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Les épiceries solidaires étendent leurs rayons en Gironde

S’il n’y a pas de chocolatine à 15 centimes, les épiceries sociales et solidaires proposent de quoi se mijoter des petits plats à des prix plus que compétitifs. Face à la précarité, elles se multiplient en Gironde, et s’ouvrent à un public de plus en plus large.

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Les épiceries solidaires étendent leurs rayons en Gironde

La première épicerie sociale girondine a vu le jour à Blanquefort en 1997, mais c’est depuis 2007-2008 que le concept se démultiplie avec une touche d’innovation en plus à chaque création. Elles se dotent tantôt d’un drive comme à Talence, de jardins partagés pour le projet du Grand parc à Bordeaux ou sont réservées aux étudiants ; et elles mettent en place de nombreuses activités pour devenir de véritables espaces de vie.

Leur point commun ? Être des lieux où mixité et lien social priment, et où les précaires ne se sentent pas stigmatisés. Car les épiceries sociales se sont transformées en épiceries sociales et solidaires dont l’accès n’est pas restreint aux seuls bénéficiaires de l’aide alimentaire.

« Ce n’est pas une épicerie de pauvre ». Sandra Olivaud, directrice de l’épicerie solidaire du Créonnais met les choses au point tout de suite. Et c’est l’idée à laquelle tiennent plusieurs adresses de la métropole bordelaise comme L’Epicerie aux Capucins, Epi’sol à Pessac et les sites en projet à Talence ou au Grand Parc. On peut y faire ses courses comme tout le monde et avec tout le monde, avoir du choix, trouver des fruits et légumes, de la viande et même des produits de « luxe »…

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A l’Epicerie, près du marché des Capucins, la porte s’ouvre et se ferme régulièrement et la clochette retentit à chaque passage. Les clients se croisent, et la seule différence manifeste entre eux se fait à la caisse. Les bénéficiaires de l’aide alimentaire ont une carte qui divise le montant du ticket de caisse par deux. Les autres payent le tarif normal et contribuent à aider les plus démunis.

Paniers de légumes à 2 €

Le petit sac en toile accroché à la poussette menace de craquer, mais tant pis, Aurélie y entasse fruits, légumes, gâteaux, yaourts, compotes… Avant de payer les 10 € réclamés. « Les gâteaux, c’est exceptionnel », reconnaît-elle en jetant un œil un brin contrit à son ticket de caisse. C’est qu’avec 700 € par mois pour son mari, elle et leur bébé de 18 mois, le budget est serré.

« Payer la moitié du prix, c’est une chance. Je trouve quasiment tout ici, notamment des produits bio. »

Chaque lundi, elle vient chercher son panier de légumes à 2 € qui lui permet de cuisiner des plats équilibrés toute la semaine. Son budget mensuel pour les courses est de 150 €. Dans quelque temps, elle explique qu’elle pourra également aller aux Restos du cœur. Le sourire retombe.

« C’est gênant. Ici, on sent moins qu’on est des assistés… »

Fadila, une autre cliente, a la même remarque quand elle compare le lieu à Solidarité 33 qu’elle fréquente aussi. C’est une épicerie sociale à Bordeaux, et donc réservée aux bénéficiaires de l’aide alimentaire du Conseil départemental orientés par le Centre communal d’action sociale (CCAS) ou la Maison départementale de la solidarité et de l’insertion (MDSI) .

« Ici, c’est un magasin normal. Là-bas, c’est plus de l’aide, on fait la queue, on a le droit qu’à certains produits… »

L’Epicerie, à deux pas du marché des Capus (OD/Rue89 Bordeaux)
L’Epicerie, à deux pas du marché des Capus (OD/Rue89 Bordeaux)

 Apprendre à gérer un budget

Dans une épicerie sociale, l’accompagnement est en quelque sorte imposé, le budget et le choix limités et l’accès restreint à une période déterminée, le temps de réaliser un petit projet ou de sortir de la panade financière.

« Nous recevons les Sallois à qui il ne reste plus que 6,50 € par jour et par personne pour vivre, explique Fiona Cariot, animatrice du CCAS de Salles. Ils ne payent que 10 à 30 % du prix réel pour l’alimentaire et 50% pour l’hygiène. Une personne qui a 18 € d’aide par mois peut acheter l’équivalent de 150 € de produits. Venir à l’épicerie c’est aussi apprendre à gérer un budget. »

Avec 500 000 € de subventions octroyées cette année – 534 000 € pour les associations qui œuvrent autour de l’aide alimentaire (banque alimentaire, Restos du cœur, Croix rouge…) –  le Conseil départemental affiche son soutien aux épiceries.

« La démarche de ces deux modèles est complètement différente, mais complémentaire. Dans les épiceries, les gens ont du choix, ils réfléchissent à leur budget, à leur alimentation… Ils sont acteurs. Et on préfère qu’ils aillent dans une épicerie sociale dépenser l’aide qu’on leur donne que dans un supermarché : avec 60 €, ils achètent l’équivalent de 300 € de courses », précise Martine Jardiné, vice-présidente du Conseil départemental chargée du développement social.

L’épicerie brasse plus large. « Ceux qui ont un petit budget n’ont pas le droit au colis alimentaire », indique Fiona Cariot. Dans leur cas, l’épicerie est une alternative aux supermarchés.

« Nous sommes là pour aider les gens qui sont dans une précarité passagère, ajoute Jean-Pierre Dumora, le président de l’association des familles du Bouscat à l’initiative de l’épicerie La Bous’sol, c’est un coup de pouce ponctuel. »

Capter les invisibles

Une grosse facture à payer, des dettes à rembourser, un accident de parcours… peuvent donner un accès à une épicerie.

Mais après une enquête de terrain pour un projet qui a commencé à émerger il y a 8 ans, Sandrine Poivez, salariée de l’association EpiSolid’aire, s’est aperçue que le modèle économique des épiceries sociales était trop fragile.

« Elles vendent à perte ; elles n’arrivent pas à mettre les subventions en face de leurs dépenses. »

Atelier cuisine lors d'une journée test à la future épicerie du grand parc, à Bordeaux (photo DR))
Atelier cuisine lors d’une journée test à la future épicerie du Grand Parc, à Bordeaux (DR)

C’est pour cette raison que l’épicerie qui va ouvrir ses portes à Talence dans quelques mois accueillera un public varié. Sur le modèle de l’Epicerie, à Bordeaux, qui fait référence.

« Le public orienté pourra s’offrir tous les produits à moindre prix, et en contre-partie, les bénéficiaires devront mener à bien un petit projet comme payer des vacances à leurs enfants ou réparer leur voiture. Sans pour autant avoir l’aide alimentaire, les étudiants et bénéficiaires des minima sociaux  auront également accès aux produits avec des tarifs un peu plus élevés. Enfin, le public classique paiera le plus cher. Ces derniers devraient contribuer à 8 % de notre budget. »

Il reste difficile de savoir si les clients solidaires sont réellement dans cette démarche et s’ils suffisent à faire bouillir la marmite. A l’Epicerie, aux Capucins, ils sont entre 10 % et 15 % à ne pas bénéficier d’aide. Le Conseil départemental entame justement une réflexion pour mieux les connaître. Pour la directrice des lieux, Nathalie Martin, il y a une grosse part « d’invisibles »- des précaires qui n’ont pas d’aide alimentaire, comme des retraités, des étudiants, des travailleurs pauvres et des personnes qui ignorent ce à quoi elles auraient droit.

« Elles n’ont pas l’habitude de se tourner vers les services sociaux, c’est une population qui nous échappe. D’où l’importance de ces épiceries », estime Martine Jardiné.

Car en venant chercher leur viande ou leurs yaourts, les adhérents trouvent un accueil, une écoute, des professionnels, un café, un atelier cuisine ou couture, de la sophrologie… Ceux qui n’iraient pas vers des lieux trop sociaux, se laissent plus facilement séduire par un « commerce » ou des animations.

Difficile de miser sur la mixité

Comme aux Capucins. Une heure avant le repas, ça s’agite en cuisine. La poêlée de légumes mijote, les madeleines dorent au four et les participants mettent la table. Deux à trois fois par semaine, les inscriptions sont ouvertes pour préparer ensemble et partager un repas. Les animateurs et bénévoles croisent surtout des personnes isolées, comme Chent qui aime cuisiner et vient régulièrement depuis six mois.

« On voit des gens pendant quelques mois, relate Martine, une bénévole, et on ne les revoit plus. Cela signifie qu’ils vont mieux… ou moins bien. »

Cécile, animatrice socio-culturelle à l’Epicerie a tenté de mettre en place un mini jardin partagé ou la fabrication de produits ménagers écologiques, mais la mayonnaise ne prend pas. A l’inverse, les ateliers cuisines ont toujours du succès. Plus que de partage, de lien social ou d’écologie, c’est surtout d’un repas dont les participants semblent avoir besoin.

A l’EpiSolid’aire, Sandrine veut croire à la mixité et n’hésite pas à se lancer dans du marketing pur. On dégaine les circuits-courts, les producteurs locaux et les tomates bio « à 1,20 le kilo ! »Ce n’est pas évident. A Episol, ouverte à Pessac début septembre, « on porte les valeurs de l’écologie avec des produits locaux, mais pour satisfaire tout le monde, on achète aussi des avocats et des bananes… », reconnaît Jean-Pierre Bourdeau, le président de l’association.

A Créon, on a carrément jeté l’éponge pour les produits locaux.

« Ça ne fonctionne pas, même à 50 % les fruits et légumes bio ou locaux restent plus chers que les premiers prix du supermarché. On part sur de belles idées, mais la réalité est différente. D’abord on pense au coût, l’équilibre alimentaire passe après », constate Sandra Olivaud.

Les épiceries solidaires peuvent compter sur les petits prix des producteurs locaux ou les dons et gestes commerciaux de certains supermarchés qui commencent à faire preuve d’intérêt et de sensibilité. Progressivement.


#social

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