identiques d’un grec, d’un hébreux ou d’un arabe. Il y a là un œcuménisme littéraire et politique qui dépasse les conflits, les drames, les tempêtes et les naufrages où se déchirent les peuples qui bordent celle qu’on appelait jadis Mare Nostrum.

Ces poèmes sont beaux dans leur simplicité, parfois, dans leur hermétisme, aussi. Les divinités grecques y ont élu domicile et continuent d’animer les eaux et les vents, le soleil et les plantes quand elles ne se cachent pas dans des demeures blanchies à la chaux. Ces poèmes sont des poèmes d’amour – peut-il en être autrement ?          

« Eros adolescent
paria alpha omega
ogre fou qui voit tout
cœur en miel plein de grâce
poudre d’atome cannibale
dieu doux et main de diable
diamant craché nuage amer
nacre à l’embrun d’étoiles
dans le froid sidéral
à la plume des vapeurs… »

Le livre de Pierre Landete est publié par les éditions Phaéton qui publient également une excellente revue qui  porte le même nom.

Mis pasos son mis versos – Mes pas sont mes vers de Dominique Boudou

C’est un étrange parcours que nous propose Dominique Boudou, un étrange parcours dans la langue, dans les langues. Ici l’espagnol et le français. Ces poèmes sont écrits en espagnol, un espagnol très simple, au vocabulaire presque élémentaire. Et il les traduit lui-même en français, par un mouvement qui inverse le processus habituel qui veut que le poète écrive dans sa langue maternelle et traduise, s’il le peut, ses poèmes, en une langue étrangère, ou confie à un autre le soin de les traduire.

Nous sommes loin des textes de Pierre Landete ; comme si souvent chez Boudou, c’est le quotidien dans sa banalité la plus immédiate qui est la matière de ses poèmes. Pas de culture revendiquée, pas de mots rares, pas même d’effets stylistiques ou si peu :

« No soy poeta de palabras preciosas
Como alfombra o madreselva
No soy poeta del horizonte
Mirando la humanidad que yace
En su pozo cerrado
Soy poeta si lo soy
Del asco y de lo sucio
En la lengua como en el corpo. »

« Je ne suis pas le poète des jolis mots
Comme tapis ou chèvrefeuille
Je ne suis pas le poète de l’horizon
Qui regarderait l’humanité agoniser
Dans son puits fermé
Je suis poète si je le suis
Du dégoûtant et du sale
Dans la langue comme dans le corps. »

Boudou est un poète de la marche, qu’un détail retient éveillant en lui des échos dont il ne fait qu’évoquer les vibrations – vers une enfance froissée, vers une mère peut-être peu maternelle, vers un corps vieillissant qui approche de la mort… Mais ce qui pourrait être sujet à envolées lyriques s’économise à l’essentiel, les mots ouvrent au silence.

Par les temps agités où nous sommes plongés, la poésie offre un apaisement, sans mièvrerie, une ouverture à la beauté du monde qu’il soit celui de tous les jours (ombres et lumières, lassitude et obstination) ou celui d’une culture ancienne encore inscrite dans les paysages d’une Méditerranée qu’elle aurait pu unifier.


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