La semaine dernière, s’est déroulée une conférence de presse au ministère de la Culture pour officialiser le lancement de la première édition du Week-end national des Frac, à l’invitation et en présence de la ministre Audrey Azoulay.
Ce moment – auquel assistait une partie significative de la profession (institutionnels, créateurs, commissaires, mécènes, journalistes…) – était important pour valoriser notre existence, nos métiers et notre raison d’être aux côtés des artistes et des publics toujours curieux. C’était aussi un moment de présence pour nos structures représentant l’art contemporain en région.
« Jane qui ? »
Avec mes collègues et homologues, Alexandre Bohn et Catherine Texier (respectivement directeur du Frac Poitou-Charentes et directrice du Frac-artothèque Limousin), nous nous sommes retrouvés à la tribune pour présenter un projet de commande, confié à l’artiste Jane Harris pour imaginer un emblème de la Nouvelle Aquitaine.
Sous les lustres de la République, rue de Valois, dans une ambiance chaleureuse, l’image était belle : trois directeurs incarnant les trois Frac situés dans ce quart sud-ouest de la France et le projet d’une artiste d’origine britannique qui vit et travaille en Dordogne, formée au Goldsmiths College (pas moins !).
Mais à Paris, les choses résonnent différemment, forcément. Un instant, j’ai senti vaguement les fronts se plisser, entraperçu quelques sourcils montés en accents circonflexe, des regards interrogateurs : « Jane qui ? »… N’était-ce pas là le signe d’un décalage ?
Name dropping
A rester dans la capitale trop longtemps (j’en étais), on pourrait croire que l’actualité de l’art se limite à un périmètre bien balisé et géo-localisé. Le sport qui s’y pratique souvent, consciemment ou non, est celui du « name dropping ». Effet de concentration ou coalition d’intérêts, les programmations égrènent les mêmes listes d’artistes dont les échos se télescopent et se renvoient en canon.
Même les grands formats, lorsqu’ils sont décentralisés, n’informent que très peu sur une création implantée localement, là où ces mêmes manifestations ont lieu (la dernière Biennale de Lyon sur le thème de la modernité a fait l’impasse sur le travail de l’artiste lyonnaise, Géraldine Kosiak, « La Modernité n’a pas d’âge »).
Et pourtant, les noms de ceux qui ne sont pas abonnés aux foires ou autre manifestation surmédiatisée devraient susciter la curiosité de nos regards avides de nouveauté. Chercher « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » disait Baudelaire.
Conjuguer les réseaux
Il y a eu des foyers d’artistes importants tels que Nice ou Nantes, et il y en aura d’autres. Des stars artistes continuent de vivre et travailler en région : Céleste Boursier-Mougenot à Sète, Bruno Peinado et Virginie Barré à Douarnenez, Lili Reynaud à Grenoble, Patrick Neu dans les Vosges, Hubert Duprat près de Nîmes… Et de jeunes artistes ont fait le choix d’y revenir : Benoît Maire à Bordeaux.
Après l’antagonisme High & Low, ne faudrait-il s’attaquer à celui du Up & Down classant les artistes selon leur origine géographique ? Au pays de la branchitude, l’autocritique semble à la peine. S’est-on posé la question de savoir qu’étaient devenus ces artistes à la mode dont le nom bruissait à Paris, Berlin ou Londres, sur toutes les lèvres, pendant 3 ou 4 saisons ?
Artistes français et étrangers : la politique d’acquisition des Frac a toujours été libre, soumise à l’expertise des membres des divers comités techniques d’achat. Toutefois il serait extravagant de considérer un Frac comme un outil « hors sol » alors qu’il est un poste d’observation idéal pour repérer les artistes géographiquement proches et un moyen de faire cohabiter des artistes régionaux et internationaux. En 2016, le Frac Aquitaine a exporté les œuvres de Nicolas Milhé et Laurent Kropf à Séoul dans le cadre de l’exposition The Family of the Invisibles, aux côtés de celles du CNAP. Tandis qu’à la faveur d’une émulation éprouvée localement, Anne Xiradakis partait en résidence à la Villa Kujoyama (Japon) et Nino Laisné, était retenu comme pensionnaire à la Villa Velasquez à Madrid pour un an.
C’est la force conjuguée de réseaux (formels et informels) qui porte ses fruits. Elle stimule aujourd’hui les parcours des artistes locaux dans une dynamique qui a son corollaire car elle est à double sens : celui d’accueillir et de présenter en région les œuvres d’artistes étrangers.
Nouveaux foyers de visibilité
A ce stade, tentons une hypothèse (qui va faire sourire). Ce serait une erreur d’interpréter mes propos comme une confrontation bipolaire idéologique entre un marché de l’art concentré dans les grandes capitales et des territoires à défricher, des talents à faire apparaître, répartis ailleurs.
Les Frac achètent aux galeries, françaises ou étrangères, collaborent avec telle ou telle fondation privée, s’engagent depuis quelques années dans un dialogue fécond avec des institutions comme Beaubourg. Comme l’a dit un ancien ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, les Frac restent de bons contrepoids au marché de l’art, faisant des choix de façon plus indépendante, et c’est leur force, de faire connaître tel ou tel artiste, sur la base de l’intérêt de leurs œuvres, s’affranchissant de certains calculs spéculatifs.
Pour reprendre un terme qu’on utilise de plus en plus dans les analyses politiques, les Frac assument une sorte de « soft power » (concept défini par le théoricien américain Joseph Nye et en France développé par Frédéric Martel) et agissent à partir de leurs collections en créant de nouveaux foyers d’attraction, de visibilité et d’influence.
Loin des grandes capitales
Sur le terrain de l’art, existe un affrontement médiatique pour exister, une sorte de compétition « narrative » ou discursive (les meilleurs artistes, leur vie, leur œuvre) à laquelle se livrent les investisseurs (collectionneurs, maisons aux enchères, presse spécialisée). Les Frac permettent de rééquilibrer, d’atténuer en un mot, cette force centripète en créant des contre-feux à un système dominé par la logique de marché (où le risque est grand d’une réduction comme d’un conformisme des esthétiques). La diversité est encore la meilleure solution pour s’en prémunir.
Proche d’autres réalités, attentif à toutes les sensibilités, émergentes ou encore confidentielles, les Frac sont un des garants d’une analyse plus fine du terrain et un moyen de renforcer une coexistence, d’innover en ratissant ici et ailleurs, au profit d’une lecture de l’art plus large.
Un fonds régional d’art contemporain, c’est l’opportunité pour toute une filière (nationale et internationale) d’appréhender le travail de certains artistes qui vivent éloignés des grandes capitales d’Europe. Gageons que la création des nouvelles régions soit l’occasion de jeter les bases d’une saine émulation, et d’insuffler un peu d’air frais vers les centres névralgiques en faisant le pari d’un horizon toujours plus ouvert, dense et horizontal. C’est sans doute l’enjeu d’un nouveau rapport de forces, à l’heure d’une cartographie qui permettra aux régions de dialoguer de plus en plus étroitement entre elles, avec Paris, en Europe, d’égal à égal. Et au-delà.
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