Si l’on peut trouver à redire sur le message véhiculé par l’opération « Octobre rose » de sensibilisation au cancer du sein (voir encadré), certaines initiatives prises à cette occasion apportent sans nul doute un réconfort bienvenu aux femmes victimes de la maladie. Toute la semaine, à la Maison Rose de Bordeaux – lieu dédié aux femmes touchées par le cancer – se mélangent le rose poudré du décor et le noir d’encre de tatoueuses volontaires pour prendre soin d’une dizaine de femmes : ces dernières ont décidé de sauter le pas et de faire recouvrir les cicatrices que leur ont coûté les opérations liées à leur cancer du sein.
Imaginé par la photographe bordelaise Nathalie Kaïd, le projet Rose Tatoo a d’abord rassemblé plus de trente femmes en juillet dernier, lors d’une première réunion d’information. Neuf binômes tatoueuses/futures tatouées se sont ensuite formés au mois de septembre, donnant naissance ces jours-ci à des séances de tatouage à la fois sérieuses et enjouées.
Rose cicatrice et Noir Désir
Derrière une porte coulissante et un paravent, deux tables spéciales ont été dressées sur lesquelles sont allongées, ce mercredi après-midi, deux quadragénaires, l’une sur le dos, l’autre sur le ventre. Cette dernière, prénommée Aline, présente en effet une cicatrice de trente centimètres sous l’omoplate, stigmate de la reconstruction de son sein par lambeau du muscle grand dorsal. Sur l’autre table, Laurence présente une cicatrice plus « classique » autour de son sein gauche qui n’a pas nécessité d’ablation. Toutes deux ont choisi des motifs floraux pour leur tatouage, Aline ayant décidé d’y ajouter un haïku inspirant.
Au son de Noir Désir, qu’elle « adore ! », et dans le grésillement de son matériel, la tatoueuse Odré travaille à main levée sur le dos d’Aline qui ferme les yeux, les plissant parfois de douleur. L’artiste explique que l’aiguille provoque une sensation comparable à la « griffure d’un chat, mais en continu ». Lors d’une courte pause qui lui permet de souffler, la tatouée précise que certains endroits de son corps sont totalement insensibles mais que d’autres, et notamment sa cicatrice, font très mal.
« Mais rien à voir, en tout cas, avec la douleur, les flashes électriques que l’on ressent quand les chairs se referment après l’opération du cancer du sein. »
A côté d’elles, Ambre (qui porte le nom d’Elle Gringo dans le métier) a fini d’envelopper la cicatrice de Laurence d’un feuillage inspiré de celui d’un pêcher. L’ancienne malade remet ses lunettes pour découvrir, un peu émue, le nouvel ornement déposé sur son joli corps fin. Pudique, elle se dit « très contente » de voir ainsi camouflée une cicatrice qui lui rappelle de mauvais souvenirs depuis 8 ans. Elle n’ajoutera rien de plus, mais son sourire en dit long.
L’indispensable auto-palpation
Un peu plus tôt, toutes ces femmes étaient réunies autour d’une table pour déjeuner sur le pouce, dans la pièce principale de la Maison Rose. L’occasion pour elles, incitées par nos questions, d’évoquer leur maladie, comment elles l’ont découverte et les traitements subis. Leur point commun : toutes ont senti un jour « une petite boule dure sous les doigts » en palpant leur poitrine, toutes en ont parlé à leur gynécologue qui ont tenté de les rassurer – « sans doute juste un kyste », « à trente ans, inutile de s’inquiéter »… – avant de leur prescrire divers examens révélant leur cancer.
Mireille, 65 ans, est seulement de passage ce jour-là pour s’informer sur le projet Rose Tatoo. Des cancers du sein, elle en a connu deux, l’un en 2007, l’autre en 2015. Elle raconte avoir d’abord subi une mammographie en décembre qui n’a rien révélé, alors qu’au mois de février suivant, une autre mammographie doublée d’une échographie lui apprenaient la mauvaise nouvelle.
« J’étais en pleine forme, mais j’avais senti quelque chose sous la peau. Il ne faut pas hésiter à vérifier, il ne faut pas avoir peur de consulter. »
Sous son chapeau de paille, les cheveux de Mireille ont du mal à repousser depuis sa dernière chimiothérapie. Ce duvet blond semble beaucoup l’incommoder. Elle s’interroge sur l’opportunité d’investir dans une belle perruque – « mais ça coûte très cher et ce n’est pas remboursé ». Elle n’est « pas spécialement fan des tatouages » mais a trouvé très beau celui qu’elle a vu sur la page Facebook du projet Rose Tatoo (une page provisoirement fermée pour cause de téton non flouté !). Venue se renseigner, elle apprend que sa cicatrice est encore trop fraîche pour être camouflée. Elle reviendra certainement, et se réjouit en attendant d’avoir découvert la Maison Rose qu’elle ne connaissait pas.
Tatoo vu, tout compris
Dans l’après-midi, Marie-Laure, une élégante quinquagénaire tatouée la veille par Odré, repasse par là, « juste pour faire coucou ». Rayonnante et fière, elle insiste pour nous montrer les superbes fleurs qui rendent désormais insoupçonnables les marques de son opération, subie en 2012. Elle nous raconte aussi, amusée, la réaction de sa fille qu’elle avait désespérément tenté de décourager lorsque celle-ci lui avait annoncé, à 18 ans, sa volonté de se faire tatouer. Réaction enthousiaste de la jeune fille, comme on peut l’imaginer.
Les tatoueuses, elles aussi, adorent l’expérience. Elles interviennent bénévolement et se disent largement récompensées par les émotions que leur travail suscite. Odré envisage désormais de tatouer ainsi gratuitement une femme tous les mois. Les autres seront sans doute également partantes : la plupart peuvent en effet se libérer ponctuellement du « shop » où elles officient sous le statut d’auto-entrepreneures. Nathalie Kaïd se propose de continuer à collecter les demandes au cours des prochains mois, sans attendre le prochain « Octobre rose ». On pourra retrouver certains de ses clichés dans un ouvrage sur lequel elle travaille depuis deux ans, dédié aux femmes tatouées.
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