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Il chine à Bordeaux une page du patrimoine marocain

En toute discrétion, depuis une quarantaine d’années, Mohamed Akkar ramène au Maroc les céramiques anciennes qu’il chine en France, reconstituant ainsi une page du patrimoine de son pays d’origine, le Maroc. Comme tous les collectionneurs, il convoite les céramiques de Lamali, ce grand maître qui l’impressionnait tant enfant, lorsqu’il longeait sa rue pour rejoindre son atelier.

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Il chine à Bordeaux une page du patrimoine marocain

Les marchands de la place l’appellent « le professeur ». Il le sait et il en sourit. S’ils estiment le chercheur et l’universitaire et considèrent le collectionneur, seuls quelques uns connaissent sa démarche. C’est que Mohamed Akkar est un homme modeste et discret. De lui, il ne parle que par bribes pudiques et précautionneuses, avec cet humour élégant qui interdit tout épanchement. C’est avec un étonnement qui tient presque du dédoublement qu’il divulgue le nombre de pièces récoltées à ce jour : 750 céramiques.

Mohamed Akkar (© Clément Guides)
Mohamed Akkar (© Clément Guides)

Durant sa carrière, il mettra un point d’honneur à transmettre le savoir et la culture. Né à Safi, venu en France, à Bordeaux en 1965 pour préparer sa thèse de doctorat en Mathématique, il y sera enseignant-chercheur à l’Université Sciences et Technologies et y dirigera l’Institut d’Aquitaine de Recherches sur l’Enseignement des Mathématiques . Il dirigea durant quatre ans La maison du Maroc, institution prestigieuse qui dépend de l’ambassade du Maroc.

« Je suis né et ai vécu dans une ville où la céramique est très développée. »

Aussi le chineur fait rapidement le constat qu’il y a d’avantage de céramiques anciennes de Fès et de Safi qui circulent en France qu’au Maroc. Comment expliquer ce phénomène ?

« Sous le protectorat, les français ont acquis des céramiques  de décoration qu’ils ont ramené en France lors de l’indépendance en 1956. Autour des années 1975 une fois leurs parents morts, leurs enfants ont vendu ce patrimoine qui s’est dispersé », explique le professeur.

Au tout début, il venait chiner à Saint-Michel, tous les dimanches matin.

« Il se peut que pendant plusieurs mois on ne trouve aucune pièce… ce qui en prouve l’intérêt », rajoute-t-il très vite.

Son goût pour la brocante va de pair avec le goût des autres. Il vient parfois juste pour regarder les gens ou se délecter des anecdotes des brocanteurs :

« Tout cela on ne le vit pas quand on cherche sur internet. »

Le cercle des collectionneurs a aussi son charme. C’est une aventure humaine par laquelle se côtoient des gens qui ne se seraient jamais côtoyés.

Une relation de confiance s’est établie avec certains marchands. Certains l’aident à acheminer des céramiques lors de leurs déplacements au Maroc. D’autre le  consultent pour avoir un avis et l’avertissent quand ils ont une pièce susceptible de l’intéresser.

« En tant que collectionneur, je contribue à leur donner quelques pistes qui leur permettent de repérer et de ne pas laisser filer des pièces intéressantes. Mais pas trop de renseignements non plus pour éviter que les prix grimpent. »

Il a trouvé une nouvelle occasion de transmettre. Le professeur a la faculté d’être habile jusque dans le choix de ses distractions.

Redonner un avenir à des objets du passé

Il a rassemblé 750 pièces.

« Je réfléchis énormément à ce que je vais en faire, à comment je vais les transmettre à des gens qui vont pouvoir les faire vivre. »

Mohamed Akkar est un intellectuel comme il en existait au XVIIIe siècle, avec une étendue de savoirs littéraires, artistiques et scientifiques approfondis et de multiples fonctions occupées qui ne l’ont pas coupé du monde.

« Ce que recherchent tous les amateurs se sont les pièces de Lamali »

Qui est Lamali ?

1918 : Les autorités du protectorat, sous l’impulsion du général Lyautey missionne un jeune maître céramiste d’origine algérienne pour sauvegarder et développer la céramique marocaine tombée en désuétude. Ce jeune céramiste, premier africain du nord a avoir étudié à Sèvres va révolutionner la céramique marocaine depuis son atelier de Safi. Il forme des apprentis et impose son style, motifs safiots et motifs art-déco retravaillés selon les  motifs perses et arabes observés aux Louvre et à Cluny lors de son séjour en France.

Lamali dans son atelier (DR)
Lamali dans son atelier (DR)

« Ce grand maître habitait la même rue que moi, enfant je le voyais passer devant chez moi lorsqu’il se rendait à son atelier. Il faisait moderne dans notre rue traditionnelle. j’avais 10, 15 ans. C’était quelqu’un de très important. »

Plus tard, Mohamed Akkar s’est rendu dans l’atelier du maître et l’a vu travailler mais il n’a pas osé lui exposer son initiative.

« Je cherche aujourd’hui des céramiques que j’aurai pu acheter à Lamali de son vivant », s’amuse le professeur.

Son amour de l’art est devenu une part innée de sa nature douce, amicale, chaleureuse et exigeante, sincère et minutieuse.

« Ce n’est plus moi qui cherche, ce sont les céramiques qui m’appellent », confie Mohamed évoquant cet épisode durant lequel à la vue d’une céramique un changement de respiration, un saisissement dont fut témoin un ami intime qu’il avait amené avec lui sur la place Saint-Michel.

Pièces de la collection Mohamed Akkar (DR)
Pièces de la collection Mohamed Akkar (DR)

Des œuvres de Lamali, Mohamad Akkar en a déniché à Saint-Michel, dont un très beau vase décelé dans un vieux meuble. Chaque nouvelle trouvaille sur la place, recèle dans ces quelques grammes de terre de Safi, une énigme intacte, une vision d’enfance magnifiée sous l’émail.

En cette belle matinée ensoleillée, sur la place Saint-Michel, la figure du maître et celle du professeur se confondent tant, le goût de l’étude, la pédagogie généreuse, l’amour pour Safi, admiré chez l’un a construit l’autre.


#Maroc

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